Homélies

Les homélies du temps du Carême

 

Charité et Espérance

 

Chaque année, nous accompagnons le Seigneur Jésus tout au long des événements de la Semaine Sainte. Nous avons commencé ce chemin il y a quelque temps, avec le mercredi des Cendres ; puis de manière plus proche, avec les Rameaux dimanche dernier. Jésus est désormais entré à Jérusalem, et Il sait bien que les acclamations qui l’ont escorté sur le chemin vont bientôt céder la place aux cris de haine et à la condamnation à mort. Il est conscient de ce qui va se passer, puisque sa mission consiste à réconcilier le monde avec son Père : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » [Jn 12,32]. En cette dernière semaine, nous continuons donc de Le suivre à travers ses dernières paroles, ses derniers enseignements, ses derniers gestes de Miséricorde.

 

Le Jeudi Saint est un point culminant de cette semaine, à travers les épisodes que nous avons entendus au cours de cette messe : ces deux gestes, qui ont l’un et l’autre la même signification. Le premier geste, celui qu’on retient le plus souvent, est rapporté par les Évangélistes Matthieu, Marc et Luc, et aussi par saint Paul dans notre lecture de ce jour : c’est l’institution de l’Eucharistie : « Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang ». Et puis le second geste n’est raconté que par saint Jean, et nous venons aussi de l’entendre : c’est l’action si étonnante de Jésus qui veut laver les pieds de ses disciples (même si Pierre et les autres en sont choqués). Il s’agit d’un enseignement, non en paroles mais en actes ; et ces deux gestes traduisent la même réalité, celle de l’Amour de Dieu pour tous les hommes.

Pourtant, l’Amour de Dieu, nous avons peut-être tendance à ne plus savoir ce que cela veut dire : c’est une expression un peu usée à force d’être utilisée ! Si nous voulons revenir à la source, c’est donc le bon moment ; car cette Semaine Sainte est la période la plus importante de toute l’année. Ce que dit, ce que fait Jésus en ce moment, doit éclairer tout le reste de l’année. C’est à travers ces événements que Dieu se dévoile à nos yeux ; c’est là que l’Amour de Dieu prend toute sa dimension. C’est maintenant que nous comprenons qui est Dieu, que nous apprenons comment vivre dans l’Amour. On peut toujours se faire des idées sur Dieu, avoir des images d’un Dieu fort, un peu distant, éloigné… Ce soir, nos idées fausses se brisent devant la réalité du Dieu qui se révèle à nous.

 

Voici donc le moment le plus important de l’année : c’est là que Dieu se montre tel qu’Il est au plus profond de son Cœur : pauvre, souffrant, serviteur des hommes. Il révèle ainsi son Amour, sa Charité. Donc l’Amour de Dieu, c’est servir, donner sa vie, se donner, aller jusqu’au bout, et même passer par les souffrances et l’agonie. Même si ce don n’est pas confortable, même si l’Amour de Dieu n’a rien de romantique, c’est cela qui nous est présenté comme modèle de tout amour. Il n’y pas d’amour véritable, s’il ne puise pas sa source dans la Passion du Christ.

Tout cela change profondément notre manière de vivre. Si nous voulons aimer vraiment (en couple, en famille, et même dans nos autres relations), il s’agit d’imiter Jésus : de faire de notre amour une offrande, c’est-à-dire un don de soi. Dans la Loi de Moïse [première lecture], le sacrifice de l’agneau de la Pâque était un acte essentiel de l’adoration de Dieu ; et c’était aussi une anticipation de Jésus, l’Agneau de Dieu [Jn 1,29]. Maintenant, l’amour est un sacrifice, c’est-à-dire une offrande à Dieu : « Aimer Dieu, aimer son prochain, vaut mieux que tous les sacrifices » [Mc 12,33]. Jésus nous a tout donné en ce soir du Jeudi Saint : son service, son Corps et son Sang, sa vie. Avec Lui, nous savons désormais ce que signifie “aimer” : offrir au Seigneur, et à nos frères, tout l’Amour qu’on a reçu de Lui. Y compris lorsque l’offrande est difficile, lorsque le service est ingrat : notre vocation est toujours de répondre par l’amour et par le service, aux disputes et aux offenses.

 

Mais il y a aussi une autre dimension essentielle, et elle nous est rappelée par le thème de l’année jubilaire : c’est l’Espérance. Jésus, en donnant sa vie par Amour, a sauvé le monde, Il a réconcilié les hommes avec Dieu ; cela veut dire que si nous aimons comme Lui, nous œuvrons aussi au salut du monde, à la réconciliation des hommes. Aimer, c’est entrer dans le grand mouvement de réconciliation de toute la Création avec Dieu. Nous pouvons donc espérer, c’est-à-dire être certains que nos efforts à la suite de Jésus portent du fruit dans l’Éternité. Rien n’est jamais perdu, puisque le Seigneur conduit le monde vers la Vie !

Le Jeudi Saint est la fête de l’Amour de Dieu. Ce soir, nous percevons de manière plus claire que la confiance, l’Espérance en Dieu, nous conduisent à aimer véritablement comme Dieu nous a aimés. Que la Foi, l’Espérance, l’Amour, soient nos guides à la suite de Jésus !

Dimanche des Rameaux

 

Accueillir le Christ dans l'Espérance

 

En ce jour des Rameaux, nous avons en quelque sorte une “double célébration” : celle de l’entrée de Jésus à Jérusalem, pleine de joie et de chants, et celle de la Passion du Christ, remplie de tristesse et de souffrances. Dans la joie, n’oublions pas les difficultés ; et dans la souffrance, gardons en mémoire la joie de la foi ! Mais dans toutes les situations, c’est toujours en écoutant le Christ, en nous mettant à sa suite, que nous trouvons le vrai sens de notre existence.

 

Nous sommes donc invités à suivre Jésus, c’est l’essentiel de notre foi. Le suivre dans son entrée triomphale à Jérusalem, et Le suivre jusqu’au bout du don de soi. C’est d’abord Lui, bien sûr, qui a voulu nous suivre (et même nous précéder) dans toutes les étapes de notre vie humaine : il n’y a pas d’événements, aucune circonstance dans lesquels le Seigneur soit absent. Dans les joies comme dans les peines, nous pouvons toujours compter sur Lui.

 

Aujourd’hui donc, à quelques jours de la Passion, l’Évangile nous retrace cet accueil magnifique que les habitants de Jérusalem ont donné à Jésus. Il est bon de s’imaginer la scène : la gloire et la joie, les chants et les cris ; le petit âne monté par Jésus, et les manteaux qu’on jette sous ses pas. Les gens acclament Jésus, nous dit l’Évangile, « pour tous les miracles qu’ils avaient vus » ; et ils crient : « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur ! ».

Cette foule qui crie sa joie, bien sûr, c’est déjà nous, lorsque nous vivons pleinement notre foi. Et quand la foule, cinq jours plus tard, criera : « Crucifie-le ! », ce sera encore nous, lorsque nous péchons et que nous refusons la présence du Seigneur. La mission de Jésus est accompagnée par cette foule versatile. Tous les hommes entourent Jésus, pour Le louer ou pour Le rejeter, et c’est encore vrai aujourd’hui : Jésus ne laisse personne indifférent, certains consacrent leur vie par amour pour Lui, et d’autres Le combattent avec rage.

 

Accueillons donc Jésus en ce jour à Jérusalem. Pourquoi L’accueillir ? Parce qu’Il est le Sauveur. L’accueillir dans la joie, avec les foules, c’est reconnaître que nous avons besoin d’être sauvés. Les foules ont été témoins de ses guérisons, de ses miracles ; et elles l’acclament car elles savent qu’Il peut encore les guérir. Nous aussi, en L’accueillant, nous savons qu’Il est capable de nous guérir, de nous sauver, aujourd’hui comme hier. Ainsi, nous manifestons notre Espérance : car l’Espérance [thème de cette année jubilaire] consiste d’abord à faire confiance, à croire à la puissance de Celui qui vient nous sauver. Il est le Messie, le Roi qui vient, et rien ne peut plus nous désespérer. Il va nous sauver comme les foules l’espèrent : Il peut les sauver des maladies, des infirmités, de l’occupation romaine, de toute adversité ; et finalement Il va nous sauver de la mort éternelle par sa mort et sa Résurrection.

 

Si nous l’accueillons, nous vivons pleinement dans l’Espérance née de la foi : le jour des Rameaux est un jour d’Espérance. Et lorsqu’Il sera rejeté, comme au jour du Vendredi Saint, ce sera un chemin de péché et de désespoir. N’ayons donc pas peur de L’accueillir avec joie : Il vient nous déranger, mais surtout transformer notre cœur et nous sauver de l’enfermement. Quels que soient nos péchés et nos refus, accueillons-Le dans l’Espérance : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! »

5ème dimanche de Carême

 

Voici que je fais toutes choses nouvelles !

 

« Moi non plus, je ne te condamne pas » : c’est sans doute l’une des paroles les plus importantes de toute la Bible. L’Évangile nous montre la confrontation du Fils de Dieu avec une adultère : la sainteté face au péché ! On s’attendrait à des réprimandes, des reproches, une malédiction… et voilà cette parole toute simple, qui en quelques mots exprime la profondeur du Cœur de Dieu : « Je ne te condamne pas » ; en d’autres termes, tu peux changer de conduite, tu es plus grande que ton péché. C’est ce qui fera toujours la différence entre la foi en Jésus, et toutes les autres traditions spirituelles. On peut se faire des idées, imaginer qui est Dieu, inventer des religions et des pratiques ; mais seul le Christ révèle aux hommes le visage miséricordieux du Père.

 

Il nous est bon, en Carême, d’entendre ce passage d’Évangile pour continuer notre chemin de conversion. Cette femme se croyait perdue, condamnée (et elle l’était aux yeux des hommes !) ; elle se croyait même abandonnée par Dieu. Et voici qu’elle retrouve la vie et le respect. Jésus lui rend sa dignité, de la même manière que le père miséricordieux le faisait dans l’Évangile de dimanche dernier : « mon fils était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! ». C’est ce que nous sommes invités à vivre au cours de ce Carême. La Miséricorde de Dieu n’est pas seulement un pardon qui “efface les fautes” comme une éponge : c’est une “re-création”, une création nouvelle [et c’est exactement cela que vous vivrez, vous catéchumènes, au jour de votre Baptême : une nouvelle création]. Quand Jésus dit : « Ne pèche plus », cela signifie aussi : « Désormais, tu as en toi la force de résister au péché, puisque tu as été recréée, renouvelée par Dieu ».

Cette nouveauté, cette re-création, s’exprime par le geste énigmatique que fait Jésus pendant qu’on lui parle : « Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre ». On a beaucoup réfléchi sur ce geste ! On peut l’interpréter de deux manières. Ce que Jésus écrit par terre, cela peut être la Loi nouvelle, comme Dieu avait gravé les Tables de la Loi avec son doigt [Ex 31,18] : une Loi de Miséricorde, désormais écrite par Jésus à travers le don de sa vie. Ou bien, autre interprétation : Jésus pétrit la terre de son doigt, comme Dieu avait modelé l’homme de la terre [Gn 2,7] : ainsi, Il recrée la nature humaine à partir de la poussière. De toute manière, quelle que soit la signification de ce geste, Jésus opère une Création nouvelle en rétablissant la femme adultère dans sa dignité.

 

Déjà, dans le Livre du prophète Isaïe [première lecture], nous avons entendu parler de cette nouveauté créée par Dieu : « Ne songez plus aux choses d’autrefois : voici que je fais une chose nouvelle, elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? ». Ce monde nouveau est décrit par le prophète de manière imagée : les déserts se transforment en chemins et en fleuves abondants ; les guerriers, les troupes et les chevaux s’effondrent. Dieu règne sur un monde de joie et de paix. C’est un monde qui est nécessairement nouveau, car sans la présence de Dieu, il va à sa perte : seule la Miséricorde de Dieu a le pouvoir de réconcilier, de renouveler définitivement le cœur de l’homme.

Cette nouvelle Création s’inscrit dans la Création ancienne : Dieu ne contredit pas sa propre Œuvre, mais Il l’accomplit. Il nous prend où nous sommes, tels que nous sommes, pour nous conduire à la Vie nouvelle. Quand Jésus pardonne à la femme adultère, Il lui dit aussi : « Ne pèche plus » : le péché reste un péché [et nous savons aussi que Jésus est très sévère en ce qui concerne le mariage, Mt 19,9], mais la Miséricorde est plus grande que le péché.

 

Ainsi, notre chemin de Carême consiste à accueillir la Miséricorde du Seigneur au cœur de nos vies. Nous avançons vers la fête de Pâques, et la Résurrection de Jésus nous donnera ce « monde nouveau » auquel nous aspirons [et que vous recevrez par le Baptême]. C’est pourquoi, en particulier, le Carême nous permet de renoncer à certains “petits plaisirs de la vie” : il s’agit d’oublier l’accessoire pour nous attacher à l’essentiel ! Nous avons l’exemple de saint Paul, qui parle de son itinéraire spirituel à ses amis Philippiens [deuxième lecture] : « Les avantages que j’avais autrefois, je les considère comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. J’ai tout perdu afin de gagner un seul avantage, le Christ ». Tout s’efface devant la connaissance du Christ, si nous comprenons à quel point Il peut transformer notre vie. Avec Lui nous pouvons mourir, car nous savons que nous allons ressusciter avec Lui à Pâques.

En Jésus, tout est nouveau, tout est renouvelé : nos péchés sont pardonnés, nous sommes libérés de nos faiblesses, et même le bien que nous faisons est transfiguré par la Miséricorde. « Va, et désormais ne pèche plus » : allons vers Pâques dans la pureté du cœur.

4ème dimanche de Carême

 

Traverser le Carême pour grandir dans la foi

« Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : j’ai péché contre toi ». Le Carême est le moment où nous prenons conscience de notre péché, et où nous faisons grandir notre désir d’être sauvés. Les recettes spirituelles traditionnelles (jeûne, partage, prière) ne sont là que pour nous aider à avancer sur ce chemin. Être conscient de son péché, examiner sa vie, se rendre compte de ses insuffisances, ce n’est pas se morfondre dans des “pensées négatives” ! Le Carême n’est pas une période triste, mais un temps de joie, comme ce dimanche nous le rappelle plus clairement. S’il est si important de reconnaître le mal que nous faisons, c’est d’abord pour accueillir le pardon du Père : « Mon fils était perdu, et il est retrouvé ! ».

 

Nous devons garder les yeux fixés sur la Résurrection qui vient ; et pour vous catéchumènes, sur le Baptême qui vous fera ressusciter avec le Christ. Ainsi, avec le but devant les yeux, nous pouvons traverser ce Carême dans la paix. Sans cela, le désespoir nous guette ! Car le Carême est toujours un temps d’épreuve, un temps de lutte contre le mal, et les forces du Mal sont à l’œuvre pour nous décourager. Qui d’entre nous n’a pas déjà expérimenté le Carême comme une période difficile ? Souvent les choses semblent de plus en plus dures à vivre, des contrariétés nous frappent, des tentations nous assaillent [c’est probablement vrai pour vous, catéchumènes, de manière particulière] : ce sont des pièges pour nous décourager, mais le Seigneur est toujours là si nous Le prions.

En réalité, ce passage du Carême est nécessaire pour nous faire grandir dans la foi : pour que nous apprenions, année après année, à ne compter que sur la Miséricorde du Seigneur. Il nous attend à la porte de sa maison, comme le père de la parabole : après avoir traversé les épreuves – celle du doute, celle du découragement, celle du péché –, nous pouvons nous jeter dans ses bras comme des enfants bien-aimés. Le Baptême, force de Résurrection, ne se limite pas à nous donner le pardon des péchés : il nous renouvelle entièrement, et fait de nous des enfants de Dieu. Comme l’écrit saint Paul aux Corinthiens [deuxième lecture], « dans le Christ, [nous sommes] une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né ». Avec Jésus, il faut traverser les obstacles de la vie, particulièrement notre difficulté à croire ; et avec Lui, nous devenons des créatures nouvelles.

 

Saint Paul écrit encore : « Tout cela vient de Dieu […] Laissez-vous réconcilier avec Dieu ! ». L’initiative vient de Dieu, mais de notre côté, nous ne sommes pas passifs : nous pouvons agir, coopérer avec Dieu dans la foi. Si nous gardons notre foi, notre Espérance, notre amour au long de ce Carême, nous ressentirons à quel point la Résurrection du Christ nous transforme entièrement : nous sommes rendus capables d’aimer, de donner, de pardonner, de nous réconcilier, à un point qui nous semblait impossible. Et vous, futurs baptisés, vous recevrez une force nouvelle de l’Esprit saint pour vivre dans la Vérité du Seigneur. Après avoir grandi, comme catéchumènes, dans la connaissance de Dieu et de son Amour, vous deviendrez comme “adultes dans la foi” ! Il fallait traverser ce Carême pour arriver à la maturité de la foi, à la force intérieure qui ne vient pas de nous, mais de Dieu. Cette force, c’est le courage, la constance, et surtout la joie dans laquelle le Seigneur nous maintient.

 

Nous avons entendu, dans la première lecture [Livre de Josué], une histoire de passage : qui bien sûr nous rappelle notre Carême et le passage vers la Résurrection. Les Israélites ont traversé le désert, ils sont arrivés aux portes de la Terre promise ; et après avoir célébré la Pâque, voici qu’il advient quelque chose de nouveau. Ils ne reçoivent plus la manne, qui était la nourriture du désert, quand ils étaient encore faibles dans la foi. Désormais, ils mangent les fruits du pays, ils cultivent la terre ; ils sont devenus responsables, libres, adultes dans leur relation avec le Seigneur. Bien sûr, c’est encore la Grâce de Dieu qui les accompagne, et ils auront toujours à progresser dans la foi ! Mais le Seigneur veut qu’ils se prennent en main, qu’ils soient forts et actifs, accomplis et sérieux dans leur vie quotidienne. Dieu ne veut pas un peuple d’esclaves, mais un peuple d’hommes libres, adultes, mûrs dans la foi !

 

En ce Carême, revenons donc vers notre Père, conscients de notre péché, mais plus encore heureux de sa Miséricorde. Nous devons faire ce passage, cette traversée qui nous conduit à la Résurrection et au Baptême ; et une fois arrivés à Pâques, nous serons des « créatures nouvelles », des hommes et des femmes adultes, joyeux, forts dans la foi, certains que le Seigneur est présent dans nos vies !

 
 
3ème dimanche de Carême

[1er scrutin pour les catéchumènes]

 

 

« Si vous ne vous convertissez pas »…

 

« Est-ce que ceux qui sont morts, tués par Pilate ou par l’écroulement d’une tour, étaient plus coupables que les autres ? » Telle est la question posée par Jésus : lorsqu’il y a une tragédie, est-ce une punition de Dieu qui touche les gens méchants ? Comment comprendre les drames et les catastrophes qui se déroulent autour de nous : guerres, attentats, tremblements de terre, inondations etc. ? Est-ce un signe de la colère de Dieu contre certaines personnes ? Ces questions sont très actuelles : il nous est bon de les entendre dans l’Évangile, car elles sont posées fréquemment de nos jours. Nous voyons que Jésus n’évite pas les sujets difficiles : Il ne se réfugie pas derrière des belles paroles. Quand Il parle, ce sont toutes nos questions qu’Il exprime, même celles que nous avons du mal à poser.

 

En ce temps de Carême, et après avoir entendu il y a quinze jours le combat de Jésus contre les tentations, nous ne pouvons pas éviter la question du Mal. C’est un problème extrêmement présent dans notre monde, comme à toutes les époques. Tout homme de bonne volonté se trouve confronté à ces interrogations : d’où le mal vient-il ? Et pourquoi touche-t-il certains et pas d’autres ? Si encore il n’y avait que les méchants qui souffrent, on pourrait l’accepter : cela voudrait dire que Dieu les punit. Mais évidemment, ce n’est pas le cas : ceux qui sont dans l’épreuve autour de nous n’ont rien fait pour cela. Même si trop souvent, on se demande : « Qu’ai-je fait au bon Dieu pour mériter cela ? » : nous savons bien que personne ne « mérite » ce qui lui arrive de douloureux.

C’est bien ce qu’affirme Jésus dans ce passage. Il ne dit pas que les victimes étaient des pécheurs : au contraire, Il reconnaît que ces pauvres gens n’étaient pas « plus coupables que les autres ». Il aborde d’ailleurs les deux aspects : le mal venu de la méchanceté des hommes (les massacres accomplis par Pilate), et aussi les “catastrophes naturelles” (la chute de la tour). Que la souffrance vienne des hommes ou de la nature, elle n’est en aucun cas une punition !

 

L’existence du mal (de toutes les souffrances) est un fait qui nous révolte ; et c’est bien normal. Mais est-ce que nous allons nous arrêter là ? Nous croyons en un Sauveur, nous croyons en Celui qui a donné sa vie pour nous délivrer : comment aller plus loin dans ce mystère, comment vivre dans un monde difficile en gardant notre confiance dans l’Amour de Dieu ? Jésus, après avoir parlé des drames et des morts, termine de manière simple et claire : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même ». Cela ne veut pas dire que les victimes avaient besoin de se convertir ; cela signifie que nous tous, nous avons sans cesse besoin de nous convertir. Et que ces morts tragiques sont une image de la mort finale, c’est-à-dire de la séparation de Dieu.

Face au mal, on peut se lamenter et en rester là ; mais on peut encore entrer dans son propre cœur pour comprendre que le mal est aussi là, en nous-mêmes ! Le mal est là quand on oublie le Seigneur ; le mal est là quand on préfère l’égoïsme à la sollicitude pour les autres ; il est là encore dans la colère, l’envie, l’orgueil et tant de choses… Les détresses qui nous entourent doivent nous inciter à scruter notre cœur pour déceler notre complicité avec le mal : c’est le sens des Scrutins [=« scruter »] que vivent les catéchumènes pendant le Carême. Oui, il y a de la souffrance, mais elle n’est pas extérieure à nous : nous sommes complices. Et pour nous préparer à Pâques [et au Baptême], il s’agit d’entrer dans un chemin de conversion, de rejet du mal.

 

Et Dieu, où est-Il dans tout cela ? Là aussi, nous avons à vivre une conversion du regard : le Seigneur n’est pas à la source du mal, Il ne veut pas le mal ; et Il n’est pas non plus indifférent au mal ! L’expérience de Moïse, dont nous avons entendu le récit dans la première lecture, c’est justement la rencontre avec un Dieu qui n’est pas comme on se L’imaginait. Les Hébreux pensaient que Dieu les avait abandonnés : mais le Seigneur dit à Moïse : « J’ai vu la misère de mon peuple, j’ai entendu ses cris, je connais ses souffrances ; et je vais le délivrer ». Dieu éprouve la douleur des hommes, Il n’est pas un Souverain qui règne à distance : Il se penche vers nous, Il s’occupe de nous avec toute sa sollicitude. La promesse faite à Moïse, la Victoire définitive, sera entièrement accomplie par Jésus : Il viendra partager nos souffrances, donner sa vie jusqu’au bout de l’Amour.

 

Oui, le mal existe, et nous le partageons ; mais le Seigneur est venu pour nous, Il a souffert, Il est mort, Il est ressuscité. Avançons dans ce Carême, et surtout préparons-nous aux Baptêmes qui vont venir : ils nous feront entrer dans la Victoire définitive contre le mal et la mort !

 
2ème dimanche de Carême

 

Vivre déjà comme des ressuscités

 

Jésus apparaît à ses Apôtres d’une manière nouvelle, Il devient « d’une blancheur éblouissante », les deux grands prophètes (Moïse et Élie) lui parlent, et la voix du Père se fait entendre : « Celui-ci est mon Fils, écoutez-le ! ». C’est un épisode mystérieux que nous entendons chaque année au deuxième dimanche de Carême : celui de la Transfiguration. Les Apôtres eux-mêmes ne comprennent pas de quoi il s’agit, et sont « saisis de frayeur ». Lorsque Jésus ressuscitera, ils comprendront que cet épisode était en fait une anticipation : une manifestation de la Gloire de Dieu, une vision de la Résurrection. Pour nous comme pour les Apôtres, alors que le Carême a commencé, il est bon de regarder directement le but de ce Carême : dans cinq semaines, nous accueillerons la Résurrection, et nous entrerons pleinement dans la Gloire et la Lumière de Dieu. Il nous appelle à la Vie, Il nous conduit par la mort de la croix jusqu’à l’Éternité.

 

Notre vocation la plus grande, c’est de partager la Gloire de Dieu ; nous y sommes tous appelés, dans la mesure où nous devenons disciples du Christ. C’est ce que nous avons à garder devant les yeux pour orienter notre vie. Si nous oublions cette vocation, si nous sous-estimons la grandeur de l’Amour de Dieu, nous perdons le sens de notre vie, et nous nous laissons dominer par les ténèbres. C’est ce que saint Paul, dans la Lettre aux Philippiens [deuxième lecture], dit d’une manière catégorique. Il rappelle que « nous avons notre citoyenneté dans les cieux », et que le Christ « transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux » [ainsi dans l’épisode de la Transfiguration]. Mais en même temps, Paul blâme sévèrement ceux qui oublient cette vocation extraordinaire : « Ils vont à leur perte ; leur dieu [c’est-à-dire leur idole], c’est leur ventre, ils ne pensent qu’aux choses de la terre ». Nous sommes donc invités à lever les yeux vers la Résurrection, vers la Vie qui nous est promise ; sans quoi nous nous enfermons dans notre désespoir.

C’est donc une question claire qui nous est posée aujourd’hui, en ce temps de Carême. Croyons-nous vraiment à la Résurrection ? Est-ce que nous mettons notre Espérance en Dieu, est-ce que nous croyons sincèrement qu’Il est capable de nous ressusciter, de transformer entièrement notre cœur et même notre corps, pour nous faire entrer dans la Lumière avec Jésus ? Nous parcourons ce Carême, mais si nous ne savons pas vers quoi nous allons, alors le Carême n’a aucun sens : nous faisons du sur-place !

 

La foi en Jésus ressuscité n’est pas une opinion ni même une connaissance : elle est une transformation de toute la vie par la force de la Résurrection. Croire en Jésus ressuscité, croire à la Victoire de la Vie sur la mort, doit nécessairement donner une orientation nouvelle à toute notre existence. Est-ce que cette foi conduit ma manière de vivre, ou bien est-ce que c’est juste une petite coloration spirituelle qui me permet de dire que je suis croyant ? Souvenons-nous des paroles de saint Paul : « Notre citoyenneté est dans les cieux ». Si nous sommes « citoyens des cieux », si comme les Apôtres nous avons vu la Lumière de Jésus, cela doit se voir, cela doit tout changer ; sinon, il ne sert pas à grand-chose de nous dire chrétiens.

C’est le Baptême qui a fait de nous des enfants de Dieu, et qui nous a fait entrer, avec Jésus, dans la Lumière de la Résurrection. Vivre comme des baptisés, c’est vivre en étant déjà ressuscités : nous ne sommes plus soumis au mal et au péché, nous sommes libres pour aimer vraiment ! Tous nos choix sont placés sous le regard du Seigneur. Par exemple, le mariage est un don de Dieu, que l’homme et la femme peuvent déjà vivre dans la Lumière de la Résurrection. L’amour humain est transformé – transfiguré ! – par le Christ ; il devient un nouvel amour, une participation à l’Amour de Dieu. Nous sommes appelés à ressusciter avec notre âme et notre corps : donc toutes les dimensions de notre vie, y compris les aspects les plus matériels, sont déjà entrés dans la Lumière de Dieu. C’est pour cela qu’on peut s’engager à la suite du Seigneur, et qu’on peut s’engager tout entiers dans le mariage ! Parce que, comme le dit saint Paul, notre « dieu » n’est pas notre ventre, c’est-à-dire la satisfaction de nos petits plaisirs : notre Dieu, c’est Celui qui éclaire déjà notre amour par la lumière de l’Amour de Dieu.


La voix de Dieu nous a donc parlé aujourd’hui : « Celui-ci est mon Fils, écoutez-le ». Au cours de notre chemin de Carême, écoutons le Seigneur Jésus, laissons-Le nous conduire. Il y a quelques petits efforts de Carême à faire… mais l’essentiel est déjà là, devant nous : nous sommes déjà ressuscités, nous sommes « citoyens des cieux », la Lumière de Dieu illumine toute notre vie. Vivons dans cette Lumière, n’oublions jamais de répondre à l’appel de Dieu !

 

 

1er dimanche de Carême

 

Désert, lieu de vérité

 

« Avec Toi, Seigneur, nous irons au désert ! » C’est le refrain traditionnel de ce temps de Carême, qui rappelle l’Évangile de ce dimanche : Jésus part au désert pour quarante jours, et « quand ce temps fut écoulé, il eut faim ». C’est notre démarche de quarante jours, un temps de réflexion, de prière, de conversion ; plus encore, un temps où la présence de Jésus doit se faire plus intense. Ce temps de désert n’est pas seulement un temps de retraite et de prière paisible : l’Évangile suggère que c’est aussi un temps de tentations et de combat, puisque Jésus a accepté de rencontrer le diable et de se confronter à lui. Saint Luc nous raconte de manière détaillée, après le Baptême de Jésus, les trois tentations dont Il a été victorieux ; ce sont les nôtres, car nous aussi nous serons tentés au cours de ce Carême.

 

On peut se demander pourquoi il faut aller au désert, si c’est pour y rencontrer la tentation ! Pourquoi Jésus Lui-même s’est-Il placé dans cette situation d’épreuve ? Ce serait bien plus agréable pour nous de rester “à la maison”, entourés de tout notre confort matériel, en profitant de l’existence, et en accordant au Seigneur une petite place tranquille et raisonnable dans notre vie. Au quotidien, nous ne sommes pas tellement tentés par le péché… peut-être parce que nous cédons trop facilement aux tentations.

Et pourtant, Jésus a voulu passer par cette épreuve du désert, de la privation, de la faim et de la soif. Et nous avons à Le suivre, parce qu’avec Lui il s’agit de faire la vérité sur nous-mêmes. Pour Jésus, le désert est une épreuve de vérité, car c’est là que commence clairement sa mission essentielle : être victorieux du Mal et du Démon. Quant à nous, la vérité de notre vie, c’est que nous sommes pleinement impliqués dans cette lutte contre le Mal : nous ne pouvons pas jouer l’indifférence, puisque le Mal est présent partout dans le monde. Les conflits, les violences, les injustices, ne sont pas des phénomènes extérieurs : ils nous touchent profondément, car c’est la même lutte entre le Bien et le Mal qui se déroule sous nos yeux, et dans nos cœurs. Nous devons chercher sans cesse, de toute notre âme, la paix et la réconciliation : c’est le seul remède contre les guerres.

 

C’est donc là que le dépouillement du désert est important, en essayant de vivre ce Carême à la suite de Jésus. Dans le désert, il faut faire la vérité : on ne se cache plus derrière les illusions, les distractions, les plaisirs fugaces… L’homme est seul dans le désert : seul face à son Dieu. C’est la même expérience qu’a vécue le peuple d’Israël au cours de son passage au désert [qui n’a pas duré quarante jours, mais quarante ans !]. Nous l’avons entendu dans la première lecture, avec le livre du Deutéronome : au cours de ces longues années, Israël a expérimenté sa faiblesse, son insuffisance, et surtout la fidélité de Dieu. Et Moïse rend grâce au Seigneur, au nom du peuple. Nous n’étions rien, dit-il, sinon un ramassis d’esclaves ; il a fallu ce passage au désert, pour nous dépouiller de notre faux orgueil, de nos illusions, et pour faire de nous un vrai peuple, rassemblé sur la Terre promise dans la joie de Dieu. Le temps du désert a été difficile, mais il a été nécessaire pour faire la vérité sur nous-mêmes.

Au désert, nous sommes seuls, mais nous comprenons peu à peu que nous ne sommes pas vraiment solitaires. Notre cœur est un lieu de combat, tenté par le démon de la méfiance et de l’égoïsme tout comme Jésus a été tenté ; et nous sommes aidés par la grâce de Dieu, puisque Jésus est passé par là avant nous. Comme les Hébreux, il faut passer au désert pour ressentir vraiment la victoire du Seigneur, et pour y participer.

 

Les trois tentations qui ont été infligées à Jésus sont les nôtres ; nous nous y reconnaissons, et le temps du Carême nous aidera à mieux les identifier, et à les vaincre. Le chemin de la victoire passe par la prière, bien sûr, et surtout la prière du Notre Père que Jésus nous a enseignée.

1/ La tentation du pain, c’est la tentation de mettre notre confiance dans les biens matériels en oubliant que tout vient du Seigneur : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de Dieu » : « Donne-nous notre pain de ce jour ». 2/ La tentation du pouvoir, c’est l’idée que la puissance vient de nous : nous oublions d’adorer Dieu, source de toute vie : « Que ton règne vienne ». 3/ Et la dernière tentation consiste à vouloir mettre Dieu à notre service, exiger qu’Il réponde à nos demandes et fasse notre volonté : « Que ta volonté soit faite ».

 

Que ces quarante jours soient donc un chemin de vérité, un chemin de conversion, et surtout un chemin de joie : quelle joie plus grande que de nous mettre à la suite de Jésus ? Avec Lui, partons au désert : nous mourrons et nous ressusciterons avec Lui.

 
 
 

Les homélies du temps ordinaire

8ème dimanche du Temps Ordinaire

 

L'intérieur et l'extérieur

 

 « Le disciple bien formé sera comme son maître », nous dit Jésus : dans trois jours ce sera le Carême, et nous essaierons d’être nous aussi, des « disciples bien formés » comme Il le demande ! Être disciple, ce n’est pas toujours facile, car il s’agit d’accepter de suivre un Maître, quelqu’un qui nous conduira dans des directions parfois inattendues ; mais être disciple quand le Maître est Jésus, c’est l’assurance d’atteindre le but recherché. En tout cas, le disciple doit se laisser transformer, se convertir, changer de comportement. Jésus nous invite aujourd’hui, de manière particulière, à la sincérité dans la conversion : ce qui se passe à l’intérieur du cœur, doit se révéler à l’extérieur et porter du fruit, sans quoi nous serons dans le mensonge et l’hypocrisie.

 

La première lecture, le livre de Ben Sira, un écrit de sagesse des derniers siècles avant Jésus [vers 180 av. J.-C.], nous a fait méditer sur cette relation entre l’intérieur et l’extérieur : entre le cœur de l’homme, sa parole, sa manière de vivre. « La parole fait connaître les sentiments ; quand quelqu’un a parlé, c’est alors qu’on peut le juger ». La manière de parler et de vivre, témoigne de ce qu’il y a dans le cœur. Bien sûr, on ne peut jamais juger exactement du cœur de nos frères ; mais le bien ou le mal qu’il y a dans une personne rayonne toujours plus ou moins par son comportement.

Si je veux être sincère, je dois me demander comment faire correspondre mon attitude avec l’orientation de ma vie. Dire : « Je suis généreux » doit se traduire par des actes de générosité, sinon c’est un mensonge ! Dire à quelqu’un : « Je t’aime », si nous ne montrons pas de signes concrets de cet amour, c’est probablement une illusion. De la même manière, beaucoup affirment : « Je suis chrétien » ; oui, mais est-ce que tu pries, est-ce que tu célèbres les Sacrements pour recevoir la puissance du Christ ? Sinon, là encore cela n’a pas beaucoup de sens.

 

Jésus, dans l’Évangile, affirme avec encore plus de force ce besoin de sincérité et de vérité. Nous sommes toujours dans le « discours sur la montagne » [Luc chap. 6], qui est un appel à la conversion. Pour nous convertir en vérité, nous gardons pour modèle le Christ Lui-même : à chaque fois qu’Il nous demande d’agir et d’aimer de manière transparente, nous savons que Lui, Il a fait tout cela avant nous, en allant jusqu’au bout de l’Amour.

Ici, Jésus donne deux directions pour mieux L’imiter et vivre en enfants de Dieu : il s’agit de ne pas juger, et de convertir son cœur. Tout d’abord, Il invite à nous regarder nous-mêmes avant de porter un jugement sur les autres. C’est la célèbre parabole de la paille et de la poutre, qui est très claire. La « poutre » que j’ai dans l’œil, c’est-à-dire mes défauts et mes péchés, il n’y a que moi qui ne la vois pas ! Les autres voient bien mon comportement, comme chrétien, comme père ou mère de famille, comme prêtre… Et quand je juge les « pailles » des autres, ce sont souvent des jugements injustes. La première personne à changer, à convertir, c’est donc bien moi, si j’ai l’honnêteté de reconnaître que je ne suis pas parfait. Ce n’est pas aux autres que je dois me comparer, mais à Jésus ! et je constate bien que je ne vis pas encore dans sa Lumière, comme Il le dit : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? ».

 

La seconde orientation – ce que disait déjà Ben Sira le Sage –, c’est un appel à l’harmonie entre le cœur et la manière de vivre. Jésus le redit : « L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ». La source de tout comportement, c’est le cœur ; il s’agit de revenir au cœur, à l’âme, à ce qu’il y a de plus intime dans notre être, où Dieu nous parle seul à seul. C’est là, dans l’intériorité de l’âme, que l’homme est à la ressemblance de Dieu ; c’est là que tout se décide et que nous faisons nos choix les plus importants. Si nous oublions de prier, si nous négligeons d’entrer dans la profondeur du cœur pour y trouver Dieu, notre vie reste superficielle. On peut “faire du bien” autour de soi, mais sans profondeur ni force. La vie devient une morale : je fais tout bien comme il faut, je suis généreux, mais mon cœur est sec. D’ailleurs, c’est cela que Jésus reproche souvent aux pharisiens : obéir à une loi sans se convertir. Pour que notre manière de vivre soit sincère, notre cœur doit être profondément habité par la présence de Dieu.

 

Être disciples du Christ, c’est donc entretenir l’Amour dans nos cœurs par le don de l’Esprit Saint. Ce sera tout le propos du Carême : non pas “faire des choses”, mais nous convertir en vérité ! Que notre cœur, que notre âme, soient remplis de l’Amour du Seigneur, afin que chacun de nos actes soit un débordement de cet Amour. Ne pas juger, faire le bien : ce sont les signes transparents d’un cœur pur et bon.

 
 
7ème dimanche du Temps Ordinaire

 

La force de refuser la vengeance

« Aimez vos ennemis ; faites du bien sans rien espérer en retour ; et si quelqu’un vous frappe, présentez-lui l’autre joue ! » Ces paroles nous semblent un peu folles, déconnectées de la réalité de nos relations humaines ; un peu comme les Béatitudes que nous avons entendues dimanche dernier, et qui déjà sans doute nous paraissaient extravagantes : « Heureux vous les pauvres, heureux vous qui pleurez… ». Les paroles de Jésus dans l’Évangile, si nous les prenons comme des leçons de morale, n’ont pas beaucoup de sens. Elles ne sont compréhensibles que si nous les recevons à la lumière de la vie de Jésus Lui-même. Lui, Il a été pauvre ; Lui, Il a été persécuté, Il a pleuré ; Lui, Il a pardonné, Il a fait le bien « sans rien espérer en retour », sinon la réconciliation entre l’homme et son Dieu. C’est en regardant Jésus que nous entendons l’Évangile comme ce qu’il est, un appel à la sainteté ; sinon, cela devient un ensemble de recommandations sans valeur.

 

Il s’agit donc d’abord, dans toutes ces paroles, d’imiter Jésus. La règle de vie des chrétiens n’est pas une liste de commandements : la seule règle de vie chrétienne, c’est Jésus Lui-même. C’est ce que développe le discours sur la montagne qui a commencé dimanche dernier, et qui se continue aujourd’hui avec une description de la manière de vivre des chrétiens. Comment vivre vraiment comme Jésus a vécu, puisqu’Il est le modèle de notre humanité ? Comment répandre autour de nous le Bien et l’Amour dont Il a Lui-même rayonné dans sa mission parmi nous, et dont nous avons été comblés au jour de notre Baptême ?

Les recommandations de l’Évangile ne doivent pas nous décourager. Le pardon, le don, l’amour inconditionnel (même des ennemis), présenter l’autre joue, ce sont des dons de Dieu avant d’être des commandements. Au milieu des paroles de Jésus, nous avons entendu une phrase qui est peut-être passée inaperçue : « …et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants ». La motivation pour vivre comme Jésus, ce n’est pas d’être miséricordieux juste parce qu’il est “mieux” d’être sympa avec les autres (plutôt que de vivre dans la rancune). Notre vocation de disciples du Christ est d’être « miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » : parce que Lui, Il est bon pour tous les hommes, parce qu’Il pardonne, parce qu’Il ne se venge pas, parce qu’Il est plus fort que la vengeance. Si nous méditons sur l’Évangile, nous comprenons que la véritable Victoire du Christ sur le Mal [Victoire obtenue par la Résurrection], c’est justement la Miséricorde, et non pas le châtiment. Dieu est vainqueur du Mal, non pas en punissant le pécheur, mais en lui faisant Miséricorde. Et nous pouvons participer à cette Victoire !

 

La première lecture de ce dimanche nous a décrit un bel exemple de miséricorde, de pardon, de clémence de la part du futur roi David envers son persécuteur Saül [anticipation de la Miséricorde du Christ]. David montre qu’il sait pardonner, alors que Saül se comporte de manière totalement injuste envers lui. David pardonne, mais plus encore, en épargnant le roi Saül alors qu’il l’avait à sa merci, il montre par son comportement qu’il est le plus fort. David aurait pu penser que sa force consistait à se venger, à être impitoyable ; il aurait pu tuer sur place son ennemi. Mais alors, il aurait été esclave de sa vengeance, de son image de guerrier impitoyable : il aurait été “forcé” de se venger, et aurait perdu sa liberté. La vengeance serait une obligation, une fatalité. En renonçant librement à se venger, David montre que finalement c’est lui le véritable vainqueur de cette bataille !

Être libre, c’est donc refuser la vengeance. Bien sûr, il ne s’agit pas de nier la justice : il est nécessaire que la justice se fasse en toutes circonstances. En pardonnant, on n’oublie pas. Rétablir la justice (y compris par une punition), c’est rendre possible une nouvelle relation ; tant du côté de la victime (qui a besoin de se reconnaître blessée) que de l’agresseur (qui a besoin de prendre ses responsabilités par rapport à ses actes). La justice est nécessaire ; mais la liberté et la miséricorde sont au-delà de la justice !


La Victoire sur le Mal nous est donc donnée par le Christ ; car la Croix est le lieu par excellence où Dieu a refusé la vengeance. Pour nous aussi, imiter le Christ, être enfants de Dieu, c’est aimer jusqu’au bout en refusant de « rendre le mal pour le mal » : c’est cela la vraie force et la liberté ! Nous ne sommes plus “obligés” de nous venger : nous sommes libres comme Jésus, libres d’aimer, de patienter ; libres d’attendre la conversion du méchant, et de laisser agir la grâce de Dieu. « Ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés : vous serez les fils du Très-Haut » !

 
6ème dimanche du Temps Ordinaire

 

Heureux celui qui ressemble à Jésus !

 

Depuis dimanche dernier, dans l’Évangile de saint Luc, il s’est passé beaucoup de choses. Il y a une semaine nous lisions l’appel des quatre premiers Apôtres, et l’épisode de la pêche miraculeuse ; et puis Jésus a accompli de multiples guérisons (lépreux, paralytique…). Il a encore appelé les huit autres Apôtres ; et Il a aussi dû se confronter aux remarques des pharisiens, car parmi les huit il y avait un collecteur d’impôts, qui était méprisé par ses contemporains. Même les pécheurs, les gens imparfaits, Jésus les appelle et les envoie en mission ! Jésus accomplit donc beaucoup de choses, enseigne et fait des miracles ; mais Il n’est pas d’abord venu pour faire des guérisons étonnantes ni pour entraîner les foules. Par ses paroles, Il explique le sens de sa mission : c’est ce qu’on appelle les Béatitudes. « Heureux les pauvres… ceux qui pleurent… Malheureux les riches, et ceux dont on dit du bien ! ».

 

Nous avons aussi entendu le prophète Jérémie, dont les paroles sont assez proches de celles de Jésus. C’est un thème qui traverse tout l’Ancien Testament, dont Jérémie se fait le témoin : la Bible invite les hommes à compter sur Dieu seul. Le seul chemin de bonheur, pour le peuple d’Israël et pour tout homme, c’est de faire confiance au Seigneur et à sa force. Il y a les « hommes forts », c’est-à-dire ceux qui comptent sur leur propre force : par exemple, les rois des nations païennes qui entourent Israël et lui font la guerre. Ceux-là ne dureront pas, car leur force est éphémère : ils finiront par faiblir, dit Jérémie, « comme un buisson sur une terre désolée ». En revanche, ceux qui comptent sur le Seigneur et mettent leur force en Lui, ceux-là n’auront aucune crainte, ils seront « comme un arbre planté près des eaux » : car Dieu seul est puissant. Tout au long de l’histoire d’Israël, le Seigneur a accompli des merveilles en donnant la force à son peuple : Il l’a libéré d’Égypte malgré la puissance du Pharaon.

 

Les Béatitudes, dans l’Évangile d’aujourd’hui, ressemblent aux paroles du prophète. « Heureux vous les pauvres », dit Jésus, car effectivement vous pouvez compter sur la vraie richesse, qui est votre Père des cieux. Même dans le malheur, Dieu est votre vrai bonheur. Mais ce n’est pas seulement un appel à compter sur Dieu : c’est surtout une invitation à ressembler à Jésus, qui est le modèle parfait de l’existence humaine. Qui a vécu parfaitement la confiance envers le Père, sinon Jésus ? Par tout ce qu’Il fait, Il manifeste qui Il est : le Fils de Dieu, l’exemple idéal de ce que nous pouvons être sous le regard de Dieu.

Jésus donne une parole, mais Il n’est pas d’abord un beau parleur ; Il fait des guérisons, mais Il n’est pas d’abord un guérisseur. Il est le Fils de Dieu, le Sauveur qui réconcilie le monde avec son Père. Et pour cela, Il annonce la Parole de Dieu car tous les hommes ont besoin d’entendre cette Parole ; Il guérit, car la maladie est un signe du désordre lié au péché, à la séparation entre l’homme et Dieu. Et dans les Béatitudes, Jésus décrit la “manière d’être” qui est la sienne, et que nous pouvons imiter avec sa grâce. Celui qui a été pauvre, qui a été rejeté par les hommes, qui a été condamné injustement (« Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous insultent… »), c’est Jésus Lui-même ; et Il a fait de toute sa vie, surtout de sa condamnation et de sa mort, un chemin vers l’Amour de Dieu et vers le salut des hommes. Il nous montre l’exemple de quelqu’un de pleinement « heureux », car Il est dans la parfaite confiance avec son Père. À nous de L’imiter ! Et en sens contraire, Il nous met en garde : « Quel malheur pour vous », dit-Il, si nous refusons d’être comme Lui, si nous nous mettons à la première place, si nous mettons notre confiance dans nos richesses : c’est le meilleur moyen de ne pas connaître l’Amour du Seigneur.

 

Il ne faut donc pas nous tromper quand nous écoutons l’Évangile. Jésus fait de grandes choses par ses paroles et ses actions, mais la plus grande de toutes, c’est bien d’accepter d’être pauvre au milieu de nous. L’amour de Dieu se montre le plus proche quand Jésus se fait pauvre, dépouillé, et même souffrant, comme Il le décrit dans les Béatitudes. Lui aussi, Il sera rejeté, détesté, persécuté, et sa Croix deviendra l’instrument de la réconciliation.

Être « heureux » comme Jésus nous le propose, c’est le seul chemin qui nous assure que le Seigneur est toujours avec nous, quelle que soit notre situation. Il ne nous dit pas qu’il est “mieux” d’être pauvre et malheureux : mais Il nous dit que même dans la pauvreté et le malheur, Il est là, avec nous, puisqu’Il a traversé tout cela. « Heureux sommes-nous », si nous comptons sur le Seigneur seul : Il nous accompagne, et au-delà des épreuves, Il nous conduit vers sa Résurrection.

 
Pastorale de la santé

 

Qui enverrai-je ?
 

Nous sommes encore au début de l’Évangile de saint Luc, après les premières guérisons et l’annonce de la Bonne Nouvelle : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, Il m’a envoyé pour porter la bonne nouvelle aux pauvres » [avant-dernier dimanche]. Jésus, très vite, appelle ses premiers disciples. Ce qui est marquant dans le récit d’aujourd’hui, c’est qu’à l’origine de cet appel, il y a l’échec de l’homme. Pierre et André, Jacques et Jean, sont dans une situation de crise, d’insuccès, car comme Simon-Pierre le dit lui-même : « Nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ». Leur travail a été vain. Et ce n’est certainement pas un hasard, si Jésus vient appeler des hommes au moment même où ils sont dans le désarroi et la difficulté. Être appelé par le Seigneur, c’est justement avoir compris la différence entre un succès facile, un petit bonheur du monde ; et la vraie joie, qui passe par le dépouillement et une confiance intégrale mise dans la Grâce de Dieu. Le Seigneur n’appelle et n’envoie en mission, que ceux qui reconnaissent leur pauvreté.

 

Sans doute, Pierre et les autres disciples devaient-ils expérimenter leur échec et leur faiblesse, pour que la voix de Jésus parvienne à leurs oreilles. Celui qui est comblé, “installé” dans une vie tranquille, n’a pas la disponibilité pour répondre au Seigneur (ni même pour L’entendre). Or c’est justement là, dans la pauvreté et l’échec, que le Seigneur appelle, car Il veut transformer la vie : Il ne veut pas juste procurer une bonne conscience ou du bien-être, mais changer radicalement l’existence de ceux qu’Il veut appeler. Parfois son action est forte, et elle peut effrayer les hommes ; comme saint Pierre qui prend peur devant l’abondance de sa pêche : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur ». Dieu m’appelle pour me conduire à quelque chose que je n’imaginais pas, et dont la grandeur m’effraie ! Mais « sois sans crainte », nous dit Jésus : avec la grâce du Seigneur, tout est possible.

Le prophète Isaïe, de son côté, est moins timoré que Pierre ! Lui, il répond au Seigneur qui demande : « Qui enverrai-je ? ». Isaïe n’hésite pas : « Me voici, envoie-moi ! ». Pourtant, il a expérimenté, lui aussi, le péché de son peuple « aux lèvres impures » ; mais il a compris que cet appel du Seigneur va le rendre capable de dépasser son infidélité. Accueillir dans notre vie la Parole de Dieu, c’est faire l’expérience de sa puissance de transformation. Peu à peu, nous prenons conscience que tout vient de Dieu, et que tout retourne à Dieu. Avec Lui nous devenons capables de l’impossible, car les dons qui viennent de Dieu nous transforment ; et ce que nous accomplissons, nous pouvons en faire une offrande au Seigneur [tout retourne à Dieu !], offrande d’amour qui donne un sens à notre action. C’est cela l’expérience de l’appel du Seigneur et de la mission : au cœur de nos échecs et de nos péchés, nous recevons la présence du Seigneur, nous recevons sa Miséricorde, nous sommes transformés : et nous devenons alors messagers du Seigneur (comme Isaïe) pour annoncer sa puissance et ses merveilles.

 

Cette parole : « Qui enverrai-je ? » nous est donnée aujourd’hui comme thème lié au Dimanche de la santé. Elle dit en particulier que le Seigneur nous envoie auprès des malades, des personnes seules et en précarité. Nous nous souvenons en même temps de cette belle parole de Jésus : « Ce que vous avez fait au plus petit, c’est à moi que vous l’avez fait » [Mt 25,40]. Visiter les malades, cela ne vient pas de notre force personnelle, ni de l’amour toujours limité de notre cœur : c’est un appel du Seigneur qui donne en même temps la force et la joie. Sans cet appel, on perd vite la charité et la sollicitude : on se décourage devant les souffrances. Si le Seigneur n’envoie pas en mission, on ne perçoit pas la joie de la visite et du dialogue ; on ne comprend plus l’importance du dialogue d’amour avec les plus faibles. Le monde actuel nous en montre un triste exemple : la tentation revient sans cesse de se débarrasser des personnes malades et âgées [sous des prétextes qui paraissent humanistes]. En vérité, seul l’appel que Dieu nous lance (« Qui enverrai-je ? ») permet de sortir de soi-même, de son confort et de son égoïsme, pour se confronter à la réalité de la faiblesse humaine, et pour y trouver des signes de l’Amour du Seigneur.


Oui, Dieu appelle, et Il donne la grâce de suivre son appel : nous devenons capables de l’impossible ! En visitant les malades, nous pouvons redire comme saint Paul [deuxième lecture] : « Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu. Je me suis donné de la peine […] mais ce n’est pas moi, c’est la grâce de Dieu avec moi ». Accueillons donc l’appel, et répondons au Seigneur : « Me voici, envoie-moi », et je pourrai porter ton Amour à ceux qui souffrent et qui sont seuls. Avec ta Grâce, tout deviendra possible, la Bonne Nouvelle sera annoncée aux malades !

Présentation du Seigneur au Temple

 

Le don du Seigneur est Lumière

 

Nous voici quarante jours après la naissance du Sauveur à Bethléem : selon la coutume et la Loi de Moïse [Ex 13,14], l’Enfant Jésus est présenté au Temple. Il est ainsi consacré au Seigneur, comme tout enfant juif (surtout les premiers-nés). C’est un usage ancien lié à la purification de la mère après l’accouchement ; mais c’est surtout un rappel de la libération d’Égypte, qui est l’épisode fondateur de toute l’histoire d’Israël. Les premiers-nés avaient été voués à la mort par le Pharaon, car les Hébreux devenaient trop nombreux ; à leur tout, les premiers-nés d’Égypte ont été enlevés par l’Ange de Dieu, au cours de la nuit du passage de la mer Rouge. Le premier-né d’une famille est le signe éminent du don de Dieu, le symbole du don de la vie : en consacrant leurs premiers-nés au Seigneur, les Israélites rendent grâce à Dieu pour ce cadeau. Aller offrir les enfants au Temple de Jérusalem, c’est reconnaître que la vie donnée par Dieu retourne à Dieu.

 

Le Seigneur vient donc se rendre présent dans toutes les dimensions de nos vies. Sans Lui, la vie familiale se ferme sur elle-même ; Lui seul nous ouvre à la grandeur, à l’émerveillement devant le don de la vie. Il y a quarante jours, le Fils de Dieu naissait au cœur d’une famille humaine. Ce n’était pas seulement le don de la vie naturelle, mais la Vie de Dieu qui faisait irruption dans l’intimité de la famille ; et depuis, cette présence de Dieu nous est proposée à chacun, quel que soit notre état de vie.

Ce qui se passe ce jour-là au Temple de Jérusalem, ce n’est pas seulement la consécration d’un enfant. C’est presque le contraire : c’est le Temple lui-même, le lieu de la prière de la communauté (qui représente en quelque sorte tout le peuple de l’Alliance), qui reçoit la présence de Dieu. Le prophète Malachie l’avait annoncé [première lecture] : « Soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez, le messager de l’Alliance que vous désirez ». Dieu se rend présent dans son Temple, mais Il le fait pour la dernière fois ; car désormais, la vraie présence du Seigneur sur terre, c’est en Jésus qu’elle se réalise. Trente ans plus tard, au moment de la mort de Jésus, le rideau du Temple se déchirera [Mt 27,51] : la présence de Dieu ne sera plus localisée en un seul endroit, mais elle s’étendra sur la terre entière par l’Église. Dieu n’habite plus seulement son Temple : Il veut demeurer dans le cœur de l’homme par sa ressemblance avec Jésus, et Il veut que ses dons soient transmis à toute l’humanité.

 

La Présentation de Jésus au Temple anticipe donc le don de Dieu à tous les hommes. Ce que l’Enfant Jésus, porté par sa mère, vient annoncer au Temple, c’est la Nouvelle Alliance : avec Syméon, nous pouvons nous réjouir de l’accomplissement des promesses ! Désormais, l’Alliance ne passe plus par des sacrifices d’animaux, comme on le faisait autrefois au Temple, mais par le don de l’Amour accompli par Jésus. C’est Lui le vrai grand prêtre annoncé par la Lettre aux Hébreux [deuxième lecture] : Il n’offre plus les sacrifices de la Loi de Moïse, mais Il offre sa vie pour porter et enlever les péchés du monde. Lorsque Marie offre son enfant à Dieu comme toutes les mères juives, elle nous fait déjà entrevoir l’offrande de Jésus sur la Croix. Un jour, à nouveau, Marie offrira son enfant ; mais ce sera dans la douleur du Vendredi Saint. Syméon le lui annonce clairement : « Ton âme sera traversée d’un glaive ».

 

Cet épisode de l’Évangile paraît un peu éloigné : on n’y pense vraiment que quand il tombe un dimanche, comme cette année. Mais cela reste une grande fête, car c’est une manifestation de la Lumière de Dieu (comme l’Épiphanie célébrée il y a quatre semaines), et un signe que les promesses du Seigneur s’accomplissent. Syméon, témoin privilégié de cette lumière, chante un cantique que nous connaissons bien [chanté aux Complies, l’office de la fin du jour] : « Mes yeux ont vu ton salut, ta lumière révélée à toutes les nations ». C’est une fête de lumière, d’où le nom traditionnel de Chandeleur [qui vient des « chandelles »] ; lumière du Seigneur qui vient nous sauver, lumière qui illumine le Temple de Jérusalem, qui éclaire le peuple d’Israël, ce « peuple qui marchait dans les ténèbres » [Is 9,1]. Autrefois, le Temple était le lieu où Dieu était présent, mais de manière cachée et à travers les sacrifices : désormais, tous les hommes contemplent le Christ à travers le don de la Vie, le don de l’Amour.

Nous aussi, comme Marie et Joseph, allons vers le Seigneur pour Lui consacrer notre vie, puisqu’Il a voulu nous offrir sa vie. Tous les soirs avec l’Église, nous pouvons redire : « Maintenant, ô Maître, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix : mes yeux ont vu ta lumière et ta gloire ! »

 
3ème dimanche du Temps Ordinaire

 

Faits pour le Seigneur

Nous avons entendu le prologue de l’Évangile selon saint Luc, au début de l’année consacrée à cet Évangéliste. Pour “planter le décor” du récit qu’il va transmettre, saint Luc atteste qu’il a soigneusement enquêté sur « les événements qui se sont accomplis » : c’est-à-dire l’histoire de Jésus, sa naissance, ses paroles et ses actions, sa mort et sa Résurrection. Luc a donc recueilli les témoignages, écouté les divers témoins, et mis en forme tout ce qu’il a appris. S’il explique ainsi sa méthode, c’est pour vérifier la « solidité des enseignements » de l’Église. Ce qui a fondé notre foi, tous ces récits et ces paroles, ce ne sont pas des mythes, ni le résultat d’une illusion. Notre foi est fondée sur la Vérité : Dieu est venu vivre parmi les hommes, Il est intervenu dans notre Histoire humaine [à l’époque d’Hérode, de Ponce Pilate, de tous ces personnages historiques] ; et Il est venu pour nous sauver. L’histoire de l’Évangile, c’est une histoire de Salut, une histoire d’Amour : l’histoire vraie d’un Dieu qui aime les hommes jusqu’au bout. Parce que Luc (et les autres Évangélistes) nous ont transmis tout cela, nous ne tournons plus en rond entre nos doutes et nos désirs : Dieu brise le cercle de notre enfermement et de notre désespoir, pour nous ouvrir à Lui.

 

Nous avons besoin d’entendre la Parole de Dieu, car justement elle nous ouvre et nous élève ; elle nous donne une nouvelle Espérance. Sans cette Parole, nous ne savons pas comment orienter notre vie. Dans l’épisode très touchant de la première lecture [Livre de Néhémie], les Israélites sont revenus de l’exil à Babylone après plusieurs décennies, ils ont oublié la Parole du Seigneur, ils ne savent plus comment vivre ; et Esdras leur fait la lecture de cette Parole, de cette Loi de Sagesse donnée par le Seigneur. C’est un moment de joie et en même temps de tristesse : on voit le peuple simultanément jubiler et pleurer ! En effet, c’est une immense joie d’entendre parler le Dieu d’Israël, le Dieu fidèle à son Alliance ; mais c’est aussi une émotion intense de se rendre compte qu’on a été éloigné de Dieu pendant si longtemps, et qu’on a été infidèle. Le contact avec la Parole de Dieu révèle à l’homme la grandeur de sa vocation, l’extraordinaire appel de l’homme à vivre avec son Dieu ; mais aussi, nous prenons conscience de notre petitesse, de notre péché, de la différence entre l’appel du Seigneur et la faiblesse de notre réponse.

Voilà pourquoi il est si important de redire, comme saint Luc dans le prologue de son Évangile, que Dieu est vraiment venu nous sauver. Sans Lui, nous nous enfermons dans nos fautes, dans nos insuffisances, ou dans notre orgueil ; Lui seul a la puissance de nous libérer de notre isolement et de nous réconcilier avec Lui, avec nos frères, et avec nous-mêmes. Nous ne devons jamais oublier cet appel de Dieu à la vraie liberté. Or trop souvent, nous nous contentons de nos petites faiblesses quotidiennes. Parce que le monde est ce qu’il est, parce que le mal est autour de nous, nous finissons par nous y habituer, et nous oublions de lever les yeux vers Dieu ; nous oublions que Jésus est venu nous sauver, nous ressusciter, faire de nous une nouvelle création ! Il est important de garder en même temps, comme les Israélites du retour d’exil, les larmes et la joie : les larmes du péché, la joie du salut. Si nous ignorons cela, notre cœur se dessèche et se durcit. Ne pas espérer dans le Seigneur, c’est toujours tomber dans le désespoir.

 

Lorsque Jésus parle dans la synagogue de Nazareth, Il annonce la Bonne Nouvelle du Salut, et les hommes entrent dans une nouvelle Espérance. « Le Seigneur m’a consacré, Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle, la libération ». Tous les enfermements des hommes (prison, pauvreté, cécité, injustices…), tout cela va être brisé par le Seigneur. Jésus vient rendre l’homme à lui-même, mais plus encore, Il vient réconcilier l’homme avec son Dieu en lui annonçant la Parole. La vie de l’homme ne trouve son sens que par la présence de Dieu, et cette présence s’accomplit dans la Personne de Jésus.

C’est pour cela que nous honorons les Saints [particulièrement saint Antoine] : leur mission, c’est de nous rappeler que l’Amour du Seigneur est préférable à tout le reste. Certains Saints ont été déraisonnables aux yeux du monde (ils ont tout quitté pour l’Amour de Dieu !) : ainsi, ils nous ont montré que la seule quête qui donne un sens à la vie, c’est de chercher le visage du Seigneur. Ils ont eu des vocations différentes, car les dons de Dieu sont divers [comme nous l’a rappelé saint Paul, deuxième lecture] : mais personne n’est tenu à l’écart de l’appel de Dieu. Les moins honorables aux yeux des hommes sont peut-être les plus proches de Dieu ! Mais l’essentiel est le même pour chacun : écouter la voix du Seigneur, accueillir le Christ dans notre vie, chercher son visage, Le prier, être sauvé et renouvelé ; et transmettre aux autres l’Amour que nous avons reçu. « Le Seigneur m’a envoyé porter aux pauvres la Bonne Nouvelle du Salut ! »

 

 
2ème dimanche du Temps Ordinaire

 

La fidélité du Seigneur

Au début de ce Temps de l’Église (« Temps ordinaire » après l’Épiphanie), nous méditons un épisode bien connu de l’Évangile selon saint Jean, celui des noces de Cana. Nous savons l’importance de ce passage, surtout en ce qui concerne le rôle de la Vierge Marie : c’est elle qui vient trouver Jésus, qui Lui apporte les difficultés des hommes, c’est elle qui prie pour eux. Et c’est encore elle qui nous invite à écouter son Fils : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ». Marie est la priante, celle qui intercède et nous montre le chemin vers Dieu. Elle exerce pleinement sur nous son rôle de Mère, en nous conduisant vers le Père, en nous montrant l’exemple de la foi et de la confiance.

Cet épisode se déroule au cours d’un mariage, ce qui n’est pas dû au hasard. Dans cet Évangile, Marie n’est pas seulement la Mère : elle est aussi l’Épouse, par sa confiance, par son Espérance et son amour. D’ailleurs, on peut noter que dans ce récit de mariage, l’épouse n’est pas présente… saint Jean veut nous dire quelque chose par cette absence ! L’Épouse, c’est donc Marie, qui représente la fidélité et l’engagement face à Dieu. Quant au marié de ces noces, il n’est pas très présent non plus ; on voit bien que Jésus a le premier rôle, Lui qui redonne la joie aux invités par l’abondance du « bon vin ». Jésus est l’Époux de l’Église ; Il la comble de ses bienfaits et lui donne la vraie joie.

Ce récit des noces de Cana est donc une histoire de fidélité mutuelle entre Dieu et les hommes. L’humanité est représentée par Marie, fidèle à la prière incessante, qui garde une confiance inaltérable ; et le Christ est fidèle à son Alliance, à son engagement envers le peuple qu’Il a épousé (comme nous le voyons déjà dans la première lecture : « Le Seigneur t’a préférée, et cette terre deviendra “L’Épousée” »). La fidélité de Dieu envers l’homme, et la fidélité (parfois fluctuante…) des hommes pour Dieu, ce dialogue incessant : tout cela rend possible l’abondance des dons de Dieu et la joie des hommes : « Tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant ! ».

 

Dans la deuxième lecture de ce dimanche, saint Paul parle justement aux Corinthiens des dons de Dieu. Il leur montre à quel point le Seigneur veut combler avec abondance les cœurs des croyants. Depuis que l’Esprit saint a été donné à l’Église le jour de la Pentecôte, ce même Esprit ne cesse d’être envoyé aux enfants de Dieu. Et Paul insiste sur la variété des dons de l’Esprit, tout en affirmant que tous les dons faits aux hommes viennent « du même Dieu qui agit en tous, en vue du bien ». Parce que nous recevons l’Esprit saint, nous demeurons dans la fidélité au Seigneur ; ce n’est pas en nous-mêmes que nous trouvons la force et la fidélité, mais dans les dons de la Grâce de Dieu. Et le plus extraordinaire, c’est justement que chacun reçoit un don spécial pour rester fidèle dans la particularité de sa vocation. Nous pouvons admirer tous les Saints, car chacun a reçu un don particulier. La charité de saint Martin envers le pauvre qu’il rencontre, n’est pas exactement la charité de sainte Mère Teresa envers les délaissés de Calcutta ; et pourtant, c’est le même Esprit qui rend chacun fidèle à sa vocation. Les dons de l’Esprit que j’ai reçus lorsque j’étais enfant ne sont pas ceux dont j’ai besoin aujourd’hui pour rester fidèle au Seigneur ; ni ceux dont j’aurai besoin lorsque arriveront l’âge et la maladie… Mais c’est toujours le même Esprit et le même Amour.

Dieu reste fidèle en toutes circonstances, comme un époux à son épouse. Lui, Il ne change pas ! Mais Il nous donne ce dont nous avons besoin pour persévérer dans la fidélité tout au long de nos vies. Nous avons reçu l’Esprit saint, le Seigneur s’est engagé envers nous, Il nous a « épousés », et son Amour ne cessera jamais.

Cette relation entre Dieu et l’humanité demeure à tout moment, puisque c’est un engagement éternel. Sans cesse, le Seigneur nous redit ce qu’Il disait par la bouche du prophète Isaïe [première lecture] : « Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu ». Il est heureux de voir notre foi, et Il nous donne le « bon vin » de sa joie !

Nous sommes donc certains de ses dons ; et nous, notre manière de vivre doit être une réponse digne de l’engagement de Dieu. Sommes-nous fidèles dans nos vies, dans nos engagements ? Dans un monde mouvant, où tout est sans cesse remis en question, est-ce que nous gardons la constance, la persévérance, qui sont des signes d’amour ? Gardons l’exemple de Marie, qui a toujours été fidèle dans les épreuves : elle nous redit aujourd’hui : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ». En restant fidèles à l’Évangile, à la volonté du Seigneur et à nos promesses, nous répondons à l’engagement de Jésus, l’Époux fidèle ; et comme l’Épouse, nous faisons la « joie de notre Dieu » !

 

Les homélies du temps de l'Avent


Maison paroissiale

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