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Fête du Christ-Roi — Le Roi de Vérité
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
En ce dernier dimanche avant l’Avent, il ne nous est pas facile de méditer sur le Christ Roi : dans notre régime républicain, la figure du Roi ne nous est plus tellement familière ! Mais c’est peut-être justement cela qui va nous aider à mieux comprendre comment Jésus se révèle comme Roi. Il n’est pas Roi à la manière des rois du monde, des empereurs, des dominants, ni bien sûr des tyrans et des dictateurs. Alors que nous n’avons plus de roi en France depuis cent soixante-dix ans, il nous reste Celui qui est notre vrai Roi, parce que son Règne est un règne d’amour et de paix. Ce à quoi nous aspirons, c’est le Royaume de Dieu où le mal et la mort seront vaincus. Qui est donc ce Roi de paix, Celui qui nous donnera le Royaume ?
L’Église nous propose aujourd’hui un dialogue extrêmement important de l’Évangile, celui entre Jésus et Ponce Pilate. C’est une lecture qui peut paraître surprenante, car à ce moment-là, Jésus n’a rien d’un Roi : Il est condamné à mort, abandonné par les siens, hué par une foule hostile… Nous voyons donc un homme faible, démuni ; face à Lui, il y a Pilate, l’homme fort, le chef qui a derrière lui toute la puissance de l’Empire romain. Apparemment, le “roi” dans cette rencontre, ce serait plutôt le Romain !
Et pourtant, celui qui est Roi, c’est justement Celui auquel on ne pense pas. Jésus dit : « Je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la Vérité ». Le vrai Roi, c’est Celui qui témoigne de la Vérité. La puissance des empires et des armes ; la force de l’argent, du pouvoir, des opinions, de l’idéologie : tout cela ne se maintient que par la contrainte et la peur. Et ces puissances, finalement, ne tiennent pas très longtemps, car comme le dit Jésus à un autre endroit, elles sont « fondées sur le sable » [Mt 7,26]. Tant d’empires se sont écroulés alors qu’on les croyait éternels ! Mais ce qui demeure, c’est la Vérité. Le mensonge finit toujours par être révélé ; les idéologies se perdent, et les dictatures s’effondrent. La seule chose qui change véritablement le monde, c’est la Vérité : dire la Vérité, et surtout, faire la Vérité. Le saint Pape Jean-Paul II a été témoin vivant de la victoire de la Vérité sur les mensonges et les hypocrisies ; et cette victoire a transformé l’histoire du monde.
La royauté de Jésus, dit-Il, « n’est pas de ce monde » : sa royauté, sa souveraineté, s’exercent en nous « délivrant de nos péchés par son sang » [Apocalypse, deuxième lecture]. Jésus est Roi parce qu’Il a donné sa vie par Amour, et qu’en même temps Il nous offre à son Père comme un sacrifice agréable. La Vérité dont Jésus a témoigné, c’est que la Création, le monde tout entier, vient de Dieu et retourne à Dieu. C’est ainsi que nous vivons notre vocation ; loin de Dieu, nous ne trouverons jamais la paix et l’harmonie. C’est parce que Jésus fait de nous une offrande à Dieu son Père, que nous entrons déjà dans le bonheur éternel.
Dans le Livre du prophète Daniel [première lecture], nous avons entendu la vision grandiose de la royauté du Messie : « Il lui fut donné domination, gloire et royauté. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas ». La finalité du monde, c’est que tout soit soumis à cette royauté. Pourquoi ? Parce que c’est le sens de la Création : nous sommes créés par le Seigneur, et nous sommes créés pour le Seigneur. Le Christ Jésus nous montre la direction, le seul vrai sens de notre vie. Un monde qui veut se détacher de l’Amour de son Créateur n’a aucun sens, il avance vers le néant.
C’est cela la Vérité dont Jésus est le Roi. Face à Pilate, Il redit qui est Dieu : un Dieu d’Amour, qui n’hésite pas à donner son Fils pour sauver les hommes. Le péché nous avait éloignés de Dieu : Jésus nous réconcilie en aimant jusqu’au bout. Le Royaume dont Jésus est Roi, nous fait retrouver le chemin vers notre Dieu, puisque nous avons été créés pour Lui.
La Vérité révélée par Jésus nous montre donc la grandeur de notre dignité d’hommes et de femmes. Nous sommes images de Dieu, enfants de Dieu, créés par Dieu et pour Dieu : rien ne peut nous enlever cette dignité. Nous pouvons même nous aimer les uns les autres, parce que nous sommes tous à l’image de Dieu.
Jésus est notre Roi, le Roi de Vérité : ni le pouvoir politique, ni les opinions, n’ont de pouvoir sur les enfants de Dieu. L’autorité de l’État ne peut aller sur le domaine de la vie, de la mort, de l’esprit de l’homme, de la liberté spirituelle ; car cela appartient à Dieu seul. En accueillant Jésus comme notre Roi, Dieu comme notre Père, nous sommes vraiment libres de faire la Vérité, à l’image de Dieu !
Trente-troisième dimanche du Temps Ordinaire — Le Seigneur fera justice
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Jésus « parle à ses disciples de sa venue », car cette venue arrivera un jour : Jésus reviendra. Nous ne savons pas la date de l’événement ; mais dans l’Évangile, nous sommes souvent invités à veiller, à garder notre vigilance. Jésus reviendra, et nous avons à L’attendre ! Si nous écoutons aujourd’hui ces paroles, qui annoncent la “fin des temps”, c’est parce que nous arrivons à la fin de l’année liturgique : dans quinze jours ce sera une nouvelle année, avec l’Avent et l’attente de la venue du Seigneur à Noël. Chaque changement d’année marque un certain bouleversement : alors nous nous tournons aujourd’hui vers le “grand bouleversement”, qui signera la fin de la vie actuelle, et l’ouverture vers quelque chose de complètement nouveau, avec le Seigneur.
Il nous est bon, de temps en temps, d’écouter ces paroles pour nous rappeler que Jésus reviendra : pour nous rappeler aussi que notre monde, avec sa beauté mais aussi ses violences, n’est pas éternel. Nous, qui sommes devenus enfants de Dieu par le Baptême, nous avons reçu un germe d’éternité et nous vivrons éternellement ; mais le monde actuel finira un jour, le monde nouveau arrivera [Apocalypse 21,5], et tout sera transformé. C’est notre Espérance la plus grande, la plus belle, qui ne nous détourne pas de notre vie actuelle, mais qui lui donne tout son sens.
L’Évangile nous promet donc le retour du Christ. Dans un instant, en proclamant le Credo, nous dirons la même chose : « Il reviendra dans la gloire, pour juger les vivants et les morts ». En écoutant ces paroles, nous pourrions d’abord avoir peur : peur surtout du jugement, car personne n’aime être jugé (et encore moins puni !). Mais quand nous parlons de jugement, l’important est de bien comprendre ceci : le jugement de Dieu n’est pas celui des hommes. Quand Dieu juge, on peut plutôt dire qu’Il fait justice : Il reviendra pour faire justice aux pauvres, aux opprimés. Les Psaumes, par exemple, sont remplis d’appels à la justice de Dieu : « Seigneur fais-moi justice, je suis persécuté, des méchants me poursuivent, je suis tout seul face aux oppresseurs… » [p.ex. Ps 17(16),1]. Notre monde est plein d’injustices, de violences… Qui ne crierait pas vers le Seigneur pour Lui demander de faire justice ? Le retour du Christ, le jugement, c’est donc d’abord cela : rétablir ce qui est juste, ce qui est Bien, là où il y a le mensonge, la détresse, la violence.
C’est pourquoi il est bon et nécessaire d’attendre le retour de Jésus dans sa Gloire. Nous avons tous besoin de justice et de lumière ; lorsqu’Il reviendra, le monde entier sera illuminé par sa présence. Il n’y aura plus le mal, ni la souffrance ni la mort : Jésus sera vainqueur, et nous avec Lui.
Que disent les lectures de la Bible, quand on y parle du retour de Jésus ? À vrai dire, ce que nous venons d’entendre dans l’Évangile n’est pas très rassurant ! Jésus décrit des catastrophes, des détresses ; le monde entier, jusqu’aux étoiles et aux planètes, sera ébranlé par un cataclysme général. Dans la lecture du prophète Daniel [première lecture], en revanche, c’est plutôt le Salut qui est annoncé : le peuple sera délivré, l’archange Michel se lèvera, les morts ressusciteront, les sages et les justes brilleront éternellement. Ce qui est à retenir, c’est surtout cette présence de la Lumière de Dieu qui s’étendra sur l’univers. Dieu est Lumière, mais le péché nous plonge dans l’obscurité : nous avons donc besoin de cette lumière pour nous-mêmes, pour notre manière de vivre, pour éviter de nous enfermer dans l’obscurité. Le Seigneur nous dit qu’Il viendra nous éclairer, pour que toute notre vie soit éternellement dans la lumière et dans l’amour. Nous désirons sa Lumière… et en même temps nous avons tendance à la craindre, car elle viendra jusqu’au fond de nos cœurs pour révéler notre péché !
Le retour du Christ, c’est donc quelque chose que nous devons garder à l’esprit. Se souvenir qu’Il reviendra, ce n’est pas avoir peur de Lui, ni vivre le nez en l’air en attendant le grand jour. En espérant la venue du Seigneur, nous vivons dès maintenant dans sa Lumière. Jésus est là et Il reviendra : nous ne pouvons pas nous endormir dans les habitudes, ni la négligence ; et encore moins dans l’injustice. Et nous ne risquons pas non plus le désespoir, puisque nous savons qu’Il est vainqueur. Si nous pensons que les ténèbres dominent, que le monde ne sera jamais lumineux, et que le mal n’est jamais puni ni éliminé, alors notre vie n’a aucun sens : cela signifierait que Dieu est indifférent à ses enfants !
Mais notre Espérance est la plus forte. Jésus est venu il y a deux mille ans pour nous sauver : Il reviendra un jour, pour nous délivrer définitivement, pour faire justice, pour nous donner le monde nouveau où régneront l’Amour et la Lumière. « Le ciel et la terre passeront ; les paroles de Jésus ne passeront pas ! »
Trente-deuxième dimanche du Temps Ordinaire — Libres car le Seigneur s'occupe de nous
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Depuis la semaine dernière, nous écoutons l’enseignement de Jésus, une fois arrivé à Jérusalem. C’est là qu’Il accomplira pleinement sa mission : Il va donner sa vie, mourir et ressusciter pour nous. Tant qu’Il était dans la campagne, en Galilée, Il pouvait annoncer paisiblement le Royaume de Dieu ; mais à Jérusalem, la situation est différente. C’est la ville du Temple, la ville où la Loi de Moïse est enseignée : Jésus se heurte de plus en plus à ceux qui ne vivent que de la pratique de la religion juive, les scribes, les pharisiens ; ceux-là ne supportent pas l’enseignement nouveau donné par ce jeune Galiléen entouré de ses disciples. On peut donc imaginer que lorsque Jésus commence un discours par : « Méfiez-vous des scribes… », leur hostilité ne va pas se calmer !
Ce qui nous est dit à travers ces premières paroles, c’est évidemment qu’il faut rejeter toute hypocrisie. Ceux qui, comme le dit Jésus, « font de longues prières pour l’apparence », mais qui en réalité « dévorent les biens des veuves », ceux-là ont un comportement qui n’est pas acceptable. La manière de vivre doit être en harmonie avec les paroles et les convictions, sans quoi on s’enfonce dans le mensonge. Et l’Amour de Dieu ne s’accommode pas du mensonge.
Il s’agit donc de faire la vérité ; mais l’enjeu derrière ces paroles, c’est aussi de savoir si nous sommes libres. Agir librement, c’est agir par conviction, par choix personnel et par souci de la vérité ; non pas agir pour être remarqué des autres. Si nous faisons les choses pour soigner notre apparence, nous devenons esclaves de notre image, et nous ne sommes plus libres. Les pharisiens et les scribes se comportaient de manière à être remarqués, afin que tout le monde admire leur piété, leur religiosité. Aujourd’hui, ce serait plutôt le contraire : pour être “à la mode”, mieux vaut être incroyant, sceptique, railleur… Mais finalement, qui est vraiment libre ? Jésus nous montre le parfait modèle d’un homme libre : affirmer sa foi, témoigner de Dieu face aux autres, c’est le plus grand signe de liberté. Les martyrs eux aussi, à la suite du Christ, ont pleinement vécu cette liberté.
Il y a une personne dans l’Évangile qui montre qu’elle est vraiment libre ; et déjà dans la première lecture [l’histoire du prophète Élie], un même exemple de liberté nous était donné. Dans les deux cas, il s’agit d’une veuve, c’est-à-dire une personne qui est dans la pauvreté car elle n’a plus de soutien pour vivre. La femme que rencontre le prophète Élie est dans la misère : elle n’a plus rien, il ne lui reste qu’un peu de farine pour faire un dernier petit pain. Après quoi, dit-elle, « nous le mangerons, et puis nous mourrons ». Elle est tellement pauvre qu’elle est résignée : plus rien n’est possible pour elle, sinon la mort. Elle n’a aucune liberté, elle est entraînée par la misère et la fatalité.
C’est dans cette situation qu’Élie va apporter à cette veuve la liberté de Dieu. Être pauvre devant le Seigneur, ce n’est pas être dans la misère, ni être le jouet de la fatalité : c’est s’abandonner entièrement au Seigneur, ne compter que sur Lui. La femme accepte d’avoir confiance, de faire ce que le prophète lui dit : et elle reçoit de Dieu le don de la vie. Elle est passée d’une pauvreté subie, misérable, à la pauvreté devant Dieu. Elle compte sur le Seigneur, et sa pauvreté devient richesse : « La jarre de farine ne s’épuisa pas, et le vase d’huile ne se vida pas, comme l’avait dit le Seigneur ».
L’autre veuve, celle de l’Évangile, a aussi choisi de faire confiance au Seigneur. Elle est dans une grande pauvreté, mais elle décide librement de « prendre sur son indigence » comme le dit Jésus : elle donne tout ce qu’elle a, par amour pour le Seigneur. Au lieu de subir sa situation, elle en fait un chemin de générosité. Même dans sa misère, elle montre qu’elle est libre d’aimer et de donner !
À travers l’exemple de ces deux femmes pauvres, nous sommes invités, nous aussi, à exercer la vraie liberté, qui ne dépend que de nous. Décider de faire confiance au Seigneur, c’est reprendre sa vie en main. Nous ne sommes pas le jouet de la fatalité, ni des circonstances. Nous n’avons pas été créés par le hasard, mais par l’Amour de Dieu ; nous ne sommes pas conduits par un destin aveugle, mais par la présence d’un Père plein de sollicitude. Comme le dit Jésus dans un autre évangile : « Les cheveux de votre tête sont tous comptés. Soyez sans crainte ! » [Luc 12,7].
Quelle que soit notre pauvreté, et même si nous savons que nous sommes pécheurs, il est bon de nous confier au Seigneur : c’est ainsi que nous devenons libres, acteurs de notre vie et non pas spectateurs. Jésus a été parfaitement libre jusqu’au bout, jusqu’au don de soi : Il a toujours agi librement et par Amour. Comme Jésus, dans nos difficultés, nous pouvons toujours vivre librement, par amour ; rien ne peut nous priver de notre liberté, car nous sommes enfants de Dieu !
Solennité de tous les Saints — Remplir le monde de sainteté
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures de cette grande fête.
Ce que veut le Seigneur pour nous, c’est le bonheur : nous venons d’entendre neuf fois de suite le même mot : « Heureux » ! Mais pour nous chrétiens, ce bonheur porte un nom : il s’appelle tout simplement la sainteté. En célébrant aujourd’hui la fête de tous les Saints, nous célébrons le bonheur donné par Dieu à une multitude d’hommes et de femmes (dont nous ne connaissons que quelques-uns d’entre eux). Un bonheur éternel, un bonheur infini, qui correspond à un bonheur qu’ils ont déjà vécu quand ils étaient parmi nous. Ils ont fait un choix fondamental dans leur vie, qui a pu être varié : certains ont été martyrs et ont versé leur sang, d’autres sont partis au bout du monde pour témoigner de l’Évangile ; il y en a qui ont eu une vie discrète, certains n’ont même pas été remarqués… Mais ils ont choisi de ne vivre que de l’Amour de Dieu. C’est cela le vrai bonheur qui leur a été promis, non seulement pour l’Éternité, mais dès leur vie sur terre. Ils ont choisi un bonheur qui n’est pas la poursuite des “petits plaisirs de la vie”, mais une orientation de toute l’existence vers l’Amour. Les Saints sont des exemples pour nous, des grands frères, des modèles, et ils continuent aujourd’hui de nous aider par leur prière.
Le Livre de l’Apocalypse [première lecture] nous a décrit une « foule immense que nul ne pouvait dénombrer, de toutes nations, peuples et langues ». Les Saints sont nombreux : une foule au-delà de ce qu’on peut imaginer. La sainteté n’est pas réservée à une élite : il ne faut pas confondre les Saints avec des héros des films d’aventure. Les héros sont des gens rares, des gens formidables qui sont vainqueurs avec leurs propres forces : les Saints, eux, n’ont compté que sur la puissance de Dieu. Et ils ont souvent accompli de grandes choses ! La sainteté n’est pas la sainteté des hommes, la sainteté de Pierre, Paul ou Jacques : c’est la sainteté de Dieu, ce Dieu auquel nous chantons à la messe : « Saint, saint, saint, le Seigneur, Dieu de l’univers ». Et pour recevoir cette sainteté, ce n’est pas difficile : il suffit d’ouvrir son cœur à la présence du Seigneur. Il donne avec générosité la sainteté aux hommes, puisqu’Il ne veut que leur bonheur.
C’est pour cela que les Saints sont si nombreux : il y a ceux qui sont connus, et ceux qui sont inconnus ; ceux que nous n’avons jamais rencontrés, et ceux qui nous ont entourés : peut-être un ami discret ou une grand-mère priante… Il leur a suffi de chercher à vivre de l’Amour de Dieu. Ils ont compris que pour aimer vraiment, pour vaincre le mal, il ne suffisait pas de compter sur ses propres forces : il fallait laisser entrer dans leur cœur un Amour qui les dépassait. Ils ne se sont pas renfermés sur eux-mêmes : ils ont accueilli dans leur vie cette présence transformante, et en ont vécu. Et à partir de cette présence du Seigneur dans leur cœur, ils ont pu remplir le monde de l’Amour de Dieu. Cela n’a pas toujours fait la Une des journaux, comme pour Mère Teresa ! Mais de manière souvent discrète, ces cœurs pleins de foi et d’Amour ont été comme des petites lumières disséminées dans le monde, qui ont illuminé les obscurités et les conflits des hommes. Un cœur habité par l’Amour de Dieu rayonne toujours, bien plus que n’importe quelle générosité humaine.
Et nous, nous sommes les héritiers des Saints ! Ceux qui ont transmis au monde l’Amour de Dieu continuent d’être présents auprès de nous, pour nous transmettre, à notre tour, leur exemple de foi et d’Espérance. Nous nous rappelons que notre Baptême nous a déjà configurés au Christ, rendus participants de la nature de Dieu [2Pierre 1,4] ; comme nous l’a dit saint Jean dans la deuxième lecture, « nous serons semblables à Dieu, car nous Le verrons tel qu’Il est ». Suivre l’exemple et la prière des Saints, c’est être nous-mêmes des Saints, à l’image du Seigneur : c’est-à-dire remplir le monde de la présence de Dieu. Ce n’est pas difficile, ce n’est pas une “mission impossible” ! puisque celui qui est à l’œuvre, ce n’est pas nous : c’est Dieu. Là où quelqu’un choisit de vivre sincèrement de l’Amour de Dieu, le Royaume des cieux est déjà présent : les Saints du ciel et les Saints de la terre sont en union les uns avec les autres.
Alors oui, « heureux les pauvres, les doux », heureux même « ceux qui pleurent », dit Jésus ; parce qu’ils ne comptent que sur la présence du Seigneur comme seule richesse, comme seule consolation. Vivre dans l’Amour de Dieu, c’est déjà entrer dans le Royaume, dans la Vie éternelle. En communion avec tous les Saints du ciel, nous faisons désormais partie de la « foule immense » de ceux qui reçoivent tout de Dieu, et qui peuvent remplir le monde de son Amour.
Trentième dimanche du Temps Ordinaire — Grand prêtre selon l'ordre de Melchisédek
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Nous avons entendu une très belle méditation, dans la Lettre aux Hébreux [deuxième lecture], sur Jésus qui est le grand prêtre pour l’éternité. C’était déjà une prophétie du Psaume [110(109)], qui disait au Messie : « Tu es prêtre à jamais selon l’ordre du roi Melchisédek » [parole qui est citée dans ce passage de la Lettre aux Hébreux]. Jésus accomplit la prophétie : Il est le grand prêtre, le prêtre unique qui remplace tous les prêtres de l’Ancienne Alliance. Il se trouve entre Dieu et nous, pour « intervenir en faveur des hommes » et « offrir des sacrifices ». En fait, il n’y a plus besoin d’offrir des sacrifices d’animaux comme on le faisait au Temple de Jérusalem : Jésus a offert l’unique Sacrifice, celui de la Croix ; et Il a ainsi accompli pleinement sa mission de grand prêtre.
Ce thème du grand prêtre est essentiel dans notre foi, car il nous permet de mieux comprendre la signification de la Croix, de la Résurrection ; et ainsi, de mieux vivre l’Eucharistie qui nous rassemble chaque dimanche [Et nous pouvons mieux saisir qui sont les prêtres de la Nouvelle Alliance, ceux qui servent le peuple chrétien par la Messe et les Sacrements].
Jésus est le grand prêtre car Il permet aux hommes de rencontrer Dieu. Il rend possible la relation (et même la réconciliation) entre le Père et les hommes. On peut dire que Jésus offre les hommes au Père, car Il partage notre nature humaine ; et Il offre le Père aux hommes, car Il est le Fils du Père. Le passage que nous avons entendu insiste fortement sur la proximité du grand prêtre avec les hommes : « Il est capable de compréhension envers ceux qui commettent des fautes […] car il est, lui aussi, rempli de faiblesse ». Jésus a voulu partager notre nature humaine, notre faiblesse ; à Noël [dans deux mois], nous nous émerveillerons devant la douceur, la pauvreté de l’Enfant de la crèche. Mais ce n’est pas tout. Jésus n’est pas venu partager notre faiblesse pour nous laisser tels que nous sommes : Il est venu pour nous sauver, pour nous élever vers le Père. Notre faiblesse, à l’image de Jésus, devient un chemin vers Dieu, une voie de réconciliation. Le grand prêtre fait de tous les croyants des enfants de Dieu.
C’est pourquoi il est tellement essentiel de nous attacher de plus en plus à la Personne de Jésus. Lui seul nous dit qui nous sommes : en même temps faibles et pécheurs, mais appelés à vivre dans l’Éternité de Dieu. Tout seuls, nous ne savons pas où nous allons, ni comment vivre. Au contact de Jésus, le grand prêtre, nous nous reconnaissons tel que nous sommes ; nous prenons conscience de notre soif d’amour, de notre désir de réconciliation. Nous pouvons faire la vérité sur notre vie, comprendre ce que nous devons changer pour mieux aimer ; écouter l’appel que Dieu nous lance, répondre à notre soif d’infini.
De la même manière, c’est au contact de Jésus, le grand prêtre, que le fameux Bartimée – l’aveugle de l’Évangile – a pu faire la vérité sur lui-même. Dans cette scène que nous avons entendue (et que nous méditons souvent), il est toujours frappant d’assister au dialogue entre Jésus et Bartimée. Il y a au début ce cri presque désespéré de l’aveugle : « Fils de David, prends pitié de moi ! » : un cri qu’il répète plusieurs fois, au point d’importuner les passants. Et puis il y a la réponse de Jésus : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? ». Le Christ lui demande de faire la vérité sur lui-même : Il ne veut pas le guérir d’un simple geste désinvolte, mais Il exige sa participation. Bien sûr, Bartimée est bien conscient qu’il ne voit pas, et qu’il désire retrouver la vue ; mais la liberté de l’homme est essentielle. « Que veux-tu ? » Veux-tu voir ? Quelle est ta situation, et quels choix veux-tu faire pour avancer ? Jésus ne pourra accomplir sa mission de grand prêtre, que si cet homme désire de tout son cœur connaître Dieu. C’est en même temps une décision humaine, et une grâce de Dieu : au contact de Jésus, Bartimée peut commencer à faire la vérité sur sa situation, et exprimer qu’il a besoin de l’action de Dieu pour vivre. En entendant la réponse de l’aveugle : « Que je retrouve la vue ! », Jésus pourra offrir Dieu à cet aveugle, lui redonner la lumière ; et comme grand prêtre, Il peut en même temps offrir la vie de Bartimée à son Père, pour qu’Il en fasse son enfant.
Le grand prêtre prend donc sur Lui la vie, la faiblesse des hommes : celle de Bartimée et la nôtre. Il nous guérit, nous réconcilie, et fait de nous une offrande à son Père. Nous aussi, nous sommes libres, et Jésus attend notre réponse : « Que veux-tu ? ». Librement, volontairement, nous devenons prêtres à la suite de Jésus pour offrir à Dieu ce que nous sommes. Quand nous venons à la Messe, n’oublions pas d’apporter avec nous nos faiblesses, nos aveuglements, et de les offrir dans l’Eucharistie. « Seigneur, que je retrouve la vue ! » : Jésus, le grand prêtre, nous donne la Lumière et nous réconcilie avec son Père.
Vingt-huitième dimanche du Temps Ordinaire — La vraie conversion
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Au commencement, il y a la question de cet homme qui vient voir Jésus : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » Nous ne savons pas grand-chose de cet homme, sinon qu’il est riche, qu’il est croyant, qu’il observe les commandements de Dieu ; et aussi, dans le passage parallèle de saint Matthieu [19,16], qu’il est jeune. En tout cas, même s’il a de l’argent, il n’hésite pas à se mettre à genoux devant Jésus, signe qu’il est aussi humble, et qu’il se reconnaît pauvre. Il pressent que Jésus seul peut lui donner la vraie richesse, c’est-à-dire la « vie éternelle ».
Aujourd’hui, on dirait que cet homme a « tout pour être heureux » ; et pourtant, il sent bien qu’il lui manque quelque chose. En lui il y a un désir de « vie éternelle », c’est-à-dire d’éternité, de permanence : une soif d’infini. Le monde lui propose une prospérité matérielle, un bonheur facile : il a la richesse, la jeunesse, l’insouciance… Et pourtant il a envie de plus, il veut une vie différente. La grande dignité de l’homme, c’est de ne jamais se satisfaire de ce qu’il a devant lui : toujours chercher plus haut, plus grand ; viser un accomplissement, un infini. C’est ainsi que certains deviennent des héros, des explorateurs… ou des saints !
Cet homme de l’Évangile est très actuel, car il représente tous ceux qui ne se satisfont pas des modèles de ce monde. Nous accompagnons aujourd’hui des jeunes, des moins jeunes, des hommes et des femmes qui ont décidé de cheminer vers le Baptême. Dans un monde matérialiste, ils ont décidé de faire un parcours qui les conduit à “autre chose”. Notre société est en général prospère, nous avons tous les avantages du confort, des facilités de communication et d’échanges ; et pourtant, cela ne suffit pas à notre bonheur. Il manque une dimension supérieure qui nous sauve de la mort : il manque la « vie éternelle » ! Alors comme ce jeune homme riche, nous nous tournons vers le Seigneur en Lui demandant : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle » ? Le jeune homme ajoute qu’il a « observé tous les commandements depuis sa jeunesse ». On peut accomplir beaucoup de choses, être très dévoué, avoir de bonnes notes en classe, être un bon père ou une bonne mère de famille… bref “tout bien faire comme il faut” : cela ne suffit pas à notre soif d’infini. Dans notre cœur il y a le désir de Dieu, que Dieu seul peut satisfaire.
C’est alors le début d’un chemin de conversion. Nous désirons la vie éternelle : notre cœur doit se préparer à recevoir l’éternité. Et pour cela, Jésus nous invite à rejeter ce qui fait obstacle sur le chemin de la Vie, ce qui est figuré dans l’Évangile par les richesses du jeune homme : « Va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres : alors tu auras un trésor au ciel ». Se mettre à la suite de Jésus pour avoir la vie éternelle, c’est se convertir, donc changer de manière de vivre. Croire en Dieu, mettre sa confiance en Jésus-Christ, vivre dans l’Esprit saint, ce n’est pas un petit “supplément d’âme” qui donnerait un peu de bien-être : c’est un changement radical qui nous transforme en profondeur. Le baptisé, le chrétien, c’est celui qui est passé avec Jésus par la mort et la Résurrection, et qui choisit de ne rien préférer à cette nouvelle Vie. C’est ce que disait déjà le Livre de la Sagesse [première lecture] : « J’ai prié, et l’esprit de la Sagesse est venu en moi. À côté d’elle, j’ai tenu pour rien la richesse. Plus que la santé et la beauté, je l’ai aimée ». Avec le Seigneur, on reçoit un nouveau regard, une nouvelle sagesse, qui permet de voir les choses avec le regard de Dieu. Ce qui était important (les richesses, le pouvoir, le plaisir) devient relatif ; et la Lumière du Seigneur devient la plus grande source de joie.
Se convertir, c’est donc d’abord se mettre à la suite de Jésus ; et Le laisser nous conduire dans nos choix et nos décisions. La vie éternelle en Jésus, c’est la réconciliation avec Dieu et avec les autres ; ce qui veut dire que notre vie est conduite par l’Amour, par la Miséricorde de Dieu. Mais pour vivre vraiment de cet Amour, il faut renoncer à tout le reste : c’est-à-dire à la rancune, à l’orgueil, aux jugements, à notre fierté… La Parole du Seigneur est « vivante, énergique et plus coupante qu’une épée » [deuxième lecture] : elle peut nous blesser parfois dans notre petit orgueil !
Les richesses du jeune homme – auxquelles Jésus lui demande de renoncer –, cela peut être pour certains les richesses matérielles (par exemple pour ceux qui sont appelés à la vie religieuse) ; mais pour la plupart, ce sont plutôt des manières de vivre et de se comporter. La conversion, la vie éternelle, c’est l’unique chemin de bonheur ; et Jésus ne cache pas que ce chemin est exigeant, car il passe par la mort et la Résurrection. Sommes-nous prêts à mourir au péché, à renoncer aux fausses richesses ; et à nous mettre en marche pour suivre le Seigneur, et obtenir la Vie éternelle ?
Vingt-septième dimanche du Temps Ordinaire — Appelés au dialogue
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
« Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas… Accueillez le royaume de Dieu comme un enfant… » : ces deux passages sont bien connus, car nous les entendons assez fréquemment, surtout aux mariages et aux baptêmes. Les couples (et les parents) aiment bien entendre d’une part, que leur amour trouve sa source en Dieu, et que c’est Dieu qui les unit ; et d’autre part, que leurs enfants sont des modèles d’amour et de confiance [ce qui n’est pas toujours évident quand ils font des caprices le jour du baptême !]. Il est donc intéressant, en ce dimanche, de méditer en même temps ces deux paroles de Jésus, pour voir le lien qu’elles ont entre elles. Dimanche dernier, le Seigneur nous rappelait de ne rien préférer à l’Amour de Dieu (« Si ta main te fait tomber, coupe-la… ») ; et aujourd’hui, Il nous décrit de manière très concrète, à travers l’amour conjugal et la confiance des petits enfants, à quoi peut ressembler notre vocation. Comment vivre de cet Amour, comment nous comporter comme les enfants de Dieu, à l’imitation de Dieu : « saints comme Dieu est Saint » [Lv 19,2] ?
Vivre à l’image de Dieu, c’est vivre un Amour fidèle et humble : c’est ce qu’enseigne Jésus dans ce passage évangélique. Il est fidèle comme l’amour conjugal ; et il est humble comme l’amour des petits enfants.
Tout d’abord, être fidèle dans l’amour, nous dit le Seigneur, c’est “revenir aux origines”. Quand on Lui demande si un homme a le droit de répudier sa femme [drôle de question !], Jésus ne donne pas une loi nouvelle : Il revient à la source et « au commencement de la création », c’est-à-dire au récit plein de signification de la Genèse [que nous avons entendu dans la première lecture]. Qui sommes-nous, pourquoi existons-nous ? Et comment vivre selon notre vocation ? Le récit des origines, dans un langage symbolique, nous dit que nous sommes faits pour le dialogue : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul », dit Dieu. Et ce dialogue authentique, ce face-à-face, c’est déjà entre l’homme et la femme qu’il se crée. Nous ne trouvons pas un vrai vis-à-vis avec les animaux (et encore moins, à notre époque, avec les intelligences artificielles !) : mais seulement dans le visage d’une personne en face de nous, avec laquelle nous échangeons une parole. Comme personne faite à l’image de Dieu, j’ai besoin d’une autre personne pour être en relation ; sans quoi, je meurs de solitude. Nous apprenons en vérité à entrer en relation les uns avec les autres ; et en même temps, nous apprenons à entrer en relation avec Dieu Lui-même. Car nous sommes à l’image de Dieu, et Dieu est dialogue, relation entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Ainsi, une relation qui n’est pas fidèle, une relation qui ne s’engage pas, est marquée par le mensonge. Si l’homme et la femme ne se donnent pas entièrement l’un à l’autre dans le dialogue, il y a toujours quelque chose qui manque ; il n’est plus à l’image de Dieu.
Pour nous épanouir pleinement selon notre vocation d’homme et de femme, il s’agit donc d’imiter le Seigneur : aimer fidèlement, dialoguer, donner. Toute personne peut montrer quelque chose de l’Amour de Dieu ; et notamment dans le mariage, don total qui est l’image de l’engagement du Christ envers son Église. Dans la vocation au mariage, on vit de manière toute particulière le fait d’être complémentaires, différents, face à face, en dialogue [lequel n’est pas toujours facile…] ; et surtout, on comprend à quel point on a besoin de l’autre pour vivre. Et c’est aussi vrai pour tous les hommes, comme le dit la Genèse : nous sommes tous complémentaires, différents ; le dialogue n’est pas toujours aisé, mais il est nécessaire. Avoir besoin de l’autre, c’est reconnaître qu’il est à l’image de Dieu ; et que nous reflétons l’Amour de Dieu, dans le dialogue, dans le pardon qui nous font vivre. Aucun de nous ne se suffit à soi-même ; s’accepter tel que l’on est, homme ou femme (donc incomplet), appelé à échanger, à donner, à recevoir, c’est reconnaître l’immense richesse des dons de Dieu, qui nous a créés tous différents !
C’est ainsi que notre amour est fidèle, si nous suivons notre vocation : dialoguer avec Dieu et avec nos frères. Et comme des petits enfants, notre amour est aussi humble, car nous dépendons du Seigneur comme des enfants dépendent de leurs parents.
« Le royaume de Dieu est à ceux qui ressemblent aux enfants », dit Jésus. Le seul chemin de vie consiste à accepter de dépendre du Seigneur comme ses enfants. Nous ne nous créons pas nous-mêmes, nous ne nous appartenons pas : nous sommes à l’image de Dieu, qui nous a donné la vie. Notre dignité la plus grande, c’est d’être des enfants de Dieu, appelés à aimer fidèlement, à pardonner, à dialoguer en toutes circonstances.
Vingt-quatrième dimanche du Temps Ordinaire — Croire et espérer dans la Parole de Dieu
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Ce qui change le monde, c’est la foi. Tous les événements qui se déroulent autour de nous – le bien comme le mal –, tout cela vient de l’intérieur de l’homme. Si l’homme est habité par un esprit d’égoïsme, de cupidité, de domination, alors le monde sera dur, violent, inhumain. Mais si l’homme se laisse envahir par l’Esprit de Dieu, c’est l’Amour qui sera vainqueur, et le monde sera dans la paix. Si aujourd’hui Jésus interroge ses disciples, c’est pour savoir quelle est leur foi : qu’est-ce qui les habite, qu’est-ce qu’il y a dans leur cœur ? Et donc, quelle sera leur manière de vivre et de témoigner ? De la même façon (surtout en ce début d’année), le Seigneur ne cesse de nous interroger sur notre foi. Quelle est notre foi ? Osons-nous avoir vraiment la foi, une foi qui n’est pas juste une identité superficielle (« Moi, je suis chrétien par ma famille… ») ; mais une foi qui transforme la vie, une foi qui “se voit” ! une foi qui surprend, et qui conduit parfois vers l’imprévu.
Aujourd’hui, nous vivons une étape importante en vue des baptêmes [Présentation des enfants, et entrée en catéchuménat pour les adultes]. Aller vers le Baptême, c’est justement faire un acte de foi. Même si, comme nous l’avons entendu, les catéchumènes demandent la foi, le Seigneur leur a déjà donné un début de foi, puisqu’ils font cette démarche ! Le premier acte de foi, c’est de laisser le Seigneur nous parler : c’est Lui qui ouvre nos oreilles, comme nous l’avons entendu dimanche dernier [« Ephata ! »], et comme le prophète Isaïe l’a aussi vécu [première lecture] : « Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas dérobé ». S’ouvrir à la Parole de Dieu, c’est accueillir en nous une parole qui nous étonne, qui nous surprend, et qui vient souvent nous déranger dans nos prévisions et nos planifications.
Parfois, on veut bien écouter le Seigneur, dans la mesure où Il ne nous dérange pas trop ; être croyant, tout en gardant une petite vie tranquille et matérielle. Mais recevoir la foi et la vivre vraiment, c’est ne jamais être “tranquille” ! Car l’Amour de Dieu nous poussera toujours plus loin dans notre vie. Combien de croyants, de Saints, ont été “réveillés”, mis en route, par une Parole de Dieu inattendue ! Nous avons entendu le prophète Isaïe, qui s’est laissé « ouvrir l’oreille » par le Seigneur : il a expérimenté en même temps la difficulté d’être fidèle dans sa mission, et le réconfort donné par Dieu : « Voilà le Seigneur mon Dieu, il prend ma défense ; qui donc me condamnera ? ». Nous avons aussi l’exemple de saint Pierre, qui est tout content d’avoir fait la bonne réponse à Jésus : « Tu es le Christ ». Mais il comprend aussi que proclamer le Christ, c’est se mettre à sa suite jusqu’au bout : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix »… Et pensons aussi à Marie, qui a accueilli l’annonce si inattendue de l’Ange Gabriel. Et les autres croyants, Mère Teresa, saint Maximilien Kolbe… Ils ont préféré l’Amour du Seigneur, et leur vie en a été bouleversée. Devenir catéchumènes dans notre monde, c’est entrer à notre tour dans cette aventure : c’est accueillir dans le quotidien le bouleversement de l’Évangile.
Si donc nous voulons rester dans la routine d’une vie bien réglée, alors n’écoutons pas le Christ ! Mais nous voulons accomplir pleinement notre vocation d’hommes et de femmes, si nous sentons l’appel à quelque chose de plus grand et d’inattendu, alors oui, mettons-nous à la suite de Jésus. Avec Lui, nous serons toujours surpris par l’abondance, par la générosité de l’Amour qui peut nous être donné, et que nous pouvons donner.
Se « laisser ouvrir l’oreille », c’est un “risque”, mais ce n’est pas un saut dans l’inconnu. Celui qui nous attend, nous Le connaissons, puisqu’Il nous a créés ! Avec la foi, nous recevons aussi l’Espérance [thème de l’année jubilaire 2025] : elle nous dit que quoi qu’il arrive, c’est toujours le Seigneur qui conduit le monde. Par conséquent, nous remettre entre ses mains, c’est être conduits vers sa Victoire, ne jamais être abandonnés, être certains de son action à tout moment. La foi n’est pas aveugle ni absurde : nous savons où nous allons, nous pouvons « mettre en œuvre » la foi, comme nous y encourageait saint Jacques [deuxième lecture] : « C’est par mes œuvres que je te montrerai la foi ». Et cette foi, mise en œuvre, portera du fruit dans notre cœur et autour de nous.
Comme saint Pierre, il nous revient donc de faire un acte de foi : c’est cette foi qui change le monde, car elle porte en elle la puissance de Dieu. Soyons certains que le Seigneur fera de grandes choses si nous mettons toute notre confiance en Lui ; si nous faisons un acte de foi, d’Espérance, de certitude dans son Amour. Comme écrit encore saint Paul : « Je n’en ai pas honte : je sais en qui j’ai mis ma foi ! » [2Tm 1,12].
Vingt-deuxième dimanche du Temps Ordinaire — La pureté sous le regard du Seigneur
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Après les cinq dimanches de l’été qui nous ont fait méditer sur le Pain de Vie, l’Église nous ramène à nouveau à l’Évangile selon saint Marc, à peu près là où nous l’avions laissé : il s’agit toujours pour Jésus d’appeler son peuple à la conversion. Le peuple juif a reçu les promesses de l’Alliance, et pourtant il n’est pas encore prêt, semble-t-il, à accueillir la réalisation des promesses : c’est-à-dire le Messie Lui-même. Jésus, en appelant son peuple Israël à se convertir, nous invite en même temps à faire cette démarche de conversion. Nous voulons être ses disciples, mais nous avons souvent de la difficulté à nous mettre vraiment à sa suite : à nous comporter comme Il s’est comporté, à aimer comme Il nous aime. La conversion est toujours à recommencer ; et ce début d’année peut être une bonne occasion pour faire la vérité sur notre manière de vivre !
Jésus blâme vigoureusement certains scribes et pharisiens à propos de leur vie religieuse. Être croyant, être religieux, c’est d’abord approfondir la relation avec le Seigneur ; or il semble que ces Juifs de l’époque de Jésus mettaient tellement l’accent sur les rites, les ablutions, les purifications, qu’ils en oubliaient l’essentiel. Accomplir des rites n’a aucun sens, si l’on n’agit pas pour Quelqu’un : c’est-à-dire par amour pour le Seigneur. Sans cette relation personnelle avec Dieu, la prophétie d’Isaïe s’applique bien : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi ». C’est aussi ce que nous disait l’Apôtre saint Jacques [deuxième lecture] : « Mettez la Parole en pratique, ne vous contentez pas de l’écouter : ce serait vous faire illusion ». Car cette Parole de Dieu n’est pas d’abord une série de commandements, ni même un savoir à acquérir : la Parole est une Personne, Jésus Lui-même que nous connaissons, qui nous communique son Amour et donne une direction à notre vie.
Voilà pourquoi il faut sans cesse nous recentrer sur l’essentiel. La tentation, c’est de croire qu’il faut “faire des choses” pour être un bon croyant… mais on perd de vue l’essentiel. Tout comme les pharisiens estimaient qu’ils étaient méritants parce qu’ils se lavaient bien les mains (mais ils oubliaient la Parole du Seigneur), beaucoup de nos contemporains pensent qu’ils sont des “gens bien”, de bons croyants, parce qu’ils sont honnêtes, dévoués, généreux. Mais ils ont cessé de chercher le Seigneur dans leur vie ; et ils oublient de se convertir !
Quand nous agissons, c’est toujours pour donner une direction à notre existence. Chaque décision a une signification, même la plus petite, car elle oriente la vie. C’est le sens de la bénédiction des instruments de travail [que nous allons faire dans un instant] : ces objets seront utilisés pour le Bien, sous le regard du Seigneur, et mettront de l’amour dans nos activités. Tout cela, ce sont des signes nécessaires ; mais la réalité, c’est que l’Amour vient du Seigneur. Nous avons beau agir avec dévouement, si notre cœur n’est pas converti, nous perdons de vue le sens de ce que nous faisons. Bien se comporter, c’est le signe d’une certaine morale, d’une bonne attitude ; quand on est égoïste, ou sans-gêne, c’est le signe qu’il manque quelque chose à notre éducation. De la même manière, pour les pharisiens, quelqu’un qui avait une mauvaise hygiène, ou qui faisait mal la vaisselle, montrait qu’il manquait de droiture. Mais Jésus ne cesse de nous dire que l’essentiel, la vraie pureté, n’est pas dans les actions, ni dans les objets (ni d’ailleurs dans les aliments) : elle est dans le cœur, un cœur où habite l’Esprit de Dieu.
Être pur sous le regard de Dieu, ne dépend pas de ce qu’on mange (« Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur ») ; ni même de notre gentillesse personnelle. Cela dépend de la manière dont nous accueillons en nous la Miséricorde du Seigneur, qui est un don gratuit. Si nous pensons être purs parce que nous agissons d’une certaine façon, alors nous perdons le sens de la relation avec Dieu : nous pensons que nous sommes sauvés par notre propre générosité.
Le vrai combat dans la vie du chrétien, ce n’est pas une lutte entre “pur” et “impur” : nous sommes partagés entre le Bien et le Mal. Et la Grâce de Dieu nous est nécessaire pour être victorieux, car Jésus seul a vaincu le Mal par sa Résurrection.
En ce temps de rentrée, redisons au Seigneur à quel point nous avons besoin de Lui, de son Amour, de sa Miséricorde. La vraie pureté ne vient pas de nos “bonnes actions” : elle consiste à vivre de son Amour, à faire le Bien comme des présences vivantes de Jésus dans le monde. Avoir un cœur pur, le cœur de Jésus Lui-même, c’est à cela qu’on reconnaît les disciples du Christ !
Vingt-et-unième dimanche du Temps Ordinaire — La Parole de Dieu ne nous laisse pas en repos !
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
À la fin de l’enseignement de Jésus sur le Pain de Vie, il se produit quelque chose d’étonnant. L’Évangéliste saint Jean note brièvement : « À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner ». Voilà donc un discours de Jésus qui n’a pas beaucoup de succès. Les prêtres et les diacres, quand ils préparent une homélie, doivent aussi se tenir prêts à ce que leurs paroles ne plaisent pas à tout le monde ! Peut-être y a-t-il des paroisses où les chrétiens s’en vont au milieu de la messe, à cause de ce qu’ils entendent ? En tout cas, cela nous rappelle que la Parole de l’Évangile n’est pas toujours facile à entendre. Jésus vient de parler de sa Chair et de son Sang, qu’Il veut donner en nourriture aux croyants : et naturellement, de telles paroles paraissent absurdes, et même blasphématoires. Alors les gens récriminent, sont scandalisés… et certains s’en vont définitivement.
Cet épisode nous enseigne deux choses importantes. D’une part, les Évangiles ne sont pas un “conte de fées” où tout irait bien : rien ne nous est caché des difficultés, des incompréhensions (et même des trahisons) auxquelles le Seigneur Jésus se heurte. Dans ce réalisme, nous reconnaissons l’authenticité de l’Évangile. D’autre part, avec les réactions négatives face aux paroles de Jésus, nous comprenons que l’Évangile ne sera jamais facile à accueillir. Ni hier, ni aujourd’hui. La Parole de Dieu ne nous caresse jamais “dans le sens du poil” ! Être croyant, mettre sa foi et sa confiance dans le Christ, ce sera toujours un signe de contradiction pour le monde tel qu’il est. À plusieurs reprises, Jésus nous avertit qu’on ne peut pas servir deux maîtres [p.ex. Mt 6,24] : si l’on choisit de suivre le Seigneur, il s’agit de renoncer à certaines idoles.
En conséquence, la foi en Jésus n’est certainement pas l’assurance d’une vie tranquille. On entend dire parfois, chez les athées militants, que la foi serait une “démission” : en étant croyant, on abdique toute recherche, tout esprit critique, on se repose sur des certitudes. Avoir la foi, ce serait donc opter pour une existence molle et douillette, à moitié endormie… Or justement, cet Évangile nous montre à quel point la foi est l’opposé d’une vie “plan-plan” ! En écoutant Jésus, nous sommes contraints de nous remettre sans cesse en question. Notre manière de vivre doit être améliorée ; nos relations avec les autres doivent davantage refléter la Miséricorde du Seigneur ; nous devons sans cesse aimer, sans cesse pardonner. Le Seigneur nous appelle à la sainteté, à être « parfaits comme Dieu est parfait » [Mt 5,48] : même si nous sommes disciples du Christ, la conversion n’est jamais acquise, elle est toujours à retravailler.
Le Seigneur nous donne donc sa Parole pour nous y confronter incessamment ; et pour constater inlassablement que nous avons à nous convertir. Se confronter à la Parole de Dieu, c’est d’abord l’accueillir telle qu’elle est. Oui, le Seigneur nous dit des choses dérangeantes ; mais on ne peut pas prendre ce qui nous plaît et laisser le reste, comme si l’Évangile était un rayonnage de supermarché. Il y a des exigences morales parfois difficiles, et l’Église est souvent mal comprise sur ces points ; mais suivre et écouter cette Parole, c’est toujours un chemin de rejet de l’égoïsme… et donc un chemin de vie. Nous en avons eu un exemple clair avec le célèbre passage de l’Épître aux Éphésiens [deuxième lecture] qui choque nos oreilles modernes : « Soyez soumis les uns aux autres ; les femmes, à leur mari, comme au Seigneur Jésus ». Mais si nous écoutons vraiment ces paroles, elles nous emmènent bien plus loin qu’un débat autour du féminisme ! Saint Paul conclut : « Ce mystère est grand : je le dis en référence au Christ et à l’Église ». La vérité profonde qui nous est dite, c’est le Mystère de l’Alliance : l’engagement du Christ qui donne sa vie pour l’Église, pour chacun de nous. La Parole nous dérange, mais elle nous fait monter vers le Seigneur de manière toujours inattendue.
Alors quelle réponse apporter à cette Parole, à cet enseignement qui fait fuir certains disciples ? Il s’agit de répondre par la confiance, par l’adhésion de toute notre vie. Saint Pierre (qui pourtant reniera un jour son Maître) est inspiré pour répondre : « Tu as les paroles de la vie éternelle : nous savons que tu es le Saint de Dieu ». Ce Dieu qui nous appelle à la conversion nous a d’abord sauvés, délivrés : c’est ce que reconnaît le peuple d’Israël [première lecture] : « C’est le Seigneur notre Dieu qui nous a libérés du pays d’Égypte, cette maison d’esclavage : nous voulons Le servir ». Saint Pierre ajoute : « À qui [d’autre] pourrions-nous aller ? » : seul le Seigneur aime, pardonne, donne la liberté. Les idoles, les idéologies, les richesses sont toutes décevantes. Le Seigneur est exigeant, sa Parole nous dérange parfois ; mais Lui, Il ne nous décevra jamais !
Vingtième dimanche du Temps Ordinaire — Tirez parti du temps présent !
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
« Moi, je suis le pain de vie […] Moi, je suis le pain vivant ». Jésus affirme et réaffirme son enseignement, afin que les auditeurs comprennent bien ce qu’Il veut dire. Nous arrivons à la fin de ce chapitre de l’Évangile selon saint Jean, et le Seigneur nous a tout dit. Dimanche prochain nous entendrons quelques réactions à ces paroles, mais déjà nous en avons un avant-goût : « Les Juifs se querellaient entre eux… Comment ose-t-il dire cela ? ». En effet, les paroles de Jésus sont étonnantes dans leur dimension concrète : Il n’hésite pas à nous parler de chair, de sang, d’alimentation et de nourriture… Pour ceux qui attendaient un Messie glorieux et combattant, c’est inattendu ! Mais le Christ n’est pas venu pour proclamer de grandes idées : Il vient nous chercher dans notre humanité bien réelle, pour faire de notre condition humaine un chemin vers Dieu.
Si nous voulons récapituler tout son enseignement, tel qu’Il l’a donné aujourd’hui et les semaines passées, il y a quatre points essentiels.
- D’abord, le vrai pain qui est indispensable à l’homme, c’est Lui, Jésus. Comme Il le dit face au démon dans le désert, en citant la Loi de Moïse : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » [Mt 4,4 ; Dt 8,3]. Cette Parole de Dieu, c’est le Christ : nous vivons par Lui.
- Ensuite, ce pain, c’est sa Chair et son Sang : le Fils de Dieu a pris la nature humaine dans ce qu’elle a de plus réaliste, palpable. Nous partageons avec Jésus la chair et le sang, et Il utilise notre nature pour nous sauver. S’Il n’était pas véritablement l’un de nous, Il ne pourrait pas nous rejoindre là où nous sommes (y compris dans nos misères et nos pauvretés).
- De plus, cette nourriture nous est indispensable, tout comme une nourriture de ce monde : sans Jésus, on ne peut pas vivre. Certains pensent que la présence du Seigneur est inutile, qu’on peut très bien se débrouiller sans Lui… Mais ceux-là n’ont pas la Sagesse et perdent le sens de leur vie. Il faut nous rappeler le Livre des Proverbes [première lecture], où la Sagesse disait aux hommes : « Venez, mangez de mon pain […] Quittez l’étourderie et vous vivrez, prenez le chemin de l’intelligence ». Sans le pain de Dieu, l’intelligence nous manque.
- Enfin, nous dit Jésus, la Vie qui nous est proposée est celle de la Sainte Trinité, dans laquelle nous entrons par le Pain de Vie : « De même que le Père m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange vivra par moi ». Nous sommes invités à la Communion d’Amour du Père, du Fils, du Saint-Esprit.
Ce discours sur le Pain de Vie est donc en même temps élevé, puisqu’il nous invite à entrer dans l’intimité du Dieu Trinité ; et en même temps incroyablement concret, puisqu’il vient nous chercher dans notre nature humaine la plus réelle. En nous donnant sa Chair et son Sang, le Seigneur se fait proche de nos activités, de nos soucis, même les plus matériels. Rien n’est à l’écart, rien n’est “trop bas” devant Dieu : pour Lui qui a tout créé, rien n’est impur ou indigne ; tous les éléments de notre existence sont appelés à la Vie éternelle, à la rencontre de Dieu Père, Fils, Saint-Esprit.
Nous avons souvent la tentation de “couper notre vie en deux” : d’un côté la vie quotidienne, avec ses exigences matérielles un peu lassantes ; et d’autre part, la vie spirituelle, la foi, qui nous élève vers Dieu, et nous réconforte dans les difficultés. Mais il s’agit de nous convertir pour unifier l’ensemble de notre existence. On trouve facilement des excuses ou des prétextes pour remettre à demain la présence du Seigneur : comme saint Paul le disait aux Éphésiens [deuxième lecture], « nous traversons des jours mauvais ». De fait, notre époque est difficile, comment penser que Dieu y soit vraiment présent ? Alors attendons demain, nous verrons… Mais saint Paul ne nous incite pas au découragement ! Il ajoute de manière décisive : « Tirez parti du temps présent » ; et il ajoute des consignes claires : « Soyez remplis de l’Esprit Saint […] Chantez le Seigneur et célébrez-le de tout votre cœur. À tout moment et pour toutes choses, au nom de notre Seigneur Jésus Christ, rendez grâce à Dieu le Père ».
Oui, « à tout moment », à toute époque, même si les choses nous semblent difficiles, le Seigneur nous invite à nous nourrir de son Pain, à Le louer pour sa présence. Le temps, notre monde, notre vie, notre corps : tout cela nous est donné pour cheminer vers Dieu. N’attendons pas pour nous convertir : « Tirons parti du temps présent » !
Assomption de Notre-Dame — Marie victorieuse avec son Fils
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures de cette grande fête.
« Mon âme exalte le Seigneur, désormais tous les âges me diront bienheureuse ! » Au jour de l’Assomption, nous écoutons un chant de victoire : c’est le chant de Marie, le Magnificat, que l’Église ne cesse de chanter pour rendre grâces au Seigneur. Ce chant de Marie est bien un chant de victoire : la victoire sur un ennemi. L’adversaire est vaincu, réjouissons-nous ! Ce n’est pas seulement un chant tout joyeux et gentil : Marie remercie le Seigneur pour sa Grâce, mais elle chante aussi le combat qui a abouti à cette victoire. Les superbes, les puissants, les riches, sont abaissés car ils ne comptaient que sur leur orgueil. Dans ce chant, l’arrogance de l’homme se heurte à la Grâce de Dieu ; et en Marie, c’est la Grâce qui l’emporte. « Dieu se souvient de sa miséricorde en faveur de la maison d’Abraham ! »
Nous écoutons donc l’écho de cette Victoire, au moment de la visite de Marie à Élisabeth. Dans un pays d’Israël que Dieu semblait avoir abandonné, qui était occupé par les Romains ; voici enfin un premier signe de la victoire, la présence du Messie reconnu par le futur Jean Baptiste dans le sein de sa mère.
Le chant de Marie est un chant de victoire, et nous l’entendons aujourd’hui parce que la fête de l’Assomption représente la Victoire finale sur le péché et sur la mort. Marie ne passe pas par la mort, ou bien cette mort ne la retient pas : son corps est délivré du tombeau et ressuscité comme celui de Jésus. Marie entre pleinement dans cette Victoire, et nous en montre le chemin.
Si nous voulons vivre sans ombre la joie de cette Victoire, il s’agit d’être partie prenante dans cette lutte contre l’Ennemi, contre le péché. Ce n’est pas bien sûr une lutte contre des “méchants” comme dans les films, mais une lutte contre l’esprit du Mal qui agit dans le monde. C’est un combat qui dépasse notre dimension, un combat “cosmique”, c’est-à-dire qui engage le monde entier. Avec les moyens de communication modernes, nous voyons facilement l’ampleur de ce combat : le mal qui est commis a des conséquences immenses et universelles, sur la création, sur des peuples entiers, sur l’équilibre du monde. Dans la première lecture de ce jour [Livre de l’Apocalypse], la lutte se place au niveau supérieur, spirituel : le démon combat le Messie, cet enfant engendré par Marie. On peut aussi voir dans cette lutte le combat où est engagé l’Église depuis le début : celle qui enfante le Messie, c’est aussi l’Église dans sa mission de donner le Christ au monde.
Nous pouvons nous décourager, car nous constatons que ce combat ne penche pas toujours du bon côté. En nous, autour de nous, il n’est pas évident que le Bien, que le Seigneur l’emporte. Marie, en son Assomption, est aussi donnée comme sainte Patronne à la France : avons-nous le sentiment que la France avance naturellement, sans opposition, vers le Royaume des Cieux ?
Néanmoins, ce que nous dit le Mystère de l’Assomption est que cette Victoire nous est déjà donnée. Marie qui est l’une de nous, par son adhésion pleine et entière à la Grâce divine, est entièrement admise dans la Gloire de l’Amour de Dieu. Et cette Victoire est acquise, non par une force plus grande (comme les héros de l’Antiquité qui méritaient de devenir des dieux par leur vaillance), mais par un abandon complet de soi-même entre les mains du Seigneur (« Il élève les humbles, comble de biens les affamés »). La logique de la Victoire du Bien sur le Mal, c’est le don de soi par amour : ce don que Marie a vécu entièrement lorsqu’elle a accueilli l’annonce de l’Ange : « Voici la servante du Seigneur : que tout se passe pour moi selon ta parole » [Luc 1,38].
Cette fête est donc une célébration de l’Espérance. Marie va vers le Ciel ; et avec elle, même au milieu des ombres du monde, c’est toute la Création qui revient au Christ. Saint Paul écrivait ainsi aux Corinthiens [deuxième lecture] : « Dans le Christ tous recevront la vie […] lors du retour du Christ, tous ceux qui lui appartiennent ». C’est le sens de l’Assomption : Marie est la “première de cordée” du chemin de Vie et de victoire qui conduit au Ciel. Ne nous laissons jamais décourager : faisons comme Marie, remettons toute notre vie entre les mains du Seigneur, puisqu’Il est déjà victorieux !
Dix-huitième dimanche du Temps Ordinaire — Devenir libres en recevant le Seigneur
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Au cours de la période des dimanches d’été, nous méditons cette année (depuis la semaine dernière) l’Évangile selon saint Jean ; et nous écoutons Jésus développer son enseignement sur le Pain de Vie. Dimanche dernier Il multipliait les pains et les poissons, pour signifier l’abondance de sa Grâce ; et puis, avec les paroles que nous venons d’entendre, Il entre dans le “vif du sujet” en montrant quel est ce Pain qu’Il est venu donner au monde. En lisant intégralement ce chapitre de saint Jean, nous remarquons à quel point l’enseignement de Jésus est pédagogique : Il ne dit pas tout d’un seul coup, mais Il développe peu à peu, progressivement, toute la richesse de sa parole. À la fin du chapitre, nous aurons compris l’essentiel : le Pain de la Vie, c’est Lui, Jésus, et Lui seul. Ce n’est qu’en Lui que nous trouvons l’accomplissement de notre vocation d’homme.
En ce dimanche, l’Église nous rappelle avec la première lecture [Livre de l’Exode] que Dieu donne le pain – la nourriture – depuis le début de son Alliance avec les hommes ; et qu’avec le pain, Il donne bien plus encore. Nous avons entendu cet épisode si important de la manne, ce pain tombé du ciel avec la rosée, que le Seigneur offre à son peuple pendant les quarante années de désert ; au début, Israël ne sait pas de quoi il s’agit ; mais peu à peu, il comprendra le projet de Dieu.
La vie au désert n’est pas facile, et nous avons entendu les regrets et les plaintes des Hébreux : « En Égypte, nous avions du pain et de la viande ; ici nous allons mourir de faim ! ». C’est une attitude spirituelle très importante qui nous est rapportée. Israël se trouve face à une liberté qu’il n’a jamais connue ; mais avec la liberté, il y a l’incertitude du lendemain. Si bien que le peuple se met à regretter sa captivité : bien sûr ce n’était pas drôle d’être esclave, mais au moins, nous vivions “sans souci” ! L’esclavage maintenait le peuple dans un état de dépendance vis-à-vis des Égyptiens : pas de liberté, pas de souci, on conduit une vie sans dignité ni effort, on ne fait que manger et profiter de la vie : en un mot, l’homme se trouve rabaissé à ses instincts primitifs, il vit comme un enfant (ou comme un animal). Mais ce n’est pas la vocation que le Seigneur veut pour lui : Il a appelé Moïse pour conduire le peuple vers la vraie liberté, une liberté qui n’est pas “confortable”, mais qui est à la hauteur de la dignité de l’homme. Et ce n’est qu’en recevant le vrai pain, le pain qui vient directement de Dieu, que le peuple cheminera vers la liberté.
Dans l’Évangile, avec Jésus, on passe du pain “donné par Dieu” au pain “de Dieu” ; c’est-à-dire à Jésus Lui-même. Le Christ nous propose de vivre du Pain de la Vie (« Moi, je suis le pain de vie ») ; car la vraie liberté ne se trouve qu’en Lui. Il ne s’agit pas seulement d’agir librement, mais d’être libres comme Jésus est libre : dans l’Évangile on Le voit entièrement libre face au péché, face à la mort. Ce n’est qu’en L’imitant, en vivant comme Lui, que nous recevons la vraie liberté et la Vie éternelle.
C’est pour cela que son enseignement est si progressif, si pédagogique : parce qu’Il veut nous apprendre, peu à peu, à nous détacher des illusions pour nous mettre à sa suite. L’important n’est pas de suivre les apparences ou d’admirer le prodige de la multiplication des pains, mais de devenir ses disciples. Jésus reproche à certains de ne voir que les miracles : « Vous me cherchez parce que vous avez mangé de ces pains ». Mais l’important, dit-Il, c’est surtout que ces signes suscitent la foi : « Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle […] L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé ». C’est en croyant en Lui, en vivant pleinement notre foi, que nous recevons la vraie liberté : nous sommes libérés des faux dieux, du mensonge et du péché, si le Christ devient notre seule nourriture.
Comme les Hébreux au désert, nous serons toujours tentés par un retour en arrière, par la nostalgie du péché, par la tentation d’une vie sans grandeur et sans liberté. Saint Paul, en écrivant aux Éphésiens [deuxième lecture], leur rappelle qu’ils sont entourés de « païens qui se laissent guider par le néant de leur pensée » ; mais qu’il s’agit de « rejeter les convoitises et l’erreur » pour « nous laisser renouveler », pour « revêtir l’homme nouveau » à l’image du Christ. Si nous suivons ceux qui nous promettent l’abondance des biens matériels, nous allons vers la servitude : seul Jésus nous conduit à la vraie liberté.
Être chrétien, c’est vivre du Christ comme seule source d’Amour et de Vérité. Nous ne serons jamais « rassasiés » si nous préférons le pain de ce monde ; mais en choisissant Jésus, le Pain de la Vie, nous ne manquerons de rien. « Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif ».
Douzième dimanche du Temps Ordinaire — Un monde nouveau et apaisé
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
« N’avez-vous pas la foi ? », demande Jésus à ses disciples. C’est la question qui nous est posée, à nous qui sommes aussi disciples du Christ ; tous les jours, face aux difficultés de la vie, face aux imprévus, aux peurs, aux angoisses, le Seigneur nous demande si nous avons la foi, si nous gardons la foi. Avoir la foi, ce n’est pas seulement croire qu’il y a quelque part un Dieu plus ou moins inconnu : avoir la foi, c’est faire confiance, c’est vivre avec le Seigneur, c’est Le prier et célébrer les Sacrements. C’est faire en sorte que la Miséricorde de Dieu rejaillisse sur notre manière de vivre, et fasse de nous des hommes et des femmes de Miséricorde. C’est aussi être disciples de Celui qui a dit : « Je suis la Vérité » [Jn 14,6] ; et donc être témoins de la Vérité et ne pas transiger avec le mensonge.
Derrière cette question de Jésus à ses disciples, il y a donc un véritable choix à faire pour orienter notre vie. Quand tout va bien, quand nous sommes au calme et dans la prospérité, il n’est pas très difficile de faire des choix réfléchis. Mais justement, les disciples sont ici dans ce qu’on appellerait aujourd’hui une « situation de crise » : ils sont au cœur de la tempête, ils ne savent pas où ils vont, leur vie paraît en danger… Ils ne peuvent pas s’empêcher de paniquer, de crier vers Jésus, surtout qu’Il paraît dormir !
Ce qui se passe dans ce petit bateau de pêche, c’est l’effroi de l’homme face aux éléments. Pourtant, les disciples (dont c’est le métier) devaient avoir déjà traversé des tempêtes ; mais face à l’agitation de la mer, face à la puissance parfois effrayante de la nature, l’homme ressent la peur car il ne maîtrise rien. Dans le langage biblique, le tumulte des éléments dit quelque chose de l’agitation et du désordre liés au péché : de la même manière que le croyant peut désobéir à Dieu et commettre le mal, la nature donne l’impression de désobéir au Créateur, de se déchaîner et de devenir dangereuse – alors qu’à l’origine de la Création, tout est paisible [comme la première lecture nous l’a rappelé]. La nature humaine est au carrefour du spirituel et du matériel : si bien que le désordre intérieur de l’homme se reflète sur la nature. Mystérieusement, dans la Création tout entière a été introduit un germe de désobéissance ; et ce dont nous sommes témoins aujourd’hui, c’est le manque d’harmonie dans l’ensemble du monde, qui est dû au péché des hommes (et aussi dans le règne animal, où dominent souvent la cruauté et la guerre).
C’est pourquoi l’acte de Jésus, qui calme la tempête et maîtrise la mer, est un signe de sa puissance de Sauveur. En apaisant le vent, Jésus témoigne que sa mission ne consiste pas seulement à rassurer les hommes, mais qu’Il s’attaque à la racine du mal : cette agitation du cœur qui s’appelle le péché. La Victoire du Christ sur le Mal se montre à travers la victoire sur le désordre de la Création, sur la tempête et l’agitation des vagues.
La mer elle-même est comme un symbole du cœur humain. Elle est un lieu de communication entre les hommes, l’endroit grâce auquel les bateaux relient les cités ; elle est un espace de richesse et de foisonnement de la vie, un lieu nourricier. Mais la mer est aussi un endroit obscur, inconnu, parfois effrayant, agité, où l’on peut se perdre et se noyer. La mer est celle du Déluge où toute vie disparaît ; et elle est également la mer Rouge qui s’ouvre pour le peuple d’Israël, la mer du passage et de la délivrance. Le Seigneur peut transformer nos peurs en liberté, Il peut nous faire traverser vers la joie éternelle du Salut, comme Il le dit au début de ce passage de l’Évangile : « Passons sur l’autre rive ». Tout ce qu’Il nous demande, c’est notre confiance : il suffit d’avoir la foi, même dans les épreuves : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? ».
En écrivant aux Corinthiens [deuxième lecture], saint Paul nous encourage lui aussi à faire confiance au Seigneur. Son message est source d’Espérance : « Le monde ancien s’en est allé, un nouveau monde est déjà né ». Le monde agité, le monde du péché où l’homme a peur, ce monde est déjà vaincu. Le nouveau monde, le monde de la réconciliation entre Dieu, l’homme et la nature, est déjà créé par la Résurrection du Christ. Paul nous dit comment rejeter le monde ancien : « que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur [le Christ] qui est mort et ressuscité pour eux ». Si nous restons centrés sur nous-mêmes, notre âme est agitée car elle ne trouve pas la paix : seule l’ouverture au Seigneur nous donne la vraie paix.
Le monde est agité par des tempêtes, parce que chacun cherche son propre intérêt. Si les hommes apprennent à aimer vraiment comme le Seigneur nous aime, les tempêtes du monde feront place à un « grand calme ». Confions-nous à Jésus, puisque « le vent et la mer lui obéissent » !
Solennité du Saint-Sacrement — L'engagement éternel du Seigneur
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures de cette grande fête.
Nous arrivons à la fin des grandes célébrations qui ont suivi la Résurrection du Seigneur. Après la fête de Pâques, nous sommes restés quarante jours avec Jésus ressuscité ; puis il y a eu l’Ascension, puis le don du Saint-Esprit. Et après avoir contemplé la révélation de la Sainte Trinité [dimanche dernier], l’Église nous propose enfin de méditer sur le don le plus extraordinaire que Jésus nous ait laissé, celui de son Corps et de son Sang : le don de sa présence réelle, visible, sous la forme du pain et du vin. Si le Fils de Dieu s’est fait homme, c’est non seulement pour partager notre existence pendant une trentaine d’années ; mais aussi pour être parmi nous en permanence, pour ne jamais nous abandonner. Sa nature humaine n’est pas un “vêtement” qu’Il a quitté, mais un engagement qu’Il a pris pour toujours avec nous. Il nous l’a encore redit dimanche dernier : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » ! [Mt 28,20]
Lors de la Pentecôte, le Seigneur a répandu son Esprit sur le monde et sur l’Église. Par le don du Saint Sacrement – son Corps et son Sang – Il se rend présent dans le monde et dans l’Église, de manière très claire, de manière visible. Nous pouvons Le voir, Il est présent au milieu de nous, comme Il l’était au milieu de ses disciples en Galilée. Bien sûr, pour Le voir, il faut les yeux de la foi : tout le monde ne distingue pas, dans ce pain et ce vin, le Corps et le Sang de Jésus. Mais après tout, pour rencontrer Jésus il y a deux mille ans, il fallait aussi avoir la foi ! Tout le monde voyait cet homme, mais tous ne voyaient pas en Lui le Fils de Dieu. La rencontre avec Jésus est toujours un appel à la foi, un appel à croire en Lui.
Jésus se laisse donc voir aujourd’hui comme hier, si nous croyons ; mais il y a une nouveauté (et en ce sens, nous pouvons même dire que nous sommes plus favorisés que les disciples). La grande nouveauté, c’est que désormais, nous participons à cette présence de Jésus. Il ne s’agit plus seulement de L’écouter, mais aussi de Lui répondre avec toute notre vie. Dans ce don de l’Eucharistie, c’est un dialogue qui continue entre le Seigneur et nous ; un dialogue intérieur, une conversation qui est donnée par l’Esprit saint. Les paroles que nous entendons dans l’Évangile résonnent en nous comme un échange d’amour. En nous donnant son Corps et son Sang, Jésus veut fortifier avec nous son Alliance, son engagement à être toujours présent. Dans la Lettre aux Hébreux que nous avons entendue, on nous parle de cette Alliance dans le Sang du Christ : « Le Christ s’est offert lui-même à Dieu ; son sang nous purifie des actes qui mènent à la mort ». Jésus a versé son sang, c’est-à-dire qu’Il a donné sa vie, pour nous réconcilier avec le Père : c’est cela l’Alliance, l’engagement que Jésus a pris pour nous sauver.
Par le Corps et le Sang du Christ, nous entrons dans la participation à cette Alliance ; de tout notre cœur, de toute notre âme. Notre participation commence avec quelque chose de tout simple, mais dont Jésus veut avoir besoin : c’est le pain et le vin. Il n’y a pas d’Eucharistie, il n’y a pas de Corps du Christ, si nous n’apportons pas d’abord notre petite offrande ; en donnant au Seigneur ce que nous sommes, Il en fait son Corps et son Sang. Tout comme Jésus a voulu avoir besoin de Marie pour avoir un corps et partager notre vie, Il veut avoir besoin de notre offrande pour être encore là, au milieu de nous à la messe. Le pain et le vin, c’est l’offrande du peuple chrétien, l’offrande de notre vie, de tout ce que nous sommes [et cela correspond aussi au geste de la quête, où nous donnons le fruit de notre travail]. Nous ne devons pas être “passifs” à la messe, nous ne faisons pas que recevoir la présence de Jésus : nous dialoguons avec Lui et nous Lui donnons notre vie.
En retour, Jésus nous donne tout. Le dialogue continue avec ces paroles : « Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang ». Maintenant, Il est là, au milieu de nous, Il se fait voir, Il nous parle et nous écoute. Les Apôtres avaient vécu avec Lui, mais ils n’auraient jamais pu imaginer que Jésus irait jusqu’à devenir notre nourriture. En recevant la communion, nous entrons dans l’union la plus forte avec Lui, l’union intérieure avec Dieu Lui-même. Jésus s’engage à nouveau pour nous : Il nous promet qu’à chaque fois que nous Lui offrons notre vie à la messe, Il se rend présent, Il se fait infiniment proche de nous.
En célébrant l’Eucharistie, en recevant le Corps et le Sang de Jésus [comme vous qui allez communier pour la première fois], nous fortifions de plus en plus notre Alliance avec le Seigneur : avec Jésus nous offrons notre vie, avec Lui nous ressuscitons. Sans la messe, nous ne pourrions pas recevoir l’Amour de Dieu ! Soyons fidèles à cette Alliance, à ce dialogue avec le Seigneur, offrons-Lui tout ce que nous sommes ; et Il nous donnera le Pain de vie.
Solennité de la Pentecôte — L'Esprit renouvelle toutes choses
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures de cette grande fête de l’Esprit Saint.
« Quand il viendra, Lui, l’Esprit de vérité… », nous annonce Jésus : cette venue de l’Esprit se réalise aujourd’hui, en ce jour de la Pentecôte. C’est un épisode qui a une importance extraordinaire pour toute l’humanité, car l’Esprit de Dieu vient transformer le monde. Jésus était venu, Il avait partagé notre vie, Il avait enseigné, guéri, donné l’Espérance à des milliers de personnes ; Il a accompli sa mission, est mort pour nous, est ressuscité et est monté aux Cieux. Mais cet Évangile, cette Bonne Nouvelle de l’Amour de Dieu pour toute l’humanité, comment va-t-elle se continuer dans le monde ? La Pentecôte est le moment où l’Évangile commence à se répandre, non par la sagesse des hommes mais par la force de l’Esprit saint. Jésus promet que l’Esprit de vérité nous « conduira dans la vérité tout entière » : l’Esprit est envoyé pour enseigner, faire vivre, expliquer, transmettre la Bonne Nouvelle du Christ. Et en même temps, c’est l’Église qui est constituée au milieu des nations pour « parler toutes les langues » et annoncer l’Évangile.
Si l’Esprit saint n’avait pas été envoyé à la Pentecôte, si l’Église n’avait pas été instituée, l’Évangile ne serait pas vivant. Nous aurions peut-être une Bible, un livre vénérable qui parle d’une sagesse ancienne ; mais ces paroles seraient mortes, elles seraient étudiées par les archéologues, comme les hiéroglyphes de l’ancienne Égypte ou les mythes de la Grèce antique. Ce qui fait vivre la Parole de Dieu aujourd’hui, ce qui fait que Dieu nous parle de manière aussi vivante qu’autrefois dans la Bible et dans l’Église, c’est le don de l’Esprit saint. C’est pour cela que la Pentecôte est un événement aussi décisif : « l’Esprit rend témoignage » depuis ce jour-là, et Il ne cesse de rendre témoignage à la Miséricorde de Dieu, dans le cœur des hommes et dans l’Église.
D’abord, si nous sommes rassemblés dans cette église, c’est que l’Esprit saint nous y a appelés. C’est Lui qui nous donne la foi (et c’est vers Lui qu’il faut toujours crier quand nous manquons de foi !). L’Esprit vient au-devant de nous et nous permet de rencontrer le Christ. Dans le Baptême, nous avons reçu l’Esprit saint qui nous a donné le germe de la foi. Être baptisé [même quand on est tout petit comme Basile !], c’est être renouvelé par l’Esprit, pour former une nouvelle image de Jésus et avancer vers le Père.
Mais l’Esprit saint ne fait pas que donner la foi ; car la foi a besoin d’être sans cesse entretenue et approfondie. Comme le dit Jésus, l’Esprit éclaire notre foi : « il rendra témoignage en ma faveur […] il vous conduira dans la vérité tout entière […] ce qui va venir, il vous le fera connaître ». Jésus s’adresse à son Église, et Il lui promet qu’avec l’Esprit saint elle ne s’égarera pas. Recevoir l’Esprit saint comme les Apôtres à la Pentecôte, c’est en même temps entrer dans l’Église, dans l’Assemblée qui est unie par le Seigneur. Sans l’Esprit saint, on se perd, on se divise, on tombe dans l’erreur et le mensonge. Aujourd’hui comme hier, il y a tellement de maîtres différents, d’idéologies, de mensonges, qui séparent et divisent les hommes ! En nous laissant enseigner par l’Esprit saint dans l’Église, nous avançons vers la Vérité, et c’est en même temps un chemin d’unité et d’amour. Nous souffrons trop souvent des divisions dans l’Église ; prions l’Esprit saint pour qu’Il fasse de son Église un véritable lieu d’unité.
L’Esprit saint reste en général discret dans son action (sauf dans le récit de la Pentecôte où Il est bien visible !). Il agit silencieusement, au cœur des hommes, et Il anime notre vie pour lui donner un sens. Il se laisse voir surtout à ses fruits, comme nous les a détaillés saint Paul en écrivant aux Galates dans ce magnifique passage [deuxième lecture] : « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur, maîtrise de soi ». En célébrant ensemble le Seigneur en ce dimanche, nous essayons de donner ce témoignage d’unité, de charité et de louange.
Ainsi, en formant l’Église, l’Esprit transforme en même temps le cœur de chaque croyant pour le rendre semblable à celui de Jésus. Sous l’action de l’Esprit saint, chacun peut vivre un profond renouvellement intérieur qui changera sa manière de vivre. Mais cette action est toujours discrète : il y en a certains qui n’ont pas conscience de la présence de l’Esprit saint, et qui pourtant se laissent conduire par Lui ! Il s’agit de Le laisser nous influencer, nous faire vivre. Non seulement nous ne pouvons pas croire sans l’action de l’Esprit, mais nous ne pouvons même pas faire le Bien sans sa présence et sa force.
« Puisque l’Esprit nous fait vivre, marchons sous la conduite de l’Esprit », nous a encore écrit saint Paul. Que ce jour de la Pentecôte nous fasse reprendre conscience de sa présence vivante ! Depuis deux mille ans, l’Esprit illumine l’Église : continuons à rendre aujourd’hui le témoignage d’une vie habitée par l’Esprit, une vie de sainteté et d’amour.
Sixième dimanche de Pâques — La Révolution de l'Amour
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Si Jésus est ressuscité, c’est pour nous faire ressusciter avec Lui. En ce temps de Pâques, dimanche après dimanche, nous méditons sur la richesse du don de Dieu : la nouvelle Vie qui nous est proposée dès maintenant, et qui se prolongera en Vie éternelle. La Résurrection de Jésus nous entraîne dans une nouvelle manière de nous comporter, de vivre : les chrétiens sont déjà entrés dans l’Éternité, et cela doit se voir à leur façon de vivre !
Voilà donc les paroles de Jésus, si riches, que nous rapporte l’Évangéliste saint Jean. Ces paroles ont été dites avant sa Passion, mais elles sont à méditer dans la lumière de la Résurrection. Jésus nous parle d’amour, et nous redit quelle est cette nouveauté de la vie chrétienne : une vie conduite par l’amour, une vie qui ressemble à celle de Jésus Lui-même. Il a vécu par Amour, Il est mort par Amour, et Il nous donne sa Résurrection, toujours pour que nous vivions de ce même Amour dont Il nous a aimés. Saint Jean nous l’a encore dit dans la deuxième lecture : « Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu : c’est lui qui nous a aimés le premier ». Mais l’amour, nous le savons, c’est un mot qu’on emploie sans cesse, à temps et à contretemps… Alors qu’est-ce que cela veut vraiment dire, quand on parle de l’Amour de Dieu ?
D’abord, dans notre vie, il y a un grand mystère qui nous blesse : c’est le mystère du mal, de la mort, de la souffrance. On ne peut pas faire semblant de ne pas y penser : tous, nous sommes touchés, meurtris, scandalisés, par des épreuves liées à ce mystère. Il y a des deuils, des souffrances, des séparations, des agressions, qu’on ne comprend pas ; et on ne sait pas comment nous comporter face à cela. Or la réponse que nous propose le Seigneur, l’unique manière de réagir, c’est justement l’Amour. Ou plutôt, le terme spécifiquement chrétien, c’est la Miséricorde : c’est l’action volontaire qui conduit au cœur [“-corde”] et qui transforme la relation. Seule la Miséricorde, parce qu’elle vient du Seigneur, peut nous conduire vers un chemin de vie.
Quand on veut vaincre le mal, en général, il faut d’abord identifier la source du mal. Par exemple, le médecin doit trouver l’origine de la maladie, la bactérie ou le virus qui en est la cause ; et puis après, on “fait la guerre” au virus, on emploie des médicaments puissants (ou la chirurgie) pour se débarrasser de l’agresseur. Si on y arrive, le mal est vaincu, la santé revient. Quand il s’agit d’un mal spirituel qui touche les hommes, on a tendance à avoir le même réflexe : il faut chercher la source du mal, telle ou telle personne dont on pense qu’elle est responsable des problèmes. Et puis cette personne devient le “bouc émissaire”, on lui met tout sur le dos… et on essaie de s’en débarrasser, y compris par la violence ! L’histoire du monde est pleine de ces boucs émissaires qui ont souffert sans raison : l’homme est tenté de soigner le mal par un mal plus grand, par la vengeance et par la haine. Si nous sommes honnêtes, nous devons reconnaître que cette tentation ne nous épargne pas : nous aussi, nous trouvons facilement des boucs émissaires pour expliquer nos ennuis !
Or justement, ce que nous apporte le Christ, c’est un changement en profondeur. Le mal n’est plus soigné par un autre mal, mais par un surcroît de Miséricorde et d’Amour. C’est ainsi que le Christ Jésus est venu soigner notre péché, en prenant sur Lui tout le poids du Mal : Il a aimé jusqu’au bout et Il a vaincu le mal et la mort. Nous aussi, nous pouvons participer à cette Victoire, en aimant jusqu’au bout, en mourant et en ressuscitant avec Lui.
Être chrétien, disciple du Christ Jésus, c’est donc exactement cela : se laisser transformer en profondeur, pour accomplir notre vocation de Miséricorde. C’est une véritable révolution ! La première loi désormais, c’est ce que nous dit Jésus : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés ». Car « ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu : c’est lui qui nous a aimés le premier ». Vivre dans la Miséricorde, c’est une transformation qui vient de la Grâce du Seigneur (et de notre Baptême). Sans Jésus, sans le don de l’Esprit Saint, nous sommes complètement incapables d’aimer ! On voudrait nous faire croire que l’homme est naturellement “sympa”, tolérant, démocrate… Mais c’est une illusion, sans la force de l’Évangile. Notre cœur nous apprend que nous sommes blessés par le péché ; et donc tentés d’être égoïstes, violents, tyranniques. Les violences qui se répandent autour de nous, les agressions et les assassinats, nous montrent hélas ce dont l’homme est capable, s’il n’est pas guidé par la Miséricorde du Seigneur.
Jésus seul est la source de tout Amour, de toute Miséricorde : Lui seul nous entraîne à sortir de la haine et du conflit par l’Amour, par le pardon. Que nos vies soient transformées par la présence du Christ, et nous apprendrons à aimer. « Dieu est amour », écrit saint Jean : devenons des images de Dieu, pour que le monde apprenne à aimer !
Cinquième dimanche de Pâques — Puissance de la Résurrection dans nos cœurs
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Jésus est la vigne, nous sommes les sarments ; sa Vie, nous la recevons si nous restons liés à Lui comme à la source. En ce temps de Pâques, temps de Résurrection, c’est la Vie de Jésus qui nous est donnée comme le plus grand des cadeaux de Dieu. Le Christ est ressuscité pour nous faire participer à sa Résurrection : comme les membres de son Corps, comme les rameaux de la vigne. Il n’est pas ressuscité juste pour nous montrer qu’« Il est le plus fort » : la Résurrection est le plus merveilleux des miracles, parce que nous y sommes associés. C’est pour cela que le temps de Pâques dure si longtemps (sept semaines jusqu’à la Pentecôte) : pour nous aider à prendre conscience qu’avec Jésus, nous sommes ressuscités ; et que la Résurrection doit rayonner à chaque moment de notre vie.
Jésus est donc ressuscité, Il a vaincu la mort. Mais pour l’instant, on n’a pas l’impression que l’événement de la Résurrection ait vraiment changé la face du monde. Les morts continuent de mourir, les malades continuent de souffrir… Où est-elle donc, cette victoire sur la mort qui nous est promise ? Pourquoi Jésus, au matin de Pâques, n’a-t-Il pas ressuscité avec Lui d’un seul coup tous les morts ?
La Résurrection est bien la Victoire sur la mort ; mais quand l’Évangile parle de la mort, il ne s’agit pas seulement de la « mort corporelle », celle qui terminera un jour notre vie terrestre. Il y a bien des manières d’expérimenter la mort, telle que nous l’avons héritée avec ce qu’on appelle le « péché originel ». Même si aujourd’hui nous sommes “bien vivants”, nous sommes pourtant déjà blessés par la mort qui est conséquence du péché. Il y en a qui semblent vivants… et qui sont morts, parfois sans le savoir ! On peut mourir par désespoir : celui qui n’espère plus rien, ne vit pas pleinement. On peut mourir par la rancune, par la haine : ne pas vouloir aimer, c’est renoncer à vivre en vérité. On peut mourir par le péché, les mauvaises habitudes, le goût des plaisirs ; on peut mourir par l’incapacité de pardonner, de faire le bien, ou encore par l’égoïsme. Il y a bien des manières d’être “morts”, c’est-à-dire de ne pas vivre comme nous devrions vivre, en enfants de Dieu appelés à la Résurrection.
Or c’est là que le Seigneur agit, c’est justement là qu’Il veut nous ressusciter avec la puissance du jour de Pâques. Nous ne devons pas nous attendre à des prodiges extraordinaires, tels qu’ils sont décrits dans les Évangiles ou dans les Actes des Apôtres : il n’y aura pas nécessairement autour de nous des guérisons de paralytiques, des réanimations de Lazare… Mais que les chrétiens vivent dans l’Amour et l’Espérance, c’est un prodige plus grand que les guérisons corporelles. La Résurrection se passe dans le cœur, dans l’âme, là où le Seigneur habite et accomplit des merveilles.
Si nous connaissons qui est l’homme, ce qu’il y a dans son âme, nous savons très bien qu’il est souvent plus difficile de soigner un cœur que de guérir un corps. L’intelligence humaine a appris à guérir beaucoup de maladies, à faire taire beaucoup de souffrances ; mais combien plus il est difficile de guérir un cœur, de redonner l’Espérance, de conduire un esprit vers le Bien ! C’est un long travail, l’œuvre d’une vie ; en particulier, cela peut être la mission éducative, qui consiste à conduire un jeune vers la liberté et vers le Bien. Redonner un sens à la vie, transmettre une raison d’espérer, transformer un cœur d’homme et le rendre capable d’aimer, c’est une action de la Grâce de Dieu ; ce n’est pas un effet de notre compétence ni de notre intelligence.
La Résurrection nous montre donc que la puissance qui est à l’œuvre est celle de Dieu : Il a ressuscité son Fils Jésus, Il nous ressuscite dans notre manière de vivre au quotidien – et Il nous ressuscitera au dernier jour. Au jour de Pâques, nous avons appris à ne pas placer notre force en nous-mêmes, mais dans la Grâce du Seigneur. Dieu seul peut nous rendre capables de mettre en œuvre l’Amour, le pardon, la réconciliation ; Lui seul nous donne la Miséricorde et la paix. Comme l’écrivait saint Jean [deuxième lecture], « devant Dieu nous apaisons notre cœur ; car [même] si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur ».
Nous ne voyons donc pas de grands prodiges extérieurs, mais nous sommes témoins de la force intérieure de la Résurrection : des cœurs sont guéris, des pardons sont accordés, beaucoup retrouvent l’Espérance dans la prière. Les Saints nous montrent de quoi est capable un cœur converti par le Seigneur : c’est un prodige sans cesse renouvelé qui vient de la Résurrection. Vivons nous-mêmes de cette force, comme les rameaux de la vigne : demeurons fidèles à Jésus ressuscité !
Troisième dimanche de Pâques — L'intelligence des Écritures
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Dimanche après dimanche en ce temps de Pâques, nous écoutons les récits des rencontres de Jésus avec ses disciples après la Résurrection. Nous n’avons pas assisté à la Résurrection elle-même : personne n’en a été témoin, cela s’est passé dans le secret de la Nuit de Pâques. Mais le Seigneur se montre, Il vient à la rencontre des disciples ; ainsi fait-Il naître la foi qui va conduire l’Église jusqu’à la fin des temps. Le moins qu’on puisse dire à propos de ces récits, c’est que la rencontre de Jésus ressuscité n’emporte pas l’adhésion (ni l’enthousiasme) de tous les disciples ! Lorsqu’Il se montre à certains, comme à Madeleine ou aux disciples d’Emmaüs, on ne croit pas leur témoignage. Et lorsque enfin Il vient vers tous les disciples, qu’Il est présent au milieu d’eux et leur dit : « La paix soit avec vous », ils sont effrayés, bouleversés, croient voir un fantôme ! Cela nous dit clairement (et les Évangiles ne cachent pas) que les disciples ne croyaient pas que Jésus pouvait ressusciter. La Résurrection n’est pas un phénomène d’auto-suggestion, ni une illusion des disciples, qui s’imaginaient tellement quelque chose qu’ils ont fini par le croire… Au contraire : personne n’y croyait, personne ne s’y attendait ! et c’est arrivé quand même, en dépit du manque de foi des disciples.
L’épisode que nous venons d’entendre, dans l’Évangile selon saint Luc, se situe juste après le récit des disciples d’Emmaüs. Les Apôtres et leurs compagnons sont désespérés. Ils avaient cru à un Messie triomphant, et tout semblait s’être écroulé : Celui en lequel ils avaient mis leur confiance était mort, plus personne ne croyait vraiment en Lui. Or Jésus se montre à eux dans la réalité de sa Résurrection : « Voyez mes mains et mes pieds, touchez-moi : c’est bien moi ! ». Mais Il ne fait pas que se montrer à eux. L’Évangile nous dit quelque chose d’essentiel : « Il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures ». Dans le récit d’Emmaüs, nous nous souvenons que Jésus fait la même chose avec les deux disciples (qui ont eu ce jour-là une catéchèse unique !) : « Partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait » [24,27]. Jésus, en manifestant sa Résurrection, montre que cet événement de Pâques est l’accomplissement d’une longue histoire : celle des Écritures qui racontent le projet de Dieu.
Devenir chrétien, c’est entrer dans cette longue histoire. Par notre foi, nous recevons la connaissance du projet du Seigneur ; et mieux encore, nous voyons ce projet à l’œuvre dans notre monde. Les Écritures que Jésus explique à Emmaüs, celles qui « ouvrent l’intelligence » des disciples, doivent nous être expliquées, car nous ne les comprenons pas directement. Elles sont porteuses d’une Sagesse qui nous dépasse. Elles annoncent la Victoire du Messie de Dieu ; mais les croyants de l’époque du Christ voyaient cette Victoire comme un triomphe politique, si bien qu’ils ont été désemparés lorsque Jésus a été crucifié. Il a fallu du temps – et la catéchèse de Jésus ressuscité ! – pour qu’ils comprennent le sens des événements terribles auxquels ils ont assisté. S’ils ont si peu cru à la Résurrection, comme Jésus le leur reproche, c’est parce qu’ils avaient une « intelligence des Écritures » qui était limitée, partielle.
Bien sûr, nous ne saurons jamais exactement ce que Jésus a dit à ses disciples pour leur « ouvrir l’intelligence aux Écritures ». Mais Il a certainement dû étendre leur perspective. Ils voyaient un Messie triomphant ; Jésus a dû leur parler aussi des rejets, des refus qui se manifestent chez les prophètes de l’Ancien Testament. Comme saint Pierre le dit au peuple [première lecture], « tous les prophètes avaient annoncé que le Christ, le Messie, souffrirait ». Les prophètes eux-mêmes avaient été rejetés et persécutés ; le prophète Isaïe avait annoncé les souffrances du Serviteur [50,6 ; passage bien connu qu’on lit au Carême] : « J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe ». Les Écritures se sont donc accomplies pendant la Passion ; et naturellement, elles se sont accomplies de manière merveilleuse par la Résurrection, qui est la Victoire finale. Non plus une victoire militaire sur les ennemis d’Israël (ce n’étaient que des préfigurations), mais la Victoire définitive sur le Mal et la mort. Tous les récits antérieurs nous annonçaient cette Victoire : le Déluge, le passage de la mer Rouge, la Terre promise, étaient déjà des signes de la Résurrection.
Connaître les Écritures, c’est donc découvrir avec émerveillement le projet de Dieu, et la pédagogie avec laquelle Il accomplit ce projet. Quelle vénération nous devons avoir pour ces Écritures qui nous sont transmises ! Dieu a conduit son peuple Israël, Il lui a révélé sa Miséricorde au travers du Mal, de l’infidélité, de la mort, et par sa Victoire : tout s’éclaire dans la lumière de la Résurrection. Entrons nous aussi avec joie dans « l’intelligence des Écritures » !
Pâques — Ce que change la Résurrection (Baptême d'Eugénie et de Gaspard)
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures de ce Jour très Saint.
Dans ce récit du matin de Pâques, ce qui domine, c’est l’étonnement. On devine que Marie Madeleine, ainsi que les deux Apôtres Pierre et Jean, sont totalement désemparés devant ce qui s’est passé. Ils avaient accompagné Jésus au tombeau (sauf Pierre), ils avaient pris soin de Lui avec amour et respect… et puis voici que la pierre est enlevée, que le corps a disparu. On peut imaginer la panique, l’incompréhension qui les saisit… Mais cette crainte ne durera pas. Jean témoigne qu’il a reçu le don de la foi (« Il vit, et il crut ») ; quant à Madeleine, elle va rencontrer Jésus sur le chemin et le reconnaître comme le Ressuscité.
Toute la foi de l’Église part de ce simple fait : Jésus a disparu du tombeau, Il est ressuscité, Il a vaincu la mort. Personne ne s’y attendait, personne n’invente cette histoire, personne ne pensait cela possible : la Résurrection est l’irruption de la puissance de Dieu dans la vie d’une communauté d’hommes et de femmes, qui étaient désespérés, dispersés après la mort de Jésus. Là où l’homme ne pouvait plus rien, là où il n’espérait plus rien, voilà que Dieu agit et dépasse tous les espoirs. Il y a donc ces faits constatés par les Apôtres, et aussi la rencontre avec des anges qui leur demandent : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? » [Lc 24,5]. À partir de ces épisodes, c’est la foi de l’Église qui va naître. Comment comprendre ce qui s’est passé ? On a pu émettre beaucoup d’hypothèses contradictoires ; mais la seule explication qui tienne, c’est la Résurrection du Seigneur. Et Jésus va se montrer à ses disciples pendant quarante jours, pour affermir leur foi naissante.
Oui, la foi de l’Église – notre foi ! – vient de cet événement central et unique. L’Église n’a pu grandir, se développer, porter l’Évangile aux quatre coins du monde, que parce qu’elle a reçu la Nouvelle de la Résurrection au matin de Pâques ; et parce qu’elle a été fortifiée par l’Esprit saint à la Pentecôte. Elle se laisse conduire par le Seigneur ressuscité, qui est vivant au milieu de ses disciples [« Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde », Mt 28,20]. Si Jésus n’était pas ressuscité, l’Évangile n’aurait jamais franchi les portes de Jérusalem !
Peu à peu, l’Église a médité et compris le sens de l’événement de Pâques. Si la mort est vaincue, si le Fils de Dieu est sorti du tombeau, alors c’est le péché qui est aussi vaincu. L’homme, éloigné de Dieu, allait vers la mort : car le péché sépare l’homme de sa vocation divine, et donc conduit à la mort. Mais Jésus est envoyé dans le monde pour réconcilier les hommes avec son Père. Après avoir subi sur Lui-même les conséquences du péché, donc la mort [c’est ce que nous avons commémoré au temps de la Passion], Jésus est désormais victorieux par sa Résurrection : Il redonne la vraie Vie, et l’homme réconcilié devient fils de Dieu. La mort est vaincue, le Seigneur est victorieux du péché, l’homme est délivré. Plus rien ne peut nous séparer de l’Amour de Dieu ! L’événement inattendu de ce matin est la source de toute vie et de toute réconciliation.
Le Seigneur veut nous faire participer à cette nouvelle Vie ; et Il le fait, Il nous réconcilie, en nous donnant le Baptême. Il est tellement significatif de célébrer des baptêmes à Pâques : que ce soient les baptêmes d’adultes à la Vigile pascale, ou les baptêmes d’Eugénie et de Gaspard ce matin.
Le Baptême n’est pas seulement un “bain de purification”, comme le font certaines traditions – et comme l’était celui de Jean Baptiste. Le Baptême devient le passage de l’homme, à la suite du Christ, par la mort et la Résurrection. La Résurrection de Jésus a été unique, mais elle n’est pas un événement isolé : nous y participons en passant par l’eau du Baptême. Jésus est comme un “premier de cordée”, qui a voulu traverser nos épreuves jusqu’à la mort, et Il nous entraîne à sa suite dans une Vie radicalement nouvelle : une Vie réconciliée avec Dieu, avec nous-mêmes et avec nos frères. Cette Vie ne se manifeste pas toujours par de grands prodiges, mais par un renouvellement intérieur. Être sauvé du péché et de la mort, c’est recevoir en soi, dans son cœur (par l’action de l’Esprit saint), un ferment de vie qui transforme tout ! Nous devenons porteurs – ces enfants vont devenir porteurs – de la Miséricorde de Dieu, de la réconciliation, du pardon, de la paix. Les baptisés sont des présences de Jésus dans ce monde.
« Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut », écrivait saint Paul [deuxième lecture]. Qu’Eugénie et Gaspard, et tous les baptisés de Pâques, lèvent les yeux vers le Seigneur ; qu’ils apprennent à prier, pour que vive en eux la puissance du Christ ressuscité. Ils deviendront témoins de la Victoire du Christ sur la mort, témoins de la réconciliation !
Nuit de Pâques — La vraie aventure est intérieure (Baptême de Vadim, Gabrielle, Marla)
Avant de lire l’homélie, je peux méditer les lectures de cette Nuit très Sainte.
À travers quelques épisodes de l’Ancien Testament, c’est une bien longue histoire qui nous a été contée en cette Nuit de Pâques ! Un long parcours, un long chemin parcouru par nos ancêtres dans la foi. Une histoire d’actions, d’émotions ; un grand récit tissé de promesses, de fidélité, et aussi d’infidélités… On peut dire que c’est une histoire d’amour qui s’étend sur tous ces siècles : histoire d’amour entre Dieu et l’humanité, en commençant par le récit de la Création. Histoire d’amour particulièrement entre Dieu et un peuple, qu’Il a choisi librement, qu’Il accompagne longuement parce qu’Il a promis de lui être fidèle. Ce peuple d’Israël, le Seigneur en a fait le dépositaire de sa Parole ; et si Dieu est fidèle à ses promesses, du côté de l’homme il y a la faiblesse, l’inconstance, l’incertitude.
D’où vient ce long dialogue entre Dieu et les hommes ? Pourquoi Dieu a-t-Il pris l’initiative de se révéler, de parler à l’homme, et de persévérer même quand l’homme ne répondait pas ? Ce que veut le Seigneur, ce n’est pas affirmer son autorité ou donner des commandements : Il ne cherche pas à régner sur un peuple d’esclaves. Si Dieu parle à l’homme et s’Il agit pour lui, c’est d’abord pour donner son Amour. En Dieu, l’Amour déborde : Dieu est Trinité, donc dialogue infini d’Amour entre le Père, le Fils, le Saint-Esprit. Comme un récipient qui déborde, le Seigneur désire que cet Amour se répande sur toute la Création. Et jour après jour, siècle après siècle, Il continue de donner avec une infinie générosité.
Mais voilà que cette longue histoire d’amour s’achève ce soir avec votre Baptême, Vadim, Gabrielle et Marla. Tout ce que nous avons entendu dans les lectures, c’était juste pour préparer cette sainte Nuit, et le Sacrement extraordinaire que vous allez recevoir ! Ce soir vous pouvez dire en vérité : « Depuis plus de trois mille ans, le Seigneur nous parle… pour que moi, je sois baptisé(e) ce soir ». De la même manière, saint Paul écrivait : « Le Fils de Dieu m’a aimé et s’est livré pour moi » [Ga 2,20]. Ce n’est pas de l’égoïsme, mais de la gratitude ! Il est bon de nous rappeler que le Seigneur a un projet sur chacun de nous personnellement : sur moi, sur toi, sur toi…
Donc pour vous, futurs baptisés, les promesses de Dieu s’accomplissent définitivement ! Non pas, bien sûr, que tout soit fini dans le monde… mais pour vous, tout ce qui précède avait un seul but : vous faire entrer dans le Royaume de Dieu, dans la Réconciliation, la Vie nouvelle ; vous faire renaître et vous donner déjà la Vie éternelle.
Oui, le Baptême est l’accomplissement de toutes les promesses du Seigneur : vous allez ressusciter à la suite du Christ. L’histoire ne s’arrête pas là pour vous : c’est au contraire un nouveau départ. Mais ce que le Seigneur vous donne, vous le recevez dès ce soir en plénitude. En entrant dans la Résurrection par le Baptême, vous devenez des enfants de Dieu, vous accomplissez déjà (même si vous êtes jeunes !) votre vocation d’homme et de femmes ; en un mot, vous ne pouvez rien désirer de plus que ce don. Tout vous est donné, définitivement.
Ceux qui nous précédaient dans la foi (les enfants d’Israël) ont attendu avec espérance ce qui devait leur être donné : et aujourd’hui vous le recevez avec abondance. Il a donc été important pour nous tous, en cette sainte Nuit, de refaire ce long parcours à travers les écrits de l’Ancien Testament. Car chacun des événements, chacune des paroles, a un sens profond : ce soir nous ne relisons pas ces récits comme un roman d’aventures, mais comme des signes cachés du projet de Dieu. Les histoires de la Bible sont pleines de péripéties et de mésaventures ; dans les chroniques du peuple d’Israël il y a des batailles, des morts, du sang, des sacrifices… Il ne s’agit pas de les lire “littéralement” [même s’ils sont pleins d’intérêt pour les historiens], mais de les comprendre en profondeur. Dès le début de l’Église, les premiers théologiens – les “Pères de l’Église” – ont relu tout cela pour y trouver une véritable signification pour la foi chrétienne. Et alors, tout s’éclaire ! Ces histoires anciennes deviennent actuelles, si on les médite dans le silence du cœur. On ne les lit pas comme des histoires, mais on prie avec ces récits ; la vraie aventure, on la vit dans la prière, dans l’intériorité du cœur.
- Nous avons commencé par le récit de la création du monde : l’auteur insiste sur la bonté, la beauté du monde, l’harmonie de la Création, les rythmes réguliers du jour et de la nuit. Nous aussi, faits à l’image de Dieu, nous sommes créés pour l’harmonie et pour la paix. Toute la Création rend gloire à Dieu par son existence ; notre cœur, lui aussi, rend gloire à Dieu. Mais le péché vient souiller notre ressemblance avec le Seigneur, et agite notre conscience comme un vent violent. Dieu nous annonce une Espérance nouvelle : de même que la Création est faite pour la beauté et la paix, il nous est promis à nous aussi de retrouver la paix en nous réconciliant avec le Seigneur. La grâce du Baptême rétablit la paix dans le monde entier, comme Dieu l’a voulu : « Cela était très bon ».
- Ensuite, l’Église nous propose le récit si connu du passage de la mer Rouge : c’est la grande libération de l’esclavage de Pharaon, roi d’Égypte. Cependant, comme le dit saint Paul, « nous ne luttons pas contre des êtres de sang et de chair, mais contre les esprits du mal » [Ép 6,12]. Il ne s’agit pas d’être libérés d’un roi païen, mais du démon, du Mal ! Et c’est ce que fait le Baptême, qui nous fait passer par l’eau comme les Hébreux passent par la mer Rouge. Si nous avons une vie de prière, nous nous rendons compte que le vrai combat se déroule dans notre cœur, entre le Bien et le Mal. Vous qui allez être baptisés, vous serez libérés par la grâce du Seigneur ; mais vous aurez tout de même à combattre, dans la prière, pour que jamais l’égoïsme ne l’emporte en vous.
- Nous avons encore entendu la belle prophétie d’Ézéchiel : « Je vous rassemblerai de tous les pays, je vous conduirai dans votre terre. Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés ». Comme les Hébreux, nous sommes le peuple dispersé, exilé par le péché, soumis aux disputes, au conflits ; Dieu veut nous conduire à nouveau sur la Terre promise pour y vivre dans la paix et l’unité. Vadim, Gabrielle, Marla, vous allez recevoir « une eau pure » ; et la Terre promise où vous entrez, c’est l’Église où règnent la paix et l’amour fraternel. Soyez les bienvenus parmi nous, et donnez à tous vos frères l’Amour que le Seigneur vous offre aujourd’hui ; pour que notre communauté soit signe de réconciliation dans le monde.
Enfin, l’Évangile comble notre attente : « De grand matin, le premier jour de la semaine », Jésus est ressuscité. Les promesses se sont accomplies ! Le mal et la mort sont vaincus, l’homme devient fils de Dieu, la paix et la réconciliation sont données. C’est dans le cœur que le Seigneur agit, pour nous transformer et nous renouveler à l’image de Jésus.
Vadim, Gabrielle, Marla, continuez donc d’apprendre à prier – dans le silence du cœur – pour devenir de plus en plus enfants de Dieu. Aujourd’hui, vous êtes les héritiers de trois mille ans de promesses et d’amour ; Dieu vous donne tout ce que vous attendiez, tout ce que votre cœur désire. Vous n’avez plus rien à espérer ! Remercions le Seigneur pour ce don, et faisons vivre en nous le don de la Vie éternelle.
Vendredi Saint — Peut-on imiter Jésus ?
Avant de lire l’homélie, je médite le récit de la Passion du Seigneur.
C’est une histoire terrible que nous raconte ce long récit de la Passion selon saint Jean. Une histoire hors du commun, pleine de cruauté, de haine, de jalousie. Jésus est passé par des supplices qu’on a du mal à imaginer, et que nous, probablement, n’aurions pas pu supporter ! Il montre le chemin aux grands martyrs de la foi, ceux qui se sont fait massacrer, lapider, tailler en pièces pour l’Amour de Dieu. La foi en Jésus restera marquée à jamais par les souffrances que nous venons d’entendre. Être chrétien, depuis deux mille ans, c’est contempler ces événements… mais aussi, souvent, avoir de la difficulté à les comprendre.
Les Évangiles accordent une place essentielle au martyre de Jésus ; et l’Église en fait même le centre de l’année liturgique, avec la Semaine sainte. Nous entendons ce qui s’est passé, et cependant nous avons du mal à nous y reconnaître. En quoi tout cela nous concerne-t-il ? Nous ne sommes pas des martyrs, nous ne sommes pas des héros ; et il n’y a peut-être pas grand-chose dans notre vie qui soit sublime ou atroce comme la Passion du Christ… Qu’avons-nous en commun avec Jésus, et pourquoi nous rappelons-nous avec tant de régularité les événements du Calvaire ?
Pourtant, être chrétien, c’est bien être disciple de Jésus, et imiter Jésus : pas nécessairement dans son supplice, mais au moins dans sa manière d’être. Ce qui compte dans le récit de l’Évangile n’est pas de décrire minutieusement toutes les plaies et toutes les souffrances du Christ, mais plutôt de méditer sur la raison pour laquelle Jésus a traversé ces épreuves. Quelle est son attitude, quel est son comportement, comment pouvons-nous comprendre ce qui s’est passé ? Nous voyons parfois Jésus parler, répondre à ses adversaires (par exemple à Ponce Pilate), et à d’autres moments, Il se tait et laisse les accusateurs Le condamner.
Ce qui conduit Jésus en ce jour de sa Passion, c’est d’accomplir jusqu’au bout le don de l’Amour : c’est pour cela qu’Il a été envoyé par son Père, c’est ce qui transparaît à chaque instant de sa vie. Il va tout donner, Il va se donner par Amour pour chacun de nous. C’est pourquoi Il parle quand c’est utile pour témoigner de la Miséricorde de Dieu ; et Il se tait quand la parole devient inutile, et lorsque c’est l’Esprit qui parle par ses actes. Jésus ne veut qu’une seule chose, c’est montrer que sa Miséricorde est infinie : donner son Amour, et donner sa vie par Amour.
En cela, nous pouvons imiter Jésus ! Il se donne par Amour, et nous pouvons nous aussi nous donner à nos frères, pour l’Amour de Dieu. Ce ne sera pas nécessairement par une souffrance identique à celle de Jésus, mais par l’attitude qui est la sienne : attitude du don, du pardon, attitude de la Miséricorde – et même si nous ne pouvons pas beaucoup agir, nous pouvons toujours donner de l’amour. N’oublions jamais qu’à la source de la mission du Christ, il y a une vie intense de prière (il passait des nuits entières à prier son Père, nous dit l’Évangile). Nous avons, nous aussi, besoin d’une vie de prière, d’une vie intérieure, pour que le don de Dieu soit manifesté dans nos vies.
La Passion du Christ est le don suprême de l’Amour. Nous la méditons en ce Vendredi saint, pour que notre vie, à la suite de Jésus, devienne un don d’amour. Malgré les contradictions et les oppositions, à la suite de Jésus, ce don nous conduira à la Résurrection.
Jeudi Saint — L'Eucharistie, la prière, le service
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures de la sainte Cène du Seigneur.
Nous entrons ce soir dans le saint Triduum de Pâques, c’est-à-dire les trois jours qui vont conduire Jésus vers son procès, sa condamnation, ses souffrances et sa mort ; et puis nous serons témoins de la puissance de résurrection du Christ, qui ressuscitera aussi les nouveaux baptisés dans la sainte Nuit de Pâques. Jésus va accomplir toutes les promesses de l’Ancienne Alliance, rendre la vie aux pécheurs, réconcilier le peuple de Dieu. Si nous voulons être disciples du Christ, ces fêtes de Pâques doivent être au centre de toute notre année, car c’est là que tout se passe ; même la grande fête de Noël, en un certain sens, n’existe que pour nous préparer à la joie de Pâques.
Notre foi n’est pas seulement une “croyance”, comme certains se qualifient de “croyants”… avant d’ajouter qu’ils ne sont “pas pratiquants” (ce qui veut dire que leur croyance ne change rien à leur vie). Si nous sommes croyants en ce Dieu qui nous sauve par son Fils, le Mystère du Salut est essentiel pour nous, et transforme notre existence. La foi en Jésus mort et ressuscité unifie toute notre vie : comme le point central autour duquel tout est ramené. Les chrétiens ne peuvent pas séparer leur vie en plusieurs parties : croire en Quelqu’un, proclamer le Credo, c’est aussi le proclamer par notre manière de vivre, de choisir, de prier, de nous orienter, d’entrer en relation avec les hommes. Professer que Dieu est Amour tout en vivant dans la haine et la rancune, ce serait évidemment une terrible hypocrisie.
Nous avons à centrer notre vie sur Jésus, et à montrer aux hommes une foi simple et solide. Le monde contemporain a besoin de convictions ; sinon, « tout se vaut », le bien et le mal finissent par être confondus… Si chacun garde sa petite vérité dans son coin, il n’y a rien de commun entre les hommes, plus rien ne guide notre comportement : le monde devient un champ de bataille et la violence l’emporte. Il est nécessaire de dialoguer, il est nécessaire d’aimer, et il est surtout nécessaire de reconnaître ce qui peut donner un sens, et orienter toute une communauté. En ces jours Saints, nous nous mettons résolument à la suite du Christ, et nous trouvons en Lui le centre de notre existence.
Au soir du Jeudi saint, Jésus nous laisse un don radicalement nouveau pour que notre vie soit unifiée autour de Lui ; c’est-à-dire autour de l’Amour. À travers les gestes et les paroles de la sainte Cène, Il nous oriente vers un chemin d’unité, à son imitation et avec la force de sa Grâce.
Dans l’Ancien Testament, comme nous l’avons entendu dans la première lecture [Livre de l’Exode], il y avait les sacrifices, qui étaient des actes de culte essentiels. L’agneau pascal est immolé pour faire mémoire de la libération d’Égypte ; c’est un sacrifice, une manière d’offrir quelque chose à Dieu, et de Lui demander de continuer à nous libérer comme autrefois. Mais le sacrifice n’est pas quelque chose d’extérieur ou une simple pratique religieuse : il débouche sur la conversion du cœur de l’homme. Moïse donne la Loi religieuse, et aussi les Dix Commandements : le peuple d’Israël ne doit pas mettre sa confiance dans les sacrifices, mais il doit unifier sa pratique religieuse avec son comportement. Faire confiance à Dieu, c’est non seulement offrir l’Agneau de la Pâque, mais c’est aussi vivre dans le bien, l’honnêteté, la modération, la paix.
Jésus donne un sens à tout cela, et vient nous rejoindre dans toutes les dimensions de notre vie. Nous sommes croyants : il y a donc le culte, l’adoration de Dieu, l’écoute de sa Parole, qui font partie de nos priorités. Mais il y a aussi la prière, dont nous avons besoin pour grandir dans le silence du cœur, dans l’intériorité. Et il y a encore le service, la charité, le partage, le dévouement, qui sont indispensables pour que l’Amour de Dieu se répande dans le monde. Or en cette sainte Cène, au soir du Jeudi saint, le Seigneur nous donne l’Eucharistie qui récapitule tout cela ; et qui unifie entièrement la vie des chrétiens. Nous ne pouvons plus séparer la prière, l’adoration et le service : tout est inclus dans ce don merveilleux de l’Eucharistie.
Dans l’Évangile, Jésus lave les pieds de ses disciples en signe de service ; mais Il va aussi leur donner son Corps et son Sang en signe d’offrande. À sa suite, nous sommes invités à « nous laver les pieds les uns aux autres », comme devoir de charité et de service ; à offrir à Dieu, dans l’Eucharistie, tout ce que nous sommes, comme acte d’adoration ; et à prier sans nous lasser pour que notre cœur soit touché par le Seigneur.
C’est ainsi que notre vie est unifiée dans l’Eucharistie : nous offrons, nous prions, nous servons. Que ces trois Jours saints nous renforcent dans notre foi ; qu’ils fassent de nous des disciples sans cesse nourris et raffermis par l’Eucharistie du Seigneur !
Dimanche des Rameaux — En une semaine, toute notre vie
Avant de lire l’homélie, je peux méditer le long récit de la Passion.
Nous voici entrés dans la Semaine sainte avec le jour des Rameaux, l’entrée de Jésus à Jérusalem ; et ce long récit de la Passion qui nous a mis à la suite de Jésus accusé, souffrant, mort ; avant de Le suivre dans sa Résurrection dimanche prochain. Au cours de cette grande semaine, notre principal souci sera d’accompagner Jésus, de vivre avec Lui tous ces événements qui sont au centre de notre foi. Et bien sûr, nous essaierons de les vivre en profondeur, de les intérioriser : que la Passion de Jésus ne soit pas pour nous une histoire ou un roman, mais une réalité qui nous touche au cœur. En cette année qui est consacrée à la prière, nous avons à vivre tout cela dans une attitude priante, une écoute intérieure.
En ce jour des Rameaux, nous avons entendu comme un “condensé” de ce qui est le plus important dans la vie de Jésus, dans l’Évangile. D’abord la joie du peuple qui a vécu tant de guérisons, tant de merveilles accomplies par Jésus ; ce peuple qui a bien compris que le Messie attendu était arrivé ; et qui ne comprend pas, en revanche, pourquoi les chefs des prêtres rejettent cet homme si extraordinaire. Enfin, le Messie arrive à Jérusalem, la Ville qui espérait depuis des siècles son Libérateur ! Il est acclamé et le peuple exulte. Mais ce moment de joie ne dure pas : le peuple se retourne contre Jésus, et exige qu’Il soit crucifié. Les cris de haine du Vendredi répondent aux cris de joie du dimanche. Et Jésus, qui partage notre nature humaine, lance vers son Père une prière angoissée car la mort s’approche.
Ces événements ne sont pas seulement des choses du passé. À travers tout cela, nous reconnaissons les circonstances de notre vie : cette Passion fait écho à ce qui nous habite. Les joies, les difficultés, les souffrances de chaque jour, nous les voyons dans ce cheminement. Et même ce qui est peut-être l’épreuve la plus grande, le désespoir : penser que notre vie n’a aucun sens, que nos efforts ne servent à rien : Jésus a voulu vivre cela au jardin des Oliviers, et le partager avec ses disciples : « Mon âme est triste à mourir ».
Ce temps de la Passion nous donne donc la conviction que notre vie tout entière est accompagnée par Jésus : Il assume tout ce que nous vivons, et les récits de l’Évangile sont parallèles à nos histoires personnelles. C’est pour cela qu’il est si important de méditer ces récits (particulièrement ceux de la Passion) dans le silence de nos cœurs et dans notre prière ; parce que Jésus nous rejoint dans ce qui tisse la trame de notre vie. La Passion n’est pas un mythe des temps anciens que l’on étudie de l’extérieur, mais un moment de notre existence actuelle.
Notre prière doit donc se nourrir de ces Évangiles (et il est bon de les lire au moins une fois par an !). En méditant ces épisodes, en nous mettant à la suite de Jésus à Jérusalem, puis au Calvaire, nous avançons avec Lui, sous l’action de l’Esprit saint. Nous entrons dans la signification profonde de la Passion, qui devient pour nous un récit intérieur.
La méditation de la Passion de Jésus donne un sens à notre vie. Au seuil de la Semaine sainte, entrons dans tous ces événements à la suite de Jésus… pour ressusciter avec Lui.
Quatrième dimanche de Carême — Vaincre le Mal avec Jésus
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Ce quatrième dimanche est illuminé par une phrase de l’Évangile que nous venons d’entendre : « Dieu a tellement aimé le monde, qu’Il a donné son Fils unique ». Phrase toute simple et merveilleuse, qui résume notre foi ! Dieu nous aime, Il aime son œuvre, Il aime le monde : Il ne peut se résigner à l’absence d’amour. Il nous a donc envoyé son Fils pour nous réconcilier, pour faire de nous ses enfants d’adoption. Ce qui conduit toute la Révélation et toute l’histoire du monde, c’est l’Amour de Dieu. Il ne dialogue pas avec nous pour nous donner des ordres, ni pour exiger notre obéissance : Il nous parle uniquement parce qu’Il nous aime et qu’Il veut nous sauver.
Dans ce même passage de saint Jean, il y a cependant une autre phrase qui semble beaucoup plus négative : « La lumière [c’est-à-dire Jésus] est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises ». Est-ce vrai ? Devant le don de l’Amour de Dieu, est-il vrai que les hommes ont préféré les ténèbres du péché ? Et vraiment, les « œuvres » des hommes sont-elle à ce point « mauvaises » ? Ce passage nous oblige à réfléchir, d’autant que nous le lisons en Carême : comment comprendre l’appel du Seigneur à nous convertir, à rejeter résolument le mal et les ténèbres ?
Si l’on voit l’Évangile de manière superficielle, on a l’impression que la foi consiste à obéir à des commandements, à ne pas faire de mal aux autres, à être généreux ; et puis quand on enfreint ces “règles de conduite”, on fait des péchés. Alors il faut demander pardon à Dieu ; et comme le Seigneur est bon, Il nous pardonne nos péchés. Cela semble tout simple, et finalement ce n’est pas très grave… Il n’y avait pas de quoi crucifier Jésus ! Mais le fond de l’histoire du monde, ce n’est pas seulement que l’homme désobéit à des petits commandements. C’est beaucoup plus profond : le monde est en proie au Mal comme le dit l’Évangile : « Les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière ». Le mal est là, autour de nous, et il occasionne tellement de souffrance ! « Préférer les ténèbres », ce n’est pas seulement un choix personnel : c’est une tragédie qui touche tous les hommes, et qui nous blesse à la racine de notre cœur. S’il y a des guerres, des crimes, de la cruauté, de l’indifférence ; si nous voyons des mensonges, des injustices, des oppressions, tant d’égoïsme et de corruption, c’est parce que l’homme a « préféré les ténèbres ». Le mystère du Mal vient du cœur de l’homme, influencé par cette créature mystérieuse qu’on appelle le Démon.
Nous constatons cette situation, mais nous ne pouvons pas nous y résigner. Dieu non plus ! C’est pourquoi « Il nous a envoyé son Fils unique », pour nous délivrer du mal et des ténèbres. Nous sommes complices du mal, et nous en sommes aussi victimes, comme souvent nous sommes victimes des injustices dans le monde : mais le Seigneur ne veut pas nous y abandonner, Il nous donne la seule Espérance. La Bible nous raconte sans cesse l’action de Dieu dans les ténèbres de l’homme : comme par exemple la première lecture de ce jour, où le peuple d’Israël est déporté à Babylone, sans espoir ni perspective d’avenir ; et c’est là que Cyrus, le roi païen, sera touché par le Seigneur pour libérer Israël. Rien n’est jamais perdu !
Notre conviction de chrétiens, c’est que « Dieu nous a tellement aimés » qu’Il nous sauve, nous aussi, du Mal et du désespoir. Jésus est mort et ressuscité : le Mal est vaincu, rien n’est désespéré, rien n’est perdu – même si nous pouvons parfois en douter. Face à l’injustice que nous voyons, notre premier mouvement consiste à nous révolter, à chercher des coupables : c’est tout à fait légitime, mais le Seigneur veut que nous allions encore plus loin. Notre tentation est de nous venger, c’est-à-dire “répondre au mal par le mal”. Cependant, l’Évangile enseigne un chemin différent : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé ». Jésus a été victorieux du Mal et de l’injustice non pas en punissant les coupables, mais en donnant sa vie par Amour. Le seul moyen définitif de vaincre le mal, c’est la Grâce de Dieu qui nous permet d’être plus forts que le péché : comme le disait saint Paul tout à l’heure [deuxième lecture], « c’est par la grâce que vous êtes sauvés […] Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu ».
Oui, le Mal est à l’œuvre, mais Dieu est Tout-puissant contre le Mal. Seuls, nous ne pouvons pas vaincre le mal : nous pouvons parfois éliminer les méchants (ou nous venger), mais la vraie Victoire vient de la Résurrection du Christ. Avec Lui, nous pouvons être plus forts que le péché : le vaincre d’abord en nous, puis autour de nous. À Dieu notre Père, et à Lui seul, nous pouvons adresser cette dernière demande du Notre Père : « Délivre-nous du Mal ! ».
Cinqui!me dimanche du Temps Ordinaire — Avec Jésus, "sortir" pour vivre l'Évangile
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Dimanche après dimanche, nous assistons avec émerveillement à l’annonce de l’Évangile. Jésus a été envoyé pour cela, c’est le centre de sa mission auprès des hommes : annoncer l’Évangile, qui est la Bonne Nouvelle pour tous les peuples. Cette annonce rayonne de manière extraordinaire ! On a du mal à s’imaginer ce que cela a dû être pour ses disciples, de voir Jésus agir ainsi : Il va partout, Il guérit, Il expulse le mal du cœur de l’homme, sa présence transforme tout. Comme le dira saint Pierre après la Pentecôte : « Là où il passait, il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui » [Ac 10,38]. Il est l’unique Sauveur, il n’y en a pas d’autre.
Nous avons entendu Jésus dire : « Il faut que je proclame l’Évangile, c’est pour cela que je suis sorti ». Il le dit d’ailleurs à un moment où justement Il n’est pas sorti de la maison pour annoncer l’Évangile, mais pour prier. Quand Il dit : « Je suis sorti », il s’agit de quelque chose de plus grand : Jésus est « sorti » du Père, Il a été envoyé sur la terre, pour proclamer l’Évangile. Dieu aurait pu nous abandonner au péché et à la mort, Il aurait pu rester à distance ; mais Il a voulu « sortir » vers les hommes, partager notre vie et nous apporter la Vie éternelle. C’est cela la Bonne Nouvelle, l’Évangile dont nous sommes témoins : Dieu nous aime tellement qu’Il veut nous sauver, et qu’Il a envoyé son Fils pour donner le Salut [Jn 3,16]. L’Évangile, c’est Jésus Lui-même, qui porte en Lui la réconciliation et la Vie. En proclamant l’Évangile, Il accomplit en même temps toutes les guérisons qui sont des signes de la Victoire sur le mal.
C’est pour cela que l’Évangile doit être au centre de nos vies. Saint Paul, dans la seconde lecture de ce dimanche, s’exclamait : « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! ». Il a compris que l’homme ne pouvait pas vivre pleinement sans connaître l’Évangile de Jésus ; alors Paul se dévoue, consacre sa vie entière, se fait « l’esclave de tous afin d’en gagner le plus grand nombre ». Aujourd’hui, la nécessité est la même qu’au temps de saint Paul. Si nous restons à distance de l’Évangile, nous ne pourrons jamais accomplir notre vocation d’hommes ; et si nous connaissons l’Évangile, nous nous sentons pressés de le partager avec nos frères, pour qu’eux aussi fassent la rencontre du Christ. Cette puissance de guérison qu’apporte Jésus, elle agit encore aujourd’hui dans l’Église par l’Esprit saint.
Ce que nous donne la Bonne Nouvelle, c’est d’abord la connaissance de Dieu, et la relation d’amour avec Lui. Nous avons tellement besoin que notre vie ait une direction, un but ! Dans la première lecture de ce jour, nous entendions les lamentations de Job qui est frappé par le malheur ; mais c’est aussi le désespoir de l’homme plongé dans les ténèbres. « La vie de l’homme sur la terre est une corvée […] À peine couché, je me dis : “Quand pourrai-je me lever ?”. Le soir n’en finit pas : je suis envahi de cauchemars jusqu’à l’aube ». Pour Job, la vie quotidienne est monotone et triste, si elle n’a pas de but. Même la succession harmonieuse des nuits et des jours devient un fardeau, un enfermement ; la vie est une prison, au lieu d’être un chemin de liberté. C’est en connaissant le Seigneur que nous sortons de cette lassitude, et que la vie quotidienne redevient une route vers Dieu ; chaque jour nous donne l’occasion de recevoir et de donner l’Amour qui vient de Dieu. Et le septième jour, le jour du Seigneur, nous permet de consacrer le temps au Seigneur, et de vivre un temps de gratuité et de joie !
Ainsi, notre vie prend son sens en accueillant l’Évangile. Au lieu de nous isoler sur nous-mêmes, nous recevons de Jésus une nouvelle force qui nous ouvre à l’Amour. Quand Jésus disait qu’Il était « sorti » pour annoncer l’Évangile, nous pouvons faire comme Lui : « sortir » de nos propres égoïsmes, de nos enfermements, de nos angoisses, pour être témoins de l’Évangile. Jésus ne cesse de « sortir », de venir vers nous, de guérir les hommes par sa présence ; si nous Le connaissons, si nous L’écoutons et Le prions, tout est transformé. Jésus s’est fait homme comme nous : son humanité transfigure notre humanité, et toutes nos activités quotidiennes ont désormais un sens.
L’Évangile est donc notre unique chemin de vie. Il n’y a pas de concurrence entre la foi et la vie de tous les jours : en donnant la priorité à la Bonne Nouvelle du Christ, tout est renouvelé, le mal est expulsé, les cœurs sont guéris. Prions pour que nous ayons assez de foi pour « sortir » à la suite de Jésus, et pour proclamer son Évangile !
Quatrième dimanche du Temps Ordinaire — La seule vraie autorité
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
« Voilà quelque chose de nouveau ! », disent les contemporains de Jésus. Voilà qu’il se passe des événements inattendus ; voilà que cet homme qui est pourtant galiléen comme les autres, se révèle différent des autres. Ce Jésus qui est à l’origine un travailleur manuel, se met à enseigner, à révéler la Parole de Dieu, et même à guérir les malades ! Et tout cela avec une « autorité » qu’on ne connaissait pas. Nous avons souvent du mal à accepter la nouveauté. Soit on la nie et on lutte contre elle… soit on l’accepte et on essaie de comprendre ce qu’elle signifie. Certains autour de Jésus accueilleront son message, deviendront ses disciples ; et d’autres, au contraire, Le rejetteront et finiront par Le faire mettre à mort. La nouveauté de Jésus est toujours nouvelle et dérangeante : encore aujourd’hui, l’Évangile est signe de contradiction partout dans le monde, et les persécutions continuent pour nos frères chrétiens dans beaucoup de pays.
Ce qui étonne et surprend les gens, c’est ce que l’Évangile de ce jour répète deux fois : l’« autorité » de Jésus. Ce que fait Jésus, Il le fait avec autorité. Il enseigne avec autorité, et Il chasse les esprits impurs avec autorité. D’abord, les gens sont « frappés par son enseignement » : voilà un homme qui est prophète, qui porte une parole de Dieu différente de ce qui précédait ! La prophétie de Moïse [Deutéronome, première lecture] est accomplie : « Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète ; je mettrai dans sa bouche mes paroles ». Le nouveau prophète est bien là, Il enseigne la Parole de Dieu. Jésus n’est pas « comme les scribes », dit l’Évangile. Les scribes ne faisaient que rabâcher la Loi de Moïse, ils n’avaient aucune autorité et n’apportaient rien de nouveau : l’enseignement de Jésus est différent, il permet à chacun de comprendre personnellement les paroles de Dieu. On imagine la joie des Juifs dans la synagogue : enfin, un prophète parle avec l’autorité de Dieu, et nous annonce l’accomplissement des promesses !
Non seulement les scribes, à l’époque, n’avaient aucune autorité, mais en outre, la seule autorité qui faisait sentir sa puissance, c’était celle des Romains. L’autorité des troupes d’occupation était brutale et cruelle, injuste et illégitime. Nous aussi, quand on nous parle d’autorité de nos jours, nous avons toujours plus ou moins cette idée de tyrannie et de violence. Jésus, Lui, permet de retrouver le vrai sens de l’autorité de Dieu : non pas quelque chose d’arbitraire, mais une autorité juste, paisible, douce, joyeuse. La seule autorité qui indique une direction, qui nous permette de donner un sens à notre vie.
Chaque jour de notre existence, nous sommes agités, occupés, tiraillés entre diverses influences. Nous avons parfois l’impression d’être dominés par des autorités aveugles, souvent contradictoires : pensons aux exigences des normes arbitraires, de la bureaucratie qui impose des procédures… [On le voit actuellement chez nos agriculteurs, qui sont exaspérés par le foisonnement d’exigences légales]. Comment retrouver la liberté, la possibilité d’être enfin maîtres de nous-mêmes ? Comment unifier notre vie et choisir librement de suivre la bonne direction ? Saint Paul écrivait tout à l’heure [deuxième lecture] qu’il fallait être « attachés au Seigneur sans partage » : s’attacher au Seigneur, c’est le seul choix qui nous rende vraiment libres et qui soit à la dimension de notre cœur. Bien sûr, nous avons à reconnaître la légitimité des autorités de ce monde, mais il s’agit surtout de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu » [Mc 12,17], c’est-à-dire le sens de notre existence. Accueillir l’autorité du Seigneur « sans partage », c’est reconnaître dans la joie que Lui seul nous délivre du Mal et de la mort.
Parmi les sept jours de la semaine, le Seigneur nous propose un jour en particulier, pour ressentir de plus près la puissance de son autorité ; c’est-à-dire pour unifier notre vie autour de son Amour. Nous venons, en ce dimanche (comme chaque dimanche), chargés de nos soucis, de nos préoccupations parfois dispersées ; nous venons pour en faire une offrande au Seigneur et trouver un sens à tout cela. Au début de cette messe, nous avons d’abord entendu Jésus nous parler, nous enseigner avec autorité ; et puis nous avons médité sa Parole, et nous Lui avons confié nos difficultés et nos inquiétudes. Au cours de cette Eucharistie du dimanche, Jésus peut accueillir tout cela, en faire une offrande à son Père avec son Corps et son Sang.
Il fait l’unité dans tout ce que nous traversons. Sans Lui, nous sommes soumis à des autorités contraires, à nos propres instabilités ; Lui seul peut chasser le mal de nos cœurs, nous sanctifier, nous orienter, nous donner une direction. En ce dimanche et chaque jour, laissons-Le agir dans nos vies avec autorité !
Troisième dimanche du Temps Ordinaire — La Parole est vérité et puissance
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Avec ce troisième dimanche du Temps Ordinaire, nous commençons la lecture suivie de l’Évangile selon saint Marc ; et nous entrons directement dans le vif du sujet. L’essentiel nous est donné avec cette première annonce de Jésus, juste « après l’arrestation de Jean le Baptiste ». Le message est simple : « Les temps sont accomplis ; le règne de Dieu est tout proche : convertissez-vous et croyez à l’Évangile » – c’est-à-dire à la Bonne Nouvelle. Et de manière vraiment étonnante, alors qu’on ne parle pas encore de miracles ou de signes accomplis par Jésus, voilà déjà quatre hommes qui se mettent à sa suite, en abandonnant toute leur vie : leurs filets, leur barque et même leur père et leur métier.
Cette attitude des premiers Apôtres, si rapide, si spontanée, semble contraster avec l’indifférence que nous constatons parfois chez nos contemporains ! Qui aujourd’hui se mettrait si vite à la suite de quelqu’un qu’il ne connaît pas, et quitterait tout le reste ? À la source de cette spontanéité, il y a sans doute quelque chose de complètement nouveau, inattendu, qui touche profondément le cœur de Simon, André, Jacques et Jean. Ils sont appelés à « croire à la Bonne Nouvelle », donc à accueillir dans leur vie la puissance de Dieu qui dépasse ce qu’ils pouvaient espérer. Cette Bonne Nouvelle est un message et une action, une Parole et une œuvre. Dieu ne fait pas que parler, Il agit et sauve les hommes.
Comme première lecture de ce dimanche, nous avons entendu une autre annonce, tout aussi efficace : celle de Jonas. Il parcourt la ville de Ninive pendant quelques heures, et voilà que tout le monde, aussi rapidement, croit à sa parole, se convertit et se repent de manière spectaculaire. La Parole de Dieu est puissante, elle est efficace ! On reçoit cette Parole, on la médite, et l’on se rend compte qu’elle nous dépasse : elle porte en elle quelque chose qui attire, qui touche notre cœur et nous convertit. Si l’on prend au sérieux cette Parole, on ne peut pas y être indifférent. C’est ce que nous a rappelé le pape François [en 2019 par le motu proprio Aperuit illis], en instituant ce dimanche de la Parole de Dieu au début de l’année : cette Parole qui nous conduit, qui nous appelle toujours à revenir à l’essentiel, qui ne nous laisse pas tranquilles. Si jamais nous avons la tentation de nous assoupir, la Parole nous réveille, nous stimule ! comme le disait déjà le prophète Isaïe [50,4] : « Chaque matin, le Seigneur éveille, il éveille mon oreille pour que j’écoute comme un disciple ; le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille ».
Les Apôtres se mettent donc en route, à la suite de Jésus, car ils ont reçu la Bonne Nouvelle. Ce qui les attire, ce ne sont pas seulement des mots : Jésus n’est pas un “beau parleur” qui hypnotise les gens par ses discours. La Parole de Dieu est une parole (avec des mots), mais elle est bien plus que cela. Elle est Quelqu’un, une Personne qui nous est envoyée pour nous sauver. C’est Jésus qui attire les hommes : en Lui se trouvent toutes nos réponses. Comme nous l’avons médité à Noël [début de la Lettre aux Hébreux, matin de Noël], « Dieu nous a parlé par son Fils […], rayonnement de la gloire de Dieu, expression parfaite de son être ». Par Jésus Dieu nous parle, Il nous dit qui Il est ; Il nous invite à Le reconnaître comme Dieu Amour, Dieu sauveur qui nous recrée à son image. C’est cette Personne qui a attiré Simon et les autres Apôtres, et a transformé leur vie.
Pour vivre avec Jésus, il est tellement important d’accueillir la Parole de Dieu ! de la lire concrètement, d’avoir évidemment une Bible chez soi, pour la méditer et pour qu’elle guide notre vie. Nous avons toujours plus à comprendre que cette Parole est vivante. Elle n’est pas une “série de commandements”, comme beaucoup le croient. La foi est parfois vue comme quelque chose qui ajoute des contraintes ; il faudrait obéir aux ordres de Dieu pour devenir de bons petits chrétiens… Au contraire, la Parole est source de joie, de paix, d’Espérance et d’amour. Nous recevons la Parole de Dieu comme une lettre d’amour que la fiancée attendait depuis longtemps !
Beaucoup de paroles aujourd’hui (parfois dans le domaine politique ; et surtout dans le commerce et la publicité…) cherchent à séduire, à attirer sans souci de la vérité ; la Parole de Dieu, elle, nous enseigne et nous conduit sur le chemin de la Vérité. En la fréquentant, nous ressentons la Sagesse de Dieu, l’Amour que nous attendions. En connaissant la Parole de Dieu, c’est Jésus Lui-même que nous écoutons et que nous suivons. Comme les Apôtres, laissons-nous entraîner par cette joie si inattendue de la Parole de Dieu ; faisons entrer dans notre cœur cette Parole puissante, « convertissons-nous et croyons à la Bonne Nouvelle » !
Deuxième dimanche du Temps Ordinaire — Nous avons trouvé le Messie
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Nous voici au début d’une nouvelle année, avec la reprise des activités, la rentrée scolaire, les retrouvailles après les fêtes de Noël. La nouveauté est en général signe d’espoir, mais elle apporte aussi son lot d’incertitudes [que ce soit une nouvelle année ou un nouveau gouvernement…]. Au début de l’année, et peut-être de plus en plus quand on grandit (et quand on vieillit), on se pose toujours la même question : que sera cette année ? Qu’arrivera-t-il en 2024 ? Qu’allons-nous vivre, et que deviendra le monde pendant cette année, avec tous les espoirs et les menaces dont il est porteur ? De manière plus personnelle, comment allons-nous nous orienter ? Et sur qui pourrons-nous nous appuyer pour être certains d’aller dans la bonne direction ?
Si nous sommes aujourd’hui dans cette église, c’est que nous avons déjà une partie de nos réponses. Non pas sur ce que nous réserve l’avenir (qui est entre les mains de Dieu) ; mais plutôt sur la manière dont nous vivrons cette année. Sur qui s’appuyer ? Sur l’Amour de Dieu, bien sûr ! Nous savons qu’Il ne nous abandonnera jamais, et que quoi qu’il arrive, Il nous tiendra la main. Mais cela ne nous empêche pas de prendre des décisions. Dans l’Évangile, les deux disciples font le choix de se mettre à la suite de Jésus, et cherchent des réponses à leurs questions.
La première question des disciples, c’est : « Où demeures-tu ? ». C’est une manière de demander à Jésus : où devons-nous aller, quelle est la bonne direction pour orienter notre vie ? Nous ne cessons de chercher à faire le mieux possible, d’essayer de trouver un sens – une direction – à notre existence. Autour de nous, malheureusement, il y a des personnes qui ont du mal à trouver leur direction : ils ne savent pas comment s’orienter, et certains ont même perdu tout espoir. Ils ont entendu dire qu’il n’y avait pas de vérité, que le bien et le mal étaient confondus… Alors ils vivent au jour le jour, sans but ni orientation : c’est la tentation du désespoir. Nous ne devons jamais cesser de chercher à faire le Bien ; nous ne devons jamais perdre le désir de connaître le Seigneur, de connaître la Vérité pour que notre vie ait un sens. C’est une bonne résolution à prendre au début de l’année : ne jamais céder au désespoir.
Dans l’Évangile, il y a aussi une conviction très forte : c’est que le Seigneur nous cherche, encore bien plus que nous ne Le cherchons. C’est pour cela que notre Espérance n’est jamais épuisée : parce que l’Amour de Dieu pour nous est inlassable. En particulier, Il ne cesse de nous appeler et de nous inviter à L’écouter. C’est ce que nous avons entendu dans la première lecture, avec la vocation du jeune prophète Samuel ; c’est encore le récit de l’Évangile, où Jésus appelle André, Jean, puis Simon : ils sont appelés par Jésus, et leur vie est transformée [comme le montre le changement du nom de Simon en Pierre]. Jésus ne cesse d’appeler à la joie, et c’est cela qui oriente notre avenir. Comment vivre l’année nouvelle ? En écoutant la voix du Christ qui nous dit que nous sommes faits pour vivre en Dieu, et pour aimer. Rien ne pourra nous effrayer, puisque Jésus sera toujours vainqueur du péché et de la mort. En répondant à son appel, nous participerons à sa victoire : notre vie ne sera pas dominée par le mal.
En définitive, ce qui guidera notre année, c’est le “cri du cœur” que nous entendons dans l’Évangile (dit par André à son frère, de manière toute simple et émerveillée) : « Nous avons trouvé le Messie ! ». En cherchant à faire le Bien, en voulant orienter notre vie, nous cherchions en fait Quelqu’un ; et nous L’avons trouvé dans l’Évangile et dans l’Église. Celui qui nous sauve, Celui qui nous donne l’Espérance, Celui qui nous aime et nous permet d’aimer, Celui qui nous appelle à la liberté, nous L’avons enfin trouvé ! Et ce Sauveur, nous ne l’avons pas rencontré au bout d’un grand raisonnement ou d’un effort important : tout simplement, c’est Lui qui se donne à nous, par amour, librement, gratuitement.
Tout ce que nous aurons à faire au cours de cette année, c’est continuer à « trouver le Messie », c’est-à-dire Le connaître, L’aimer, Le prier ; et nous serons capables, à notre tour, d’aimer, de donner, de pardonner ; nous pourrons être des “lumières”, porteurs de cette Miséricorde dont le monde a besoin. Dans une année rythmée par le cycle hebdomadaire, n’oublions jamais de sanctifier le « septième jour », le jour du Seigneur ! Si parfois nous perdons la bonne direction, tournons-nous vers Lui : « Où demeures-tu ? ». Et Jésus nous répondra chaque dimanche : viens me prier, écouter ma voix ; viens et tu verras, tu connaîtras l’Amour du Père, tu pourras Lui offrir toute ta vie, ton travail, tes joies, tes peines ; tu seras nourri de la Parole, du Corps du Christ. Quoi qu’il puisse arriver au cours de cette année, l’Amour sera le plus fort, car « nous avons trouvé le Messie » !
Solennité de l'Épiphanie — Manifester le Christ aux mages de notre temps
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures de cette grande fête.
« Toutes les nations sont associées au même héritage, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus », écrivait saint Paul aux Éphésiens [deuxième lecture] : en ce jour de l’Épiphanie du Seigneur, nous voyons la réalisation de cette promesse. Le Seigneur se révèle au monde, à tous les hommes : à travers la figure un peu énigmatique de ces « mages venus d’Orient », Il se révèle même aux peuples païens, à ceux qui n’avaient pas reçu la Parole de Dieu dans l’Ancien Testament et ne connaissaient pas l’Alliance du Seigneur avec son peuple Israël. Tous ces peuples, toutes les nations, sont donc « associés à cet héritage, à la promesse, par l’annonce de l’Évangile ». C’est le sens de l’événement d’aujourd’hui : une fête très joyeuse et pleine d’émerveillement, qui est célébrée avec beaucoup de solennité par nos frères chrétiens d’Orient.
Dès le début de l’Église naissante, comme on le lit dans les Actes des Apôtres [notamment au chap. 15], la question se pose : le Christ est-Il venu pour son peuple Israël (auquel Il appartient), ou bien son Évangile a-t-il une portée plus large ? Peu à peu, les Apôtres découvrent que Jésus est le Sauveur de tous les hommes, et ils sont émerveillés devant la générosité du projet de Dieu ! Bien sûr, comme juifs, membres du peuple élu, ils annonçaient déjà avec une immense joie la Résurrection du Christ ; mais qu’en est-il alors des multitudes, de toute l’humanité ? Peut-on se résoudre à rester “seuls” dans l’Alliance, à garder pour soi la Vérité sans la partager avec les autres ? Comment ne pas être blessés par les foules qui ne connaissent pas l’Amour de Dieu, qui n’ont pas expérimenté la puissance du Christ : tous ceux qui sont toujours soumis « au pouvoir des ténèbres » [Col 1,13], et sont encore prisonniers d’une fausse image de Dieu ?
Il faudra du temps aux Apôtres, et aux premiers chrétiens, pour comprendre que le Christ est venu pour l’humanité tout entière. Déjà, bien sûr, sa naissance en est le plus beau signe. Le Fils de Dieu est venu partager la nature humaine, si bien que Noël est un événement universel : ce petit enfant qui repose entre ses parents, c’est chacun de nous au début de sa vie. Et puis il y a ce qui se passe aujourd’hui, en ce jour de l’Épiphanie : à nouveau, le message du Christ atteint toute l’humanité, à travers ces mystérieux personnages venus d’Orient. En méditant l’Évangile, nos ancêtres dans la foi ont bien compris l’ampleur du projet de Dieu sur les hommes. Personne ne peut rester au-dehors de l’Alliance nouvelle, nul ne doit se sentir exclu de la présence du Christ. L’Évangéliste saint Jean nous le dit clairement : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque [tout homme !] croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » [Jn 3,16].
Les Apôtres ont donc ressenti ce désir de faire connaître à tous les hommes la Bonne Nouvelle du Christ. Mais la même question nous est posée aujourd’hui : qu’en est-il de toute l’humanité qui ne connaît pas encore le Christ – et encore plus de ceux qui nous entourent, nos proches, nos amis, nos collègues, qui se sont peut-être détournés du Christ ou ne sont pas intéressés par l’Évangile ? Pouvons-nous nous résoudre à ne pas partager avec eux le message du Salut ?
Dans l’Évangile de ce jour, la Gloire du Christ se manifeste aux mages, qui « entrent dans la maison et se prosternent devant l’Enfant ». Cette même Gloire doit continuer à se manifester aujourd’hui, devant tous les hommes appelés à être sauvés. Autour de nous, il y a peut-être beaucoup de « mages » que nous ne connaissons pas, et qui cherchent le Christ sans le savoir : des gens curieux, instruits, sages et compétents, comme les mages d’autrefois ; et qui sont prêts à se mettre en route pour chercher la Vérité. Mais où iront-ils, qui suivront-ils ? Qui sera l’étoile qui les conduira au Christ ? Nous savons bien que s’ils ne rencontrent pas Jésus, ils pourront aller vers les sectes, les mensonges, les idéologies… et parfois même la violence, car l’homme a besoin d’absolu. Seul le Christ répond à la soif des hommes, leur donne la paix et la vraie Espérance.
Bien sûr, c’est à nous, baptisés, que revient aujourd’hui la mission d’être les « étoiles » de notre temps. Nous ne faisons pas de miracles, mais nous pouvons témoigner de l’Évangile par la parole et par la manière de vivre. Les mages attendaient de rencontrer un roi puissant, ils se sont trouvés face à un petit enfant. Ce qui distingue le Christ de tous les faux prophètes, c’est sa faiblesse, sa simplicité qui appelle à aimer ; ce qui doit distinguer les chrétiens, c’est la simplicité et la charité. Les mages cherchaient une sagesse ; la Sagesse infinie que nous avons reçue, c’est l’Amour qui permet de vaincre la haine et la rancune. Personne ne doit rester dans l’ignorance : par notre amour, manifestons à tous les hommes la Miséricorde du Seigneur !
Fête de la Sainte Famille — Famille, lieu d'Espérance
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
En fêtant la Sainte Famille juste après Noël, nous célébrons l’accomplissement des promesses de Dieu. Les deux figures que nous montre l’Évangile, Syméon et Anne, ont attendu toute leur vie le Messie promis. L’un comme l’autre, maintenant qu’ils ont enfin rencontré l’Enfant Jésus, « peuvent mourir » : leur vie a atteint son but et leur Espérance est accomplie. La famille de Joseph, Marie, Jésus est le lieu où les promesses de Dieu ont atteint leur but : et plus largement, le Seigneur veut que nos familles, toutes les familles, soient le lieu où l’on reçoit les promesses et où l’on veille sur leur développement. Dans chaque famille il y a des promesses, un avenir, une espérance ; dans chaque famille on peut s’entraider, avancer ensemble vers la promesse du Seigneur.
La première promesse vécue en famille, bien sûr, c’est la promesse de la vie. Toute vie est un don de Dieu, c’est ce qui rend irremplaçable la famille. La Bible est très éloquente sur ce sujet : elle ne cesse de montrer que le Seigneur donne sa bénédiction en accordant la vie. La première lecture de ce jour raconte la promesse faite par Dieu à Abraham : alors qu’il semble trop tard pour Abraham et Sara, ils auront tout de même une postérité par Isaac, et même une descendance infiniment nombreuse par la suite. Quand le Seigneur veut combler un personnage biblique, Il lui accorde une descendance : pensons encore à Jacob, à Samson, aux rois d’Israël, à Zacharie et Élisabeth… et jusqu’à Marie elle-même qui reçoit son Fils comme le don le plus inattendu.
Cela ne veut pas dire, évidemment, que l’absence de descendance soit une punition de Dieu : nous connaissons tous des couples affectés par cette douleur, et souvent leur courage est admirable. Mais à notre époque, il s’agit surtout de retrouver le sens du don de Dieu : toute une génération a oublié que la vie n’est pas quelque chose qu’on fabrique, qu’on planifie… et qu’on élimine éventuellement en fonction de nos désirs. Retrouver le don de Dieu, c’est remettre à l’endroit notre relation avec le mystère de la vie humaine. Il nous semble normal, bien sûr, qu’on ne puisse pas posséder une personne humaine (par l’esclavage) : nous devons témoigner du même respect en ce qui concerne la vie à son début (dès la conception). Il en va de même face à la maladie, à la souffrance et la fin de vie : il faut rejeter résolument la tentation de tout planifier, tout prévoir et tout maîtriser, de peur de créer une société qui serait inhumaine. Seul le don de Dieu est source d’Espérance.
L’autre promesse de la famille, c’est l’amour vécu et partagé en toutes circonstances ; et particulièrement dans les épreuves de la vie. Ensemble nous pouvons vivre l’Espérance. La Sainte Famille a traversé de grandes difficultés, mais toujours sous le regard de Dieu : il y a eu le départ forcé pour le recensement ; puis une fois à Bethléem, l’absence d’hébergement, la naissance dans une étable ; et encore le départ pour l’Égypte et le massacre des Saints Innocents (sans oublier la prophétie de Syméon adressée à Marie : « Ton âme sera traversée d’un glaive »). À travers tout cela, l’Amour reste plus fort que la tristesse et le désespoir.
Par l’amour familial, on trouve une force renouvelée pour s’appuyer les uns sur les autres. Dans nos relations quotidiennes, il y a les difficultés et les incompréhensions, parfois les disputes et les conflits : l’Espérance nous conduit, en famille, à pardonner et à nous réconcilier. Le conflit n’a jamais le dernier mot ! C’est une conviction à transmettre aux enfants. Et aussi, face aux épreuves extérieures, comme Marie et Joseph, nous pouvons encore vivre l’Espérance : ensemble on partage et on se réconforte devant l’adversité. C’est un réflexe naturel (comme on l’a d’ailleurs vu lors de la crise du Covid) : quand surviennent l’inconnu et la peur, on revient au noyau familial comme au seul endroit où l’on peut se retrouver, s’entraider et ne pas être jugé. Ensemble, on peut partager et espérer.
En ce temps de Noël, nous célébrons donc l’accomplissement de notre Espérance, à travers les promesses du Seigneur. Dans la sainte Nuit de la Nativité, nous nous sommes rappelé que l’homme est à l’image de Dieu ; et que le Fils de Dieu est venu rétablir cette image en naissant parmi nous. Quelques jours plus tard, en fêtant la Sainte Famille, nous comprenons une dimension essentielle : l’homme, à cette image de Dieu Trinité, ne trouve le bonheur et l’Espérance que dans la communion et le partage ; non pas dans la solitude ni l’égoïsme. Ce que nous vivons dans nos familles, c’est non seulement que la vie est un don de Dieu, mais aussi que l’amour et le partage sont donnés par Dieu ; et nous ne pouvons pas vivre sans eux. Prions pour que les familles demeurent ces lieux irremplaçables, où chacun apprend à aimer, à vivre, à vaincre l’égoïsme, à pardonner, à prier, à espérer !
Jour de Noël — Dieu nous dit tout !
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures de ce saint Jour.
« Personne n’a jamais vu Dieu ; c’est le Fils unique, Jésus, qui L’a fait connaître ». Notre émerveillement en ce saint Jour de Noël, c’est de pouvoir connaître Dieu. Nous avons vécu cette Nuit de Noël dans la contemplation d’un Enfant qui venait de naître, en écoutant les promesses que le Seigneur nous a faites ; et maintenant que le jour s’est levé, nous pouvons méditer sur la portée de l’événement de Noël. Celui qui est né cette nuit, ce n’est pas un simple messager ou un prophète : c’est le Fils de Dieu, Dieu Lui-même qui vient nous révéler l’ampleur de son projet divin. « Personne n’avait jamais vu Dieu », nous redit l’Évangéliste : cette nuit, pour la première fois, l’homme a pu contempler son Dieu.
Des prophètes, nous en avions eu par le passé : pendant des siècles, ils avaient été envoyés par le Seigneur pour ramener son peuple à la fidélité et lui rappeler l’Alliance de Dieu. « De bien des manières », dit la Lettre aux Hébreux [deuxième lecture], c’est-à-dire de manière partielle et incomplète, la Parole de Dieu avait été donnée aux hommes ; comme des lueurs dispersées çà et là pour conduire vers la vraie Lumière. Mais ces annonces prophétiques avaient été insuffisantes, car elles touchaient le plus souvent l’oreille des hommes, sans entrer en profondeur dans leur cœur. À part quelques épisodes marquants de son histoire, le peuple d’Israël n’était pas parvenu à demeurer vraiment fidèle à l’Alliance.
C’est pour cela que Noël est un événement radicalement nouveau. La Lettre aux Hébreux s’émerveille de ce don incroyable : « À la fin, en ces jours où nous sommes, Dieu nous a parlé par son Fils […], rayonnement de la gloire de Dieu, expression parfaite de son être ». Quand Dieu parle, ce n’est pas de manière superficielle : Il parle pour dire qui Il est, pour nous donner une Révélation unique. En nous parlant, Il nous donne tout, puisque son Fils est en même temps sa Parole [son Verbe, selon l’Évangile de ce jour]. Dieu se donne en nous parlant, Il se dit à ceux qui L’écoutent. Comme un ami qui voudrait se confier, Il veut tout nous dire, tout partager avec nous. En ce jour de Noël, nous recevons les confidences du Dieu qui est Amour ! Il nous fait tellement confiance qu’Il nous donne son Fils comme « rayonnement de sa gloire, expression de son être ». Grâce à cet événement, nous savons désormais Qui est Dieu ; nous sommes sauvés de l’ignorance, du mensonge, des idoles, des fausses images de Dieu. Nous avions tendance à projeter sur Dieu nos idées ou nos concepts ; mais maintenant, Il se donne à nous comme la Vérité, et nous guérit du mensonge. Cet Enfant qui est né, c’est Dieu qui nous aime tellement qu’Il se fait l’un de nous. La grande Révélation de Noël nous est donnée : Dieu est Amour.
Mais le Seigneur ne fait pas que nous parler de Lui. En se disant à nous, Il nous permet aussi de comprendre qui nous sommes ; puisque nous sommes à l’image de Dieu. Dieu s’est fait homme à Noël, pour que l’homme lui-même comprenne le sens de sa vie. La grande question que se posent tous les hommes, depuis les premiers philosophes, c’est toujours la même : qui sommes-nous ? D’où venons-nous, pourquoi vivons-nous (quelle est la signification du monde ?), et où allons-nous ? Jésus, en naissant parmi nous, nous apprend à tourner notre regard vers Dieu, de qui nous venons et vers qui nous allons. Nous vivons dans un monde qui a été créé par le Seigneur, qui est ordonné par la Sagesse divine, et qui nous dit quelque chose de l’Amour de Dieu. Ne pas connaître Dieu, c’est vivre dans l’inconnu, dans l’obscurité et la crainte.
Nous vivons dans une culture [au moins dans notre partie du monde], où l’homme a cru pouvoir vivre sans Dieu ; et il n’a trouvé que le vide. À quoi bon vivre, si la Sagesse de Dieu ne nous conduit pas ? Si nous oublions que la Création est un don de Dieu, alors nous l’exploitons et la détruisons. Si nous ne savons pas que l’homme est créé pour aimer à l’image de Dieu, nous ne savons plus aimer : chacun cherche son propre profit et son propre avantage, et parfois c’est la violence qui l’emporte. Beaucoup de jeunes grandissent sans autre perspective que de profiter de la vie, de “s’éclater” et d’obéir à leurs désirs : au bout de cela, il n’y a que le désespoir.
En cette fête de Noël, nous avons vu Dieu : et nous avons contemplé l’Amour qui donne sa seule signification à notre vie. « Le Verbe s’est fait chair ; il nous a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu » : nous avons tous soif de connaître Dieu et de savoir aimer comme ses enfants. Soyons témoins de cette Parole de Dieu, auprès de tous nos frères qui sont en recherche : « Jésus, le Fils de Dieu, nous a fait connaître le Père », et Il nous révèle le sens de notre vie !
Nuit de Noël — Le Prince de la Paix
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures de cette sainte Nuit.
« Gloire à Dieu ! », chantent les anges ; car Dieu a manifesté son Amour en cette sainte Nuit de Noël. La Gloire de Dieu se montre « au plus haut des cieux », parmi les anges et les archanges, les esprits et les trônes célestes ; mais cette Gloire se fait aussi voir, en cette Nuit de Bethléem, parmi les gens simples, les bergers et même les animaux de l’étable. La Gloire de Dieu n’est pas quelque chose qui nous éblouit ou qui nous effraie, mais elle est la Gloire d’un Dieu qui se penche vers nous et vient nous sauver par sa présence. Le signe est donné aux bergers : « un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » ; cet Enfant est le Sauveur envoyé aux hommes.
Quand nous célébrons Noël, il y a toujours une dimension d’émotion : nous voyons un enfant pauvre, entouré de ceux que nous connaissons bien, Marie, Joseph et les autres. Nous connaissons son histoire, le fait qu’Il ait été mal accueilli et qu’on L’ait relégué dans une étable ; c’est toujours émouvant quand on contemple la pauvreté, et la dignité des pauvres. Cette scène de l’étable force notre admiration, car même dans la misère et l’abandon, cette petite famille reste unie par l’amour et la joie de la vie.
Mais en contemplant ce tableau de Bethléem, nous comprenons qu’il y a ici bien plus qu’une simple scène de pauvreté. Celui qui vient de naître, nous dit l’Évangile, c’est Celui que le peuple attendait, le Christ, le Sauveur ; Celui par lequel le prophète Isaïe annonçait que « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière » [première lecture]. Si bien que depuis deux mille ans, des peuples entiers viennent se prosterner devant cette scène toute simple d’un Enfant qui vient de naître ; et nous, comme chrétiens, disciples de cet Enfant, nous devons sans cesse revenir à la source de notre foi. Dieu a envoyé son Fils, Dieu s’est fait homme au milieu de nous pour nous sauver !
Dans la Nuit de Noël, des foules viennent donc adorer un Enfant, Le contempler avec sa Mère, avec saint Joseph et tous ceux qui l’entourent. Cette affluence autour d’une simple naissance, c’est un signe extraordinaire de la foi chrétienne. Dans un monde souvent dur, impitoyable [aujourd’hui comme hier, n’idéalisons pas le passé !], l’Évangile a introduit une véritable révolution, car des adultes, des gens raisonnables et forts, viennent adorer un Enfant et sa Mère. Dans beaucoup de civilisations, on met à l’écart tout ce qui concerne l’enfantement, comme quelque chose de vaguement impur et méprisable ; mais à Bethléem, il y a quelque chose de différent. Dieu se montre désormais dans la petitesse, la simplicité d’un Enfant ; et toute la Gloire de Dieu, la puissance divine, est là, sous nos yeux. Même les gens raisonnables et les puissants du monde, viennent trouver dans cet Enfant une Sagesse que les philosophes n’avaient pas trouvée : une Gloire qui n’est pas celle du monde.
Tout est transformé par cette naissance. Quand les hommes adorent un Dieu tout-puissant, un Dieu autoritaire, ils se sentent eux-mêmes puissants et forts à l’image de Dieu. Dans le monde, il y a toujours eu des gens qui exercent la violence au nom de Dieu, qui se croient les instruments du Tout-puissant par leur force [encore maintenant, comme l’actualité nous le montre]. Mais ce soir nous venons, avec tout le peuple chrétien, nous prosterner devant un Enfant et sa Mère, devant cette scène de faiblesse et de douceur. Comment la violence serait-elle possible ? Qui pourrait prétendre être brutal au nom de Dieu ? Ce qui transforme le monde à Noël, ce n’est pas la force, mais l’Amour et la patience.
Sans le Seigneur, nous étions abandonnés au Mal et à la violence ; Il a voulu nous sauver en venant dans la discrétion d’une famille pour partager notre nature. Ce n’est pas avec sa force ni par des prodiges extraordinaires que Dieu est venu vers nous, mais par la douceur et dans la paix. C’est pourquoi en venant ici pour L’adorer, nous devons devenir des artisans de paix ; sinon, l’événement de Noël ne servirait à rien ! Jésus est le Prince de la Paix, Il apporte la paix en se faisant tout proche de nous. Il accomplit la prophétie d’Isaïe : « Le bâton du tyran, tu l’as brisé ; les bottes qui frappaient le sol, les voilà brûlées » : la paix est donnée par le Christ, la guerre et la violence sont vaincues.
Si nous osons venir nous prosterner devant la crèche, nous ressentons cette paix extraordinaire qui est la grâce de Noël : comme l’écrit saint Paul [deuxième lecture], nous pouvons « renoncer aux convoitises de ce monde, et vivre de manière raisonnable, avec justice et piété ». Alors, « Gloire à Dieu, et paix aux hommes ! » : en cette sainte Nuit, recevons la Paix comme un don de Dieu.
Deuxième dimanche de l'Avent — La seule paix vient du Seigneur
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
« Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers ! » Telle est l’annonce que porte Jean le Baptiste, et qui avait été prophétisée par Isaïe [première lecture]. Ce temps de l’Avent nous est donné pour que nous « préparions le chemin du Seigneur », que nous tournions notre regard vers Jésus qui vient nous sauver. Noël est déjà proche, et il faut nous préparer à cette fête ! Non pas seulement en achetant des cadeaux de Noël… mais surtout en préparant nos cœurs à l’arrivée du Sauveur. Jean Baptiste nous est donné comme compagnon sur cette route, et il nous aide à nous recentrer sur l’essentiel. L’Évangile décrit Jean comme quelqu’un d’un peu rude, assez austère, qui ne cherche clairement pas son petit confort : il est vêtu d’une peau de chameau, il habite dans le désert et mange des sauterelles… Il nous aide déjà à ne pas voir Noël comme la fête des grands repas et des beaux cadeaux. Comme lui, nous avons à faire un effort pour accueillir Jésus dans la générosité d’un cœur pur, sans nous attacher aux biens matériels.
Le lieu où Jean Baptiste annonce le Sauveur, c’est le désert : lieu de solitude, lieu où retentit la voix du Seigneur si nous L’écoutons. Parfois, nous avons nous-mêmes l’impression de “vivre au désert” car il y a bien peu de croyants autour de nous, dans nos lieux de vie, dans nos écoles, collèges, lycées. C’est pour cela que nous avons à être des témoins crédibles de la venue du Seigneur, comme Jean Baptiste.
Quel est le message à annoncer ? Comment pouvons-nous être des témoins de Noël pour ceux qui nous entourent ? Le premier témoignage, c’est déjà de ne pas voir Noël comme quelque chose de commercial : de revenir à la source de la venue de Jésus. Et puis, de reprendre la prophétie d’Isaïe : « Préparez le chemin du Seigneur, que tout ravin soit comblé, que les montagnes soient abaissées ». Il s’agit d’une attitude intérieure à adopter. Les « ravins », ce sont nos envies, nos jalousies, nos peurs, nos angoisses ; les « montagnes », ce sont nos orgueils, notre souci d’être regardés, nos mépris, nos impertinences… En venant vers nous, Jésus veut nous donner la paix. Qu’est-ce qui nous empêche de vivre dans la paix ? Justement toutes ces aspérités que nous pouvons identifier, et qui sont des obstacles sur notre chemin. Donc préparer Noël, c’est « aplanir la route », avoir une manière de vivre qui laisse voir la venue du Seigneur ; montrer autour de nous que Jésus nous délivre des soucis, de l’envie, de la jalousie, et qu’Il apporte la joie et la paix. Soyons de vrais témoins de Noël, en rayonnant de la paix du Seigneur.
Pourtant, même si nous essayons de vivre dans la paix, le monde a parfois l’air de continuer comme si Noël n’avait pas eu lieu. Jésus a apporté la paix, mais il y a toujours des guerres, des conflits, de la violence un peu partout dans le monde – et même proches de nous. Dans la deuxième lecture, saint Pierre nous rappelait que la paix n’était pas encore établie, mais que le monde était en train d’être renouvelé par le Seigneur. « Ce que nous attendons, selon la promesse du Seigneur, c’est un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice ». Nous désirons cette « terre nouvelle », mais pourquoi cela n’arrive-t-il pas encore ? Pourquoi la venue de Jésus n’a-t-elle pas mis fin à tous les égoïsmes, à toutes les guerres ?
Nous pouvons être insatisfaits de l’état du monde ; et à juste titre. Surtout les jeunes, qui ont des idéaux et des espoirs ; eux qui héritent de ce monde, sont parfois angoissés devant ce qui se passe, et ont peur de l’avenir. Où est la paix promise ? Comment cela va-t-il finir ? Alors certains ont la tentation de tout bouleverser, de “faire la révolution”. On veut détruire des « systèmes », qui seraient coupables de tous les problèmes et de tous les conflits ; renverser les pouvoirs, changer les manières de penser, bousculer tous les repères. Et on pense que la paix adviendra quand tout aura été détruit puis reconstruit… Mais ce n’est pas dans la destruction que vient le monde nouveau : c’est dans la simplicité de la crèche de Bethléem. La seule vraie paix, la seule « terre nouvelle », elle est d’abord dans notre cœur si nous accueillons Jésus.
Nous ne pourrons jamais sauver le monde par nous-mêmes ; tout ce que nous obtiendrons, c’est le désespoir. Mais avec le Seigneur tout est possible : c’est Lui qui est notre seule Espérance dans ce monde en conflit.
Il y a donc une seule chose à faire : nous convertir ! Laisser la paix du Seigneur entrer dans notre cœur ; Le laisser aplanir nos montagnes, combler nos ravins, nous donner la vraie paix ; et la paix se répandra autour de nous, si nous sommes de vrais témoins de Jésus. Dans le désert, annonçons la venue de Celui qui vient nous sauver !
Trente-troisième dimanche du Temps Ordinaire — Fidèles en peu de choses
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
« Entre dans la joie de ton Seigneur » : voilà une belle phrase que nous espérons tous entendre un jour, lorsque nous passerons de ce monde à la Vie éternelle ! Comme les serviteurs du maître, nous aurons fait ce que nous pouvons au cours de notre vie, pendant que le maître était “absent” ; et puis lorsqu’il reviendra, nous espérons entrer dans sa joie, une joie éternelle, une joie où il n’y aura plus l’ombre du péché et du mal. Mais la parabole de ce jour nous dit surtout que l’Espérance de la Vie éternelle n’est pas une espérance passive : dans notre vigilance, comme l’écrivait saint Paul [deuxième lecture], nous avons à rester des « fils de la lumière », à « ne pas nous endormir ». Le Royaume des cieux viendra : que faisons-nous maintenant, activement, pour le préparer ?
Le Maître nous invite à être « fidèles en peu de choses ». Nous ne sommes pas des héros, nous ne sauvons pas le monde ; mais à notre mesure, dans notre « peu de choses », notre fidélité est essentielle. C’est une question qui traverse aujourd’hui notre monde, car la plupart du temps, nous avons perdu le sens de notre action. À quoi sert, finalement, d’être fidèles dans ce que nous faisons ? À quoi sert de travailler, à quoi sert de nous fatiguer, de nous dévouer ? Quel que soit notre âge, même si notre travail consiste seulement à apprendre des leçons, à quoi cela sert-il dans l’immensité du monde ? Être fidèle dans le travail, cela semble être une valeur qui se perd. Cette question est de plus en plus actuelle avec le progrès technique : il y a les machines qui font le travail à notre place ; et même, depuis quelques mois, on parle beaucoup de l’“intelligence artificielle”, qui peut tout faire à notre place : elle dessine, elle fait des plans, elle construit, elle compose même des textes, des poèmes, des discours [pas cette homélie, je vous rassure !]. Quelle place reste-t-il alors pour nous ? Certains affirment qu’on travaillera de moins en moins, jusqu’au jour où l’on finira par ne plus travailler du tout…
Ce n’est pas ce que nous dit la Parole de Dieu. Dans la première lecture [Livre des proverbes], nous avons eu un bel éloge de la femme qui travaille, dans le courage, la charité et la fidélité. Elle se dévoue, elle veille, elle donne, elle aime comme Dieu aime. Notre travail a du sens, il n’est pas vain, car il participe à l’œuvre de Dieu ; nous participons à l’Amour de Dieu par notre amour. Il n’y a pas d’un côté notre foi, de l’autre côté notre activité quotidienne : tout ce que nous faisons a une valeur infinie, puisque le Seigneur veut y participer. Si nous sommes « fidèles en peu de choses », Lui aussi se montrera fidèle, et nous fera « entrer dans la joie de notre Seigneur ».
La parabole des talents nous dit la même chose. Tout nous est donné par Dieu : les talents, le monde, la Création. Vivre dans la paix de Dieu, c’est participer à cette œuvre incessante en faisant fructifier ce que nous avons reçu. Il ne s’agit pas de “consommer” passivement les dons de Dieu, comme si nous en étions propriétaires : le monde nous est confié pour le faire grandir. C’est aussi, d’ailleurs, le fondement de l’écologie chrétienne : respecter la Création, l’accueillir comme un don, la faire fructifier, ne pas la consommer ni l’exploiter, mais la cultiver comme un jardin. En prenant soin de ce qui nous entoure – et plus encore de ceux qui nous entourent –, nous trouvons notre dignité et nous agissons comme des « enfants de lumière ».
Nous ne devons surtout pas oublier que le Seigneur Jésus Lui-même a participé à notre travail ! À Nazareth, Il a mis en œuvre les talents qu’Il avait reçus, Il a appris le métier de charpentier avec saint Joseph, Il a béni éternellement notre activité. Dans la mesure où nous Lui offrons notre travail, nous participons à son œuvre. Et aujourd’hui, à travers chaque Eucharistie, c’est encore notre activité de chaque jour que nous offrons au Seigneur par le pain et le vin. Nous ne voulons pas être comme le troisième serviteur (« mauvais et paresseux ») qui n’a rien à rendre à son maître ! Arrivons donc chaque dimanche dans l’église avec quelque chose à offrir de notre semaine. Par exemple, de manière très concrète, prenons un petit temps le matin pour nous préparer à la Messe, en consacrant au Seigneur, dans le secret de notre cœur, quelque chose que nous avons vécu, et qui ne trouve son sens que dans la lumière de son Amour. « Voilà, Seigneur, Tu m’as donné des talents : reçois ce que j’ai essayé de faire fructifier pour Toi… »
Parfois, notre travail ne paraît pas grand-chose ; et nous n’avons peut-être pas l’impression d’avoir reçu beaucoup de « talents » : un seul, alors que notre voisin en a reçu cinq ! Même si c’est tout petit, notre action participe quand même à l’œuvre immense du Seigneur. Il nous invite à être « fidèles en peu de choses »… et nous fait entrer dans la Joie éternelle.
Trente-deuxième dimanche du Temps Ordinaire — Attendre ensemble dans l'amour
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Notre année liturgique touche bientôt à sa fin (l’Avent commence dans trois semaines), et les Évangiles que l’Église nous propose sont ceux de la fin de la prédication de Jésus, avant le récit de sa Passion. Dans saint Matthieu, c’est le temps pour Jésus d’annoncer son retour, la fin des temps, l’avènement du Royaume de Dieu ; et pour nous, c’est un appel renouvelé à la vigilance. Le Seigneur viendra, comme un Époux qui vient ! Et nous avons à rester dans cette attitude de veille, d’attente, pour laquelle Jésus nous donne quelques indications simples.
Toute la vie des chrétiens est marquée par cette conviction : le Seigneur reviendra et nous L’attendons. Évidemment, nous ne sommes pas des nigauds qui vivent le nez en l’air ! Attendre le Seigneur, c’est surtout reconnaître que le monde est dans un état difficile, en proie au mal et à la violence, mais que cet état est transitoire. Nous attendons la Victoire finale sur le mal ; et cette Victoire (que Jésus a déjà acquise par sa Résurrection) ne sera définitivement obtenue que dans la Gloire de Dieu. Beaucoup dans le monde prétendent combattre et tuer au nom de leur Dieu ; nous chrétiens, nous savons bien que ce n’est pas la violence, mais l’Amour de Dieu qui est victorieux du Mal. Cet amour sera dévoilé en plénitude quand le Christ reviendra.
Jésus annonce donc son retour dans une parabole qui nous parle justement d’amour, puisqu’il s’agit d’un Époux qui vient à ses noces. À dire vrai, cette parabole est un peu étonnante, car on y voit dix jeunes filles qui attendent mais qui s’endorment ; on y voit aussi un Époux qui arrive et se montre impitoyable à celles qui n’ont pas leur lumière ; et surtout, dans ce mariage, on ne voit pas d’Épouse… Mais si Jésus parle de son retour, c’est justement que l’Époux, c’est Lui, et que l’Épouse, c’est nous ! Jésus reviendra par Amour pour célébrer ses noces, son engagement définitif avec l’humanité : l’Épouse est en fait l’Église qui attend la consommation de son Alliance avec le Christ. Nous sommes tous emmenés dans ce mouvement d’Espérance, car le Seigneur est déjà vainqueur ; être vigilants, être attentifs, c’est nous préparer, de tout notre cœur, à participer à la Victoire de l’Époux.
L’attente n’est donc pas une attente individuelle, “chacun pour soi” : le Seigneur nous demande de veiller ensemble, de L’attendre en communauté, en Église. Dans notre prière, la plupart du temps nous ne disons pas « je » mais « nous » (par exemple dans le Notre Père). Notre Espérance se nourrit de la vie communautaire, car c’est là que nous discernons déjà les signes de la Victoire du Christ. Tout à l’heure, de la même manière, saint Paul écrivait aux Thessaloniciens de garder l’Espérance vivante au cœur de leur communauté : « Nous croyons, nous attendons, nous ressusciterons, nous serons pour toujours avec le Seigneur… ». Parmi les dix jeunes filles de la parabole, il y en a qui ont fait provision d’huile et d’autres non, mais en tout cas elles veillent ensemble – et s’endorment ensemble !
C’est donc comme communauté que nous sommes invités à veiller. Comment alors pouvons-nous exercer cette vigilance, pour accueillir l’Époux quand arriveront les noces ? Jésus parle de l’huile pour la lampe, et derrière cette comparaison nous comprenons bien qu’il y a une réalité profonde : nous avons besoin d’un “combustible” pour avancer vers Dieu, et cette huile c’est l’amour. En communauté, en famille, il s’agit de vivre concrètement dans la Miséricorde, la paix, l’Espérance ; se transmettre les uns aux autres l’amour de Dieu, la joie d’être ses enfants. Attendre ensemble le retour du Christ, c’est vivre clairement l’Espérance surtout face aux épreuves de la vie : comment pourrions-nous témoigner de la joyeuse attente du Seigneur, si nous n’avons plus d’huile, si nous désespérons, si nous sommes engloutis par les menaces contre la vie et contre la paix ? Comme famille des enfants de Dieu, comme frères et sœurs, manifestons la certitude de la Victoire du Seigneur.
À titre personnel, bien sûr, il faut aussi méditer sur la provision d’huile qu’on essaie d’accumuler. Là encore, c’est très concret : par des actes de Miséricorde, par la prière, par un comportement paisible, joyeux, par une sollicitude et des attentions visibles, nous mettons de l’huile dans la lampe, et nous nous préparons à participer au retour du Seigneur.
Quelle est donc l’“huile” que nous avons dans le cœur, personnellement et en communauté ? Ce n’est pas une force ou des qualités personnelles, mais une attitude d’éveil et d’attention. C’est ensemble que nous pouvons accumuler de l’amour, car ce qui est donné à l’un appartient à tous ; que le Seigneur remplisse nos cœurs d’Amour, pour vivre dans la paix et la vigilance en attendant son retour !
Trente-et-unième dimanche du Temps Ordinaire — Avant tout, l'amour de Dieu
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Elles sont bien dures, ces paroles de Jésus dans l’Évangile ! Lui qui est habituellement si doux et si bienveillant, voilà qu’Il se met à traiter les pharisiens d’hypocrites, à leur reprocher durement leurs mensonges et leur duplicité… Il reconnaît pourtant que leur enseignement est bien celui de Moïse [« Ils enseignent dans la chaire de Moïse, faites ce qu’ils vous disent »], mais Il les blâme de ne pas appliquer eux-mêmes ce qu’ils enseignent. C’est à cette lumière qu’il s’agit d’entendre tout ce passage : car si les paroles et les actes ne vont pas dans le même sens, alors Jésus a bien raison de faire ces reproches. C’est vrai des pharisiens, et c’est évidemment vrai aussi pour nous. Les pharisiens ont une manière de se comporter, d’obéir à la Loi de Moïse, qui est très réglementée, très précise : il y a des rites, des purifications, des sacrifices. Jésus ne leur reproche pas ces actions, mais Il leur demande : votre attitude intérieure, votre cœur, est-il aussi purifié que vos mains ? À quoi correspond votre obéissance, si elle n’entraîne pas un changement, une conversion de votre cœur ?
Nous chrétiens, nous n’avons pas une foi qui nous demande d’abord de “faire des choses”, ni d’obéir à des lois ou à des rites. Notre foi est une relation personnelle à Dieu qui se fait connaître : un Dieu qui n’est qu’Amour et Miséricorde. Avoir la foi, c’est en premier lieu chercher à connaître le Seigneur. Jésus nous dit avec force : « Je suis la Vérité » [Jn 14,6] : chercher à connaître Dieu, c’est chercher le visage du Christ, et donc chercher la Vérité. C’est ce qui fait la nouveauté incroyable de l’Évangile : l’homme est capable de connaître Dieu en vérité, car à travers Jésus nous faisons la rencontre de son Père.
Pour d’autres traditions spirituelles, Dieu est infiniment éloigné : personne ne peut Le connaître, il s’agit seulement d’obéir à des lois, à des rites, à des prières. Et puis, quand on a tout fait “comme il faut”, on est un bon croyant ! C’est justement ce que reproche Jésus aux pharisiens : ils oublient de rencontrer le Seigneur. Je fais ce que j’ai à faire, j’accomplis les ablutions, les rites, je porte des franges comme il faut, et je suis parfait devant Dieu. Mais est-ce que je connais Dieu, est-ce que je Le prie, est-ce que je L’aime de tout mon cœur ? C’est la seule chose qui compte vraiment ; et c’est ce que les pharisiens, apparemment, ont laissé de côté !
Jésus ne cesse de nous le dire : Je suis venu pour que les hommes aient la vie, qu’ils connaissent mon Père, qu’ils Le prient, qu’Ils reçoivent son Amour infini ; J’ai donné ma vie pour vous, afin que vous soyez dans la Vérité, que vous soyez saints comme Dieu est Saint (la fête de la Toussaint nous le rappelait mercredi). Ce que nous désirons de tout notre cœur, c’est de ressembler de plus en plus à Jésus, dans toute notre manière de vivre et de prier. Au-delà des commandements, il s’agit d’aimer le Seigneur, de Le connaître, de vivre dans la Vérité. C’est le seul chemin, surtout en ces temps difficiles, pour dépasser les conflits, les haines, les guerres : l’Évangile, si nous le prenons au sérieux, est l’unique voie de pardon et de réconciliation.
C’est ainsi, je crois qu’il faut comprendre les autres paroles de Jésus à propos des titres que les hommes se donnent : père, rabbi, maître. Notre seule vocation est de connaître Dieu, car c’est Lui qui est le seul Père, le seul Maître, le seul Rabbi (enseignant). Nous avons la mission, chacun selon notre vocation, d’aider nos frères à faire la rencontre unique du Seigneur, cette rencontre qui change la vie. Nous n’avons pas à leur dire ce qu’il faut faire, ou comment obéir à des lois, mais d’abord à les conduire à Jésus, seule Vérité : le seul qui soit en mesure de répondre à toutes nos questions. C’est pourquoi personne ne peut s’attribuer une autorité qui n’appartient qu’à Dieu : quand on témoigne de l’Évangile, le but n’est pas de se faire aimer, mais de faire aimer le Seigneur ! Dans l’Église il y a certes des “pères” et des “maîtres”, mais ils doivent être uniquement des reflets de la paternité de Dieu.
Tout à l’heure, nous avons justement entendu saint Paul qui ouvrait son cœur aux Thessaloniciens [deuxième lecture] : « Nous avons été pleins de douceur avec vous, comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons » ; et ailleurs, dans une Lettre aux Corinthiens, il écrit aussi : « C’est moi qui [comme un père] vous ai donné la vie dans le Christ Jésus » [1Co 4,15]. Paul ne prétend pas remplacer Dieu : il désire être lui-même un témoignage de la paternité (et même de la maternité !) de Dieu. Il s’efface devant le Seigneur, il veut que les croyants deviennent de plus en plus enfants du Père.
En ce dimanche, faisons donc grandir notre foi : en écoutant la Parole de Dieu, nous Le connaissons, nous vivons de plus en plus dans son Amour. « Il n’y a qu’un Père, celui qui est aux cieux » : soyons des enfants de Dieu pleins de joie, tournés vers l’Amour du Père !
Vingt-neuvième dimanche du Temps Ordinaire — Rendez à César…
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Nous connaissons bien ce passage de l’Évangile, qui est repris non seulement dans saint Matthieu, mais aussi dans Marc et Luc : c’est dire son importance dans la Parole de Dieu. À partir des mots de Jésus, on a même fait un proverbe : « Rendez à César ce qui est à César » ; et on l’applique à beaucoup de situations… qui n’ont souvent rien à voir avec ce passage !
À première vue, les paroles de Jésus semblent faire une séparation entre César et Dieu. D’un côté il y aurait les “affaires du monde”, la politique, les impôts, l’argent, le commerce… et puis de l’autre, il y aurait les “affaires de Dieu” : la prière, la morale, les commandements de Dieu. Et notre vie serait alors “coupée en deux” ; par exemple on s’occuperait des affaires du monde du lundi au samedi, et puis le dimanche serait réservé à Dieu. C’est assez confortable, car cela implique que le Seigneur n’a rien à voir dans nos activités de chaque jour : on peut être parfaitement malhonnête et cupide dans nos affaires, ce n’est pas grave si le dimanche on vient à la messe ! Bien sûr, j’exagère un peu… mais sommes-nous sûrs que nos occupations de la semaine nous permettent de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu » ?
Revenons donc à ce dialogue entre Jésus et les pharisiens. À l’origine, il y a un piège tendu à Jésus : on cherche à Le prendre en défaut sur le sujet sensible de l’occupation romaine. Peut-être Jésus va-t-Il prendre position contre les Romains, et on Le dénoncera comme séditieux… La question est donc plus large que celle de l’impôt. Quelle est l’autorité légitime ? Qu’est-ce qui est juste, et à qui pouvons-nous faire confiance pour faire justice ? C’est une question essentielle pour les Juifs de l’époque. Effectivement, Jérusalem est occupée depuis près de cent ans par les Romains ; cela fait cinq cents ans que les vrais rois d’Israël n’existent plus, donc qui est légitime pour diriger le peuple ? L’empereur César est un païen, ses troupes sont étrangères, idolâtres et cruelles… À qui faire confiance ?
Face au pouvoir de l’Empereur, au pouvoir politique, la question est celle de l’origine de ce pouvoir. D’où vient l’autorité que certains ont sur les autres ? Il faut se méfier de celui qui dit : l’autorité vient de moi, j’ai le pouvoir par moi-même. Les chrétiens sont naturellement obéissants : on peut rendre à César ce qui permet à une communauté de vivre dans la paix. Mais justement, parce qu’il y a autre chose : il y a un pouvoir au-dessus de César, une présence de Dieu qui donne un sens à tout le reste. L’Empereur a une certaine autorité, mais notre relation à Dieu dépasse cette autorité. La dignité de l’homme n’est pas soumise à la politique ; si quelqu’un a une autorité légitime, il n’a pas pour autant le pouvoir de changer le bien et le mal, de transformer la morale, de faire régner le mensonge. « Rendre à Dieu ce qui est à Dieu », c’est le rappel de notre magnifique vocation que personne ne peut nous enlever, celle d’être nous-mêmes des images de Dieu. Jésus montre bien que sur la pièce de monnaie, il y a l’effigie de César, mais que sur notre visage à nous, il y a l’effigie de notre Père : rien ne peut nous ôter cette ressemblance ; personne ne peut nous séparer de l’Amour de Dieu. Si César tente de se mettre au-dessus de Dieu, tout ce qu’il arrivera à faire, c’est créer une société inhumaine : une communauté privée de la présence du Seigneur ne peut qu’entretenir le conflit de tous contre tous.
Alors d’où vient le pouvoir de César ? Est-ce qu’il se donne le pouvoir à lui-même ? Nous pouvons nous rappeler la belle parole de Jésus dans l’Évangile : « Ne donnez à personne le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père ; ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ » [Mt 23,9]. Dieu est la source de toute autorité ; et si je veux un pouvoir hors de Dieu, cela n’a aucun sens. Dans la première lecture, Dieu parlait au roi Cyrus pour lui dire qu’Il lui avait donné la puissance : « Je t’ai rendu puissant, pour que l’on sache que je suis le Seigneur ». L’autorité du roi doit montrer quelque chose de la sagesse de Dieu, sinon c’est une usurpation. Il est si facile, quand on a le pouvoir, de se prendre pour Dieu ! C’est vrai pour les rois, mais c’est vrai aussi parfois de nos démocraties…
Alors, finalement, à qui faire confiance, comme les pharisiens le demandent à Jésus ? Rendez d’abord à Dieu ce qui est à Dieu. On peut faire confiance au Seigneur, bien sûr, car son pouvoir n’est qu’un pouvoir d’Amour et de Miséricorde. Et on peut aussi faire confiance à ceux qui écoutent la Parole de Dieu, qui se laissent guider par la Sagesse de Dieu. Le vrai père est celui qui exerce la paternité de Dieu, le vrai dirigeant est celui qui dirige vers l’Amour de Dieu. Alors, dans la confiance, on pourra « rendre à César »… ce qui lui appartient !
Vingt-septième dimanche du Temps Ordinaire — Rendre à Dieu par amour
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
« La vigne du Seigneur, c’est la maison d’Israël », nous disait le prophète Isaïe [première lecture] ; dans l’Évangile, nous avons aussi entendu cette image de la vigne. Une vigne, c’est très beau à contempler, cela donne un fruit délicieux, on peut aussi en faire du vin qui « réjouit le cœur de l’homme » [Psaume 104(103),15] : c’est l’image du don de Dieu, abondant et savoureux. Mais une vigne, c’est aussi beaucoup de travail : cela ne pousse pas tout seul. Il faut nettoyer la terre, enlever les mauvaises herbes et les insectes… La vigne est donc une très bonne image du don de Dieu : don qui est gratuit et généreux, mais qui suppose notre coopération. Le Seigneur ne nous laisse pas nous reposer ! Il nous donne beaucoup de choses, mais c’est à nous de travailler pour mettre en valeur ce qu’Il nous donne.
Au début de cette année, en cette période de rentrée, nous sommes comme les vignerons de l’Évangile : le « propriétaire » nous confie une vigne, c’est-à-dire une année complète, pour la faire fructifier. Alors, qu’allons-nous faire de cette année ? Le Seigneur ne nous abandonnera jamais, Il nous accompagnera, Il prendra soin de nous, comme le maître prend soin de sa vigne. Quels types de raisins allons-nous porter ? Des beaux raisins, comme le demande le prophète Isaïe, ou bien des raisins amers ?
La parabole de l’Évangile nous rappelle que nous ne sommes pas propriétaires de la vigne : c’est le Seigneur qui nous la donne – ou plutôt, nous la confie. En disant cela, nous entrons déjà dans une dimension écologique : nous ne sommes pas propriétaires de la Création, mais le Seigneur nous la confie pour que nous en prenions soin. Et plus généralement, ce que nous faisons, nous le faisons sous le regard plein d’amour de Dieu. Ainsi, quand nous travaillons, nous travaillons pour le Seigneur, c’est-à-dire pour que l’Amour de Dieu se répande dans le monde. Nous ne travaillons pas pour nous-mêmes, pour nous enrichir, avoir de la puissance ou écraser les autres : nous devons rechercher le bien commun, le bien de tous les hommes.
Bien sûr (en ce temps de rentrée), ceux parmi nous qui étudient, qui travaillent pour apprendre, pourront me répondre qu’ils travaillent pour eux-mêmes ! C’est aussi vrai, mais la vocation des élèves, des étudiants, c’est de grandir en sagesse pour devenir des adultes responsables et croyants ; pour être capables de servir Dieu et les hommes. Notre activité est toujours tournée vers l’amour, sans quoi elle est stérile. Si nous n’avons pas ce regard vers l’infini, au-delà de notre activité de chaque jour, alors notre vie n’a aucun sens : combien de nos contemporains, de nos proches, ne savent plus pourquoi ils vivent, ni pourquoi ils travaillent ? Dans la foi, nous pouvons travailler par amour, travailler pour le Seigneur.
L’histoire que raconte Jésus dans la parabole de la vigne, c’est en quelque sorte l’histoire de l’homme et de son péché. Nous avons toujours la tentation de nous attribuer le don de Dieu, de croire que les choses nous appartiennent. Autour de nous, beaucoup vivent comme s’ils étaient seuls, comme si le Seigneur était complètement absent du monde. On vit au jour le jour, et l’on ne voit pas l’Amour qui nous crée et qui nous accompagne ; on ne pense pas non plus au temps de la récolte, où le Seigneur nous demandera les fruits de la vigne.
Mais le Seigneur nous rappelle sa présence ; Il nous rappelle que notre vocation consiste à Lui rendre, dans l’amour, tout ce qu’Il nous a donné par Amour. Dans la parabole, le propriétaire envoie des serviteurs : ce sont les prophètes d’Israël. Puis il envoie son propre fils, l’héritier, qui est Jésus et qui sera rejeté par les hommes. Les vignerons veulent bien profiter de la vigne, mais ils ne veulent pas se rappeler de la présence du maître ! De la même manière, les hommes d’aujourd’hui aiment bien les dons de Dieu, ils profitent de ce qu’ils ont reçu ; on prend soin du monde, on a même des valeurs, de l’honnêteté, de la morale… mais il est difficile pour beaucoup d’accepter une Présence qui nous dépasse, un Dieu qui nous appelle au dialogue, qui nous dérange dans notre petit confort. Et pourtant, c’est seulement Lui, le Seigneur, qui donne le vrai sens à notre vie.
Au début de cette année, nous sommes donc invités à faire un choix : comment allons-nous vivre ? Pour nous tout seuls, ou pour le Seigneur ? Allons-nous utiliser les dons de Dieu pour plus d’amour, pour plus de générosité envers les autres ? Que notre vigne, notre travail, soient toujours remplis de l’Amour de Dieu ; ainsi nous pourrons, dans la joie, rendre au Seigneur ce qu’Il nous a confié.
Vingt-sixième dimanche du Temps Ordinaire — Être vraiment libre
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Celui qui « a fait la volonté du père », bien entendu, c’est celui qui a obéi et qui est allé travailler à la vigne. Les paroles sont utiles, mais elles sont bien insuffisantes si elles ne sont pas suivies d’actes ! Nous avons certainement tous connu des déceptions, parce qu’on nous a fait des promesses, et puis rien ne s’est passé ; souvent, la confiance est brisée. Bien sûr, il y a aussi le domaine politique, où certains engagements ne sont pas tenus… Mais plus largement, il faut nous demander nous-mêmes si nos paroles nous engagent vraiment. Est-ce que parfois, nous ne répondons pas pour faire bonne figure, pour être bien vus ; ou même pour nous débarrasser d’un importun ?
L’essentiel, c’est de dire la vérité et de faire la vérité en toutes circonstances. Ailleurs, Jésus nous dit : « Que votre oui soit oui, que votre non soit non » [Mt 5,37] : mettez votre comportement en accord avec vos paroles. Si nous nous disons disciples du Christ, alors soyons disposés à L’écouter, à Le suivre, à faire de sa Parole un guide permanent pour nos choix, à mettre en pratique ses commandements. Faire la vérité, c’est agir sous le regard du Seigneur, non pas par contrainte ou “pour se faire bien voir”, mais simplement parce que l’Amour nous guide. Et vivre ainsi, c’est un choix de liberté. Être chrétien, c’est être pleinement libre ! Car nous ne sommes pas guidés par le souci de nous faire bien voir, mais par la vérité de l’Amour libérateur.
Le prophète Ézéchiel, dans la première lecture de ce jour, nous rappelait qu’il peut y avoir des changements dans une vie : il y a des « justes qui se détournent de leur justice » pour faire le mal, et inversement il y a des « méchants qui se détournent de leur méchanceté pour pratiquer la justice ». Mais le message du Seigneur est toujours nouveau : Il ne tient pas compte du passé, Il nous libère de notre vie antérieure. Dans la foi, nous savons que nous ne sommes pas emprisonnés par nos regrets, nos remords, le souci du passé. Le Seigneur « fait toutes choses nouvelles » [Ap 21,5], Il nous fait sans cesse avancer par sa Miséricorde qui renouvelle le monde. Le chrétien n’est pas retenu par les usages, par le qu’en-dira-t-on, ou par sa propre fierté : il sait que l’essentiel est d’abord de faire le bien, c’est-à-dire d’accomplir la volonté du Père. Même si, comme le premier fils de la parabole, on a dit « non » au Seigneur par le passé, ce n’est pas grave ! car la Miséricorde du Père est toujours en action. Nous sommes libres, rien ne peut nous retenir dans notre chemin vers Dieu.
Être disciples du Christ, c’est donc être pleinement libérés par son Amour. Dans tout ce que nous faisons, dans la manière dont nous conduisons notre vie, ce qui nous guide est le désir de répondre à cet Amour. On peut agir pour se mettre en avant, par souci de son image personnelle ; on peut agir aussi par désir d’une récompense ; et on peut même faire les choses par contrainte. Mais dans notre relation avec le Seigneur, ce qui domine, c’est la liberté et la gratuité. Chercher une récompense, c’est encore un acte d’égoïsme, car on est tourné vers soi-même au lieu de chercher le bien. La seule récompense de l’Amour, c’est l’Amour ! Saint Bernard disait ainsi : « La raison d’aimer Dieu, c’est Dieu Lui-même ; nous aimons [tout simplement] pour aimer ».
Jésus est venu pour nous libérer de toutes les contraintes, du regret et de l’orgueil. L’expérience chrétienne est une libération ; mais c’est aussi la conscience que la liberté n’est jamais acquise, et que nous avons sans cesse à la puiser à sa source, c’est-à-dire dans le Cœur de Jésus. Lui, Jésus, est l’homme parfaitement libre, et c’est en L’imitant que nous sommes libérés. Saint Paul invitait les Philippiens [deuxième lecture] à l’unité, à la charité fraternelle ; et il leur rappelait que le Christ s’était fait obéissant, humble, serviteur jusqu’au don de sa vie sur la Croix. Pour vivre une vie fraternelle, joyeuse, délivrée du péché, les disciples du Christ sont invités à la même attitude. Le paradoxe de la vie chrétienne, c’est qu’en se faisant humble serviteur, on est pleinement libre. Le monde nous dit le contraire : on serait libre en devenant puissant et supérieur aux autres. Mais dans le Christ, nous savons que la vraie liberté consiste à s’affranchir de la fausse puissance, de l’orgueil, de l’enfermement sur soi-même, du souci du plaisir et des richesses, de la convoitise. Seul le Seigneur Jésus nous a obtenu la liberté, en allant jusqu’au bout de l’Amour.
Oui, « faire la volonté du Père » comme nous y invite Jésus, c’est l’unique chemin de liberté ; car il nous détache de l’hypocrisie, du remords, des paroles vaines, du souci de notre image. Avec le Seigneur, tout est toujours renouvelé ! Soyons des chrétiens vraiment libres, et le monde connaîtra le Christ.
Vingt-cinquième dimanche du Temps Ordinaire — La prière
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
« Allez travailler à ma vigne », dit le Maître aux vignerons. Il nous dit la même chose aujourd’hui, en cette journée de rentrée : Allez travailler à la vigne du Seigneur, ne restez pas « toute la journée sans rien faire ». Le monde a besoin de bons ouvriers de la vigne, les hommes ont besoin de témoins qui transmettent l’Amour du Seigneur. Allons-y ! Prenons de notre temps pour faire vivre l’Évangile, n’hésitons pas à témoigner de notre foi : le monde sera plus beau et plus humain s’il est conduit par le Christ ! L’image de la vigne, déjà dans l’Ancien Testament, représente le peuple d’Israël qui grandit et porte du fruit : nous en sommes les héritiers.
La parabole que nous raconte Jésus aujourd’hui parle donc de ceux qui travaillent à la vigne ; et à la fin, ils reçoivent leur récompense. Mais il y a quelque chose de curieux dans cette histoire, et c’est justement pour cela que nous l’entendons : c’est l’injustice apparente de la situation finale. Ceux qui ont travaillé une seule heure (les « ouvriers de la onzième heure ») reçoivent le même salaire que ceux qui ont passé toute la journée sous le soleil. Bien sûr, c’est objectivement injuste, car on considère à juste titre que tout travail mérite salaire : ce sont les valeurs qu’on essaie de transmettre aux plus jeunes. On est jugé – et rémunéré – selon ses actions ; le travail est une noble chose, qui fait vivre, qui rend fier, qui est source d’épanouissement. Donc normalement, plus on travaille, plus on en retire de dignité et de juste salaire.
Mais ici, Jésus ne nous fait pas un cours de “gestion des ressources humaines” ; ce serait un mauvais cours et la conclusion ne serait pas satisfaisante. C’est une parabole, non pas une situation réelle ! Ce dont il s’agit, c’est le « Royaume des cieux » ; et le travail de la vigne ne se mesure pas en heures et en minutes. Le critère de ce travail n’est pas le mérite ou le courage de l’homme, mais la bonté de Dieu : nous ne parlons pas de justice et d’égalité humaines, mais de l’Amour surabondant du Seigneur. Le travail de la vigne est d’abord un don de Dieu : Il nous montre une manière de vivre qui correspond à notre désir, à notre soif d’Amour. En nous laissant conduire par le Seigneur, nous prenons la seule direction qui ne nous décevra jamais, qui nous oriente vers l’Éternité. Travailler à la vigne n’est pas une contrainte, mais une ouverture à l’infini. Et cette proposition, nous dit la parabole, nous est faite à tout moment ! Au début de notre vie comme à la onzième heure : il n’est jamais trop tard pour se mettre à l’écoute du Seigneur. Le prophète Isaïe nous le disait tout à l’heure : « Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver ; invoquez-le ; revenez vers le Seigneur, qui vous montrera sa miséricorde ».
Travailler à la vigne du Seigneur, c’est donc d’abord – comme dit Isaïe – chercher le Seigneur. Ce qui compte n’est pas le nombre d’heures que nous occupons, mais la sincérité du cœur qui cherche à connaître Dieu. C’est pour cela que le Seigneur nous invite souvent à prier ; et qu’il est bon, pour une communauté paroissiale, de se rappeler l’importance immense de la prière comme source de toute vie chrétienne [cf. thème de la journée de rentrée]. Prier, c’est faire grandir la “vigne du Seigneur” qui se trouve dans notre cœur ; prier c’est se mettre en position d’accueillir Dieu dans notre vie. C’est être habité par l’Esprit saint, être de plus en plus ressemblant à Jésus, se tenir plein de confiance face au Père.
La prière a besoin de temps, bien sûr ; mais comme pour l’histoire de la vigne, l’essentiel n’est pas de passer une heure ou douze heures. Après tout, nous ne sommes pas des Chartreux et nous ne pouvons pas prier toute la journée ! Chacun fait selon ses possibilités ; mais l’important est d’avoir en nous le désir de connaître Dieu de l’intérieur. Voulons-nous aimer le Seigneur, voulons-nous Le rencontrer dès maintenant, et voulons-nous vivre éternellement avec Lui, lorsque arrivera le « soir » de notre vie et qu’Il nous donnera notre salaire ? Si nous désirons tout cela, nous désirons en même temps donner du temps pour prier, pour connaître l’Amour du Seigneur. Cela peut être quelques instants le matin, ou le soir, selon nos occupations ; encore une fois, il n’est jamais trop tard ! Mais que serait notre foi, notre amour de Dieu, si nous restions toujours à la surface de la vie ; si nous n’entrions pas de temps en temps dans le secret de notre cœur où Dieu habite ?
D’une certaine manière, la prière est un effort à faire ; comme un bon ouvrier, il s’agit de persévérer pour travailler avec Dieu. Mais on comprend vite que ce n’est pas nous qui faisons grandir la vigne : c’est le Seigneur qui fait tout le travail. Alors « allons à la vigne du Seigneur », prenons du temps par amour, et notre vie sera illuminée par la prière !