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Premier dimanche de l'Avent — Un temps qui conduit à Dieu
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures de ce premier jour de l’année liturgique.
Nous voici entrés dans l’Avent, cette période (courte) qui nous permettra de préparer Noël. L’Avent commence par les paroles de Jésus qui annoncent sa venue : « Il y aura des signes dans le soleil, la lune… On verra le Fils de l’homme venir avec puissance et grande gloire ». Nous attendons la venue du Seigneur : nous ne devons pas nous endormir, car Il viendra ! En nous mettant en situation d’attente, nous nous rappelons que le Seigneur est proche ; et que notre monde n’est pas éternel. De la même manière que les Israélites attendaient (et attendent toujours) le Messie, nous attendons que le Seigneur se révèle en plénitude – tout en vivant dès maintenant de sa présence. Il se fera voir à Noël : son Royaume est déjà au milieu de nous.
L’Avent est donc un temps d’attente, mais pas d’attente craintive ; comme on pourrait le croire en écoutant l’Évangile de ce jour : « Les nations seront affolées et désemparées ; les hommes mourront de peur… » Notre attente est joyeuse, car Celui qui vient, c’est le Dieu de paix et d’Amour. Et cette attente joyeuse, dans le langage de la foi, s’appelle l’Espérance. C’est justement le thème proposé par le Saint-Père pour l’année du Jubilé 2025 : « L’Espérance ne déçoit pas ». Le fondement de l’Espérance, c’est la conviction que le Seigneur nous conduit en toutes circonstances. Même si parfois le monde nous semble absurde, le Seigneur s’occupe de ses enfants et leur vient en aide.
Si nous pouvons espérer la Grâce du Seigneur (et espérer sa venue), cela nous apprend aussi que le temps a un sens, c’est-à-dire une direction. Il est tellement important pour nous de savoir que nous sommes en chemin vers quelque chose (ou plutôt vers Quelqu’un) ! Parfois, dans la vie quotidienne, nous avons l’impression de refaire toujours les mêmes choses ; nous sommes tentés de croire que rien ne change. C’était déjà la pensée de la philosophie grecque, qui voyait le temps comme quelque chose de cyclique : le monde revient toujours au même point. Un monde qui a toujours existé, qui existera toujours… Il est difficile de ne pas désespérer face à cette perspective fermée. Et à notre époque, on aurait même tendance à penser que les choses vont de plus en plus mal, avec les crises de toute sorte ! Comment garder une Espérance, comment vivre en avançant jour après jour ?
Dans le langage de la Bible, le temps n’est pas un cycle : il est une ouverture à la présence de Dieu. Et c’est ce que nous allons vivre en préparant Noël. Le monde est d’abord créé par Dieu, non pas par hasard, mais par Amour. Notre vie a donc une signification, un sens, un départ, un but : tout ce que nous voyons a une intention dans le regard de Dieu. Nous sommes créés pour recevoir la Vie de Dieu, pour Le connaître ; le Seigneur conduit le monde vers Lui, Il intervient dans la vie des hommes pour les guider – comme Il le fera à Noël. Nous ne sommes pas le jouet de la fatalité, ni condamnés à errer dans les ténèbres : Dieu prend soin de nous. Peu à peu, nous découvrons la présence et la sollicitude du Seigneur.
Le peuple d’Israël a vécu cette progression dans le projet de Dieu : il a vécu une Histoire où le Seigneur agissait. Les Israélites ont reçu la Parole de Dieu, ils ont été libérés d’Égypte, ils ont bâti un royaume glorieux avec David et Salomon, puis ils ont été exilés ; ils attendent l’accomplissement des promesses, comme nous l’avons entendu avec le prophète Jérémie [première lecture] : « En ce temps-là, je ferai germer pour David un Germe de justice… Jérusalem habitera en sécurité ». Le temps de Dieu conduit les hommes vers l’accomplissement, vers le Salut : l’Avent nous est donné pour vivre tout particulièrement cette Espérance avec le peuple d’Israël.
Dans quatre semaines, le Seigneur sera donc parmi nous ; et nous vivrons avec Marie, Joseph, les bergers, l’émerveillement de sa naissance. Nous devons dès maintenant nous placer dans cette attitude d’attente, de désir que le Seigneur vienne. Face aux difficultés du monde, les espoirs terrestres sont toujours déçus : qui nous libérera des difficultés, des guerres, du chômage, de la violence, des agressions ? Tout semble tourner en rond, sans amélioration : personne n’est capable de vaincre le Mal. Un monde qui n’espère plus dans le Seigneur, est un monde triste et désespéré.
L’Avent nous rappelle que ce que nous ne pouvons faire, le Seigneur l’accomplit. Ce temps nous conduit à Dieu, il nous permet de vivre [comme le disait saint Paul, deuxième lecture] « irréprochables en sainteté devant Dieu notre Père, lors de la venue de notre Seigneur Jésus ». Rien ne peut nous désespérer, puisque nous avons l’Espérance : le Seigneur vient parmi nous !
Trente-et-unième dimanche du Temps Ordinaire — De tout ton cœur, de toute ta force !
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
« Quel est le premier de tous les commandements ? », demande ce scribe à Jésus. Pour une fois, ce n’est pas une “question-piège”, comme les scribes et les pharisiens le font souvent pour mettre Jésus dans l’embarras. Cet homme a l’air sincère ; et d’ailleurs, il sera félicité pour sa sagesse : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu ». Le scribe connaît bien la Loi, l’Écriture, les prophètes ; mais il constate en même temps qu’il peut être difficile de se retrouver dans tous les commandements, les préceptes, les rites de la Loi juive. Faut-il être un philosophe, avoir un diplôme de littérature, pour pouvoir vivre vraiment comme un croyant ? D’où sa question : quel est l’essentiel, le plus important, comme le résumé de l’Écriture Sainte ? Dieu est unique, Il est l’Être infiniment simple : la Parole de Dieu pourrait-elle être si compliquée et si touffue ?
Derrière cette question, il y a une demande profonde de vérité et de sens, qui nous rejoint aujourd’hui. Comment vivre, quels choix faut-il faire pour grandir dans notre vocation d’enfants de Dieu ? Il y a tout juste trois semaines, nous entendions une question similaire : c’était un autre homme qui venait demander à Jésus : « Que dois-je faire pour obtenir la Vie éternelle ? ». Que dois-je faire ? : c’est la question essentielle qui doit nous habiter sans cesse. Quel est le plus important dans une vie humaine, est-ce l’argent, le plaisir, la réussite ? Ou même, est-ce le dévouement, la disponibilité, la vie morale qui dirige tout le reste ?
La réponse de l’Évangile remet les choses dans l’ordre. C’était déjà ce que disait Moïse au peuple d’Israël [Deutéronome, première lecture]. L’essentiel ne change pas au fil des siècles, et cette réponse est toujours vraie aujourd’hui ! C’est donc tout simple : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu ». En d’autres termes, tu chercheras Dieu tous les jours de ta vie. Car tout le reste finit par décevoir : seul l’Amour de Dieu ne passera jamais. Sainte Thérèse d’Avila en avait fait sa devise : « Dieu seul suffit ». La rencontre de Dieu comble notre cœur, car Celui que nous cherchons (et qui nous cherche) est une Personne, avec laquelle on peut dialoguer, partager, se confier. La foi n’est pas une idéologie, une loi, un système de pensée : c’est un face-à-face, une rencontre personnelle. Celui qui a réellement rencontré le Christ ne peut plus se sentir oublié : avec Lui, nous ne sommes jamais seuls, jamais abandonnés. L’essentiel, pour que notre vie ait un sens, est de faire cette rencontre d’amour.
Ensuite, comme le dit Moïse au peuple d’Israël, il s’agit de mettre en pratique la rencontre avec Dieu : « Tu observeras ce que je te prescris, tu veilleras à le mettre en pratique ». La rencontre avec Dieu doit changer la vie, changer la manière de vivre, sinon elle est inutile. « Mettre en pratique », ce n’est pas seulement la “pratique” au sens religieux (la messe du dimanche) ; bien que ce soit essentiel et nécessaire à la vie de chaque chrétien. Mais la pratique, c’est aussi agir concrètement en conformité avec la présence de Dieu dans ma vie. Si je prétends prier le Dieu de Miséricorde, mais que je ne sais pas moi-même pardonner, il est inutile d’avoir rencontré le Seigneur !
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même », cela signifie que la présence de Dieu dans notre vie doit rayonner autour de nous. Ce que Jésus demande au scribe, ce n’est pas seulement une qualité plus grande dans ses relations humaines, mais une transformation de sa manière de vivre avec les autres. On ne peut pas se réfugier derrière les bonnes actions (« toutes les offrandes et les sacrifices », dit le scribe) : être gentil et dévoué, avoir une bonne morale, ce n’est pas encore être croyant ! Ce qu’il faut, c’est que l’Amour du Seigneur imprègne tout notre comportement : plus rien n’est pareil quand on a rencontré le Seigneur, et cela doit se voir autour de nous.
Finalement, ce « premier de tous les commandements », cela consiste tout simplement à vivre chaque instant sous le regard d’Amour du Seigneur. Avec Lui on peut orienter notre vie, avec Lui on apprend à aimer, avec Lui nos actions prennent une nouvelle dimension. Ce que nous faisons loin du Seigneur, finit toujours par être stérile. Moïse promet au peuple que l’obéissance au Seigneur lui apportera « bonheur et fécondité » : non pas comme une récompense qu’on donne à un enfant sage, mais comme une conséquence naturelle, car l’Amour de Dieu rend heureux. Vivre avec Lui, vivre en Lui, faire de notre vie une offrande d’Amour (surtout dans l’Eucharistie), c’est l’essentiel, et cela transforme chaque instant. Tout ce que nous faisons devient chemin vers Dieu : et Jésus pourra nous dire, comme au scribe : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu » !
Vingt-neuvième dimanche du Temps Ordinaire — Une civilisation de l'Amour
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
La semaine dernière, nous écoutions l’épisode du jeune homme riche, qui était plein de bonne volonté et qui voulait suivre Jésus ; mais les exigences de l’Évangile lui semblaient trop dures pour lui, et il repartait tout triste, découragé. Peu de temps après, c’est Jacques et Jean qui viennent s’adresser à Jésus ; eux, ils ne se découragent pas ! Bien au contraire, ils prévoient l’avenir, ils essaient de se “caser”, de prendre les meilleures places dans ce Royaume que Jésus ne cesse d’annoncer. Comme ils sont de bons disciples, qu’ils ont tout abandonné – leur père, leur bateau et leur métier [Marc 1,19] – pour se mettre à la suite de Jésus, ils espèrent en recevoir une bonne récompense : c’est bien humain et on ne peut les en blâmer.
Ce que Jacques et Jean ont oublié, c’est que le Royaume de Dieu n’est pas un lieu pour les ambitions humaines. Jésus n’est pas un Roi à la manière des rois païens, ni même comme les rois d’Israël, David ou Salomon. Le Royaume de Dieu, la Gloire de Dieu, c’est d’abord une présence, celle du Christ dans le monde, qui apporte avec Lui l’accomplissement de la vocation des hommes : être des enfants de Dieu, vivre face à face avec Dieu. Dans ce Royaume, c’est l’Amour qui règne, un Amour total parce qu’il vient de Dieu. Et Jésus va inaugurer son Royaume par l’acte d’Amour le plus gratuit et le plus étonnant : Il va donner sa vie sur la Croix. Dès lors, les disciples n’ont pas à chercher les bonnes places dans ce Royaume, mais à imiter leur Maître : donner leur vie par Amour. C’est ce que Jésus veut dire en parlant du « baptême dans lequel Il va être plongé » : ce baptême, ce sera la Croix. Quelques années plus tard, les disciples suivront en effet le Christ jusqu’au bout… mais pour l’instant ils n’en sont pas encore là.
Notre vie de disciples du Christ, deux mille ans après Jacques et Jean, n’a finalement pas beaucoup de différences avec eux. Le Royaume n’est pas encore venu de manière visible aux yeux de tous les hommes, mais il est tout de même présent « au milieu de nous » [Luc 17,21]. Avec l’Église que nous formons, nous sommes déjà dans le Royaume : nous contemplons le Seigneur présent dans l’Eucharistie, dans sa Parole ; nous avons été baptisés dans la mort et la Résurrection du Christ ; nous recevons la Grâce et la Miséricorde, données avec abondance. Et comme enfants de Dieu, ressuscités, nous pouvons déjà vivre dans l’Amour, en présence de Dieu. Oui, le Royaume est déjà là, malgré nos péchés et nos faiblesses ! Ce n’est pas un Royaume où il s’agit de chercher à se mettre en avant, mais une manière de vivre qui manifeste l’action du Seigneur dans le monde.
Si nous, chrétiens, vivons déjà dans le Royaume de Dieu, alors cela doit se voir. Comment vivre en citoyens du Royaume, tout en vivant dans notre monde ? C’est là qu’il faut réécouter les paroles fortes de l’Évangile : « Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur ; celui qui veut être le premier sera l’esclave de tous. Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir ». Le Roi Lui-même a choisi la place du serviteur, de l’esclave, du condamné à mort : le Royaume de Dieu inverse les “valeurs” humaines du monde.
Le témoignage des chrétiens est donc celui du Christ Lui-même : témoignage nécessaire aux hommes. Il ne s’agit pas d’attendre la “fin du monde” pour que l’Amour soit vainqueur : notre mission est de rendre présent dès maintenant ce Royaume d’Amour. Le saint pape Jean-Paul II parlait souvent de la « civilisation de l’amour » que chacun devait construire : ce n’est qu’en s’appuyant sur le Christ que nous pouvons œuvrer dans ce sens. Le prophète Isaïe [première lecture] nous décrivait les souffrances du serviteur de Dieu (qui préfiguraient la Passion du Christ) : en prenant sur lui les souffrances des hommes, « il rendra justes les multitudes, il se chargera de leurs fautes ». L’Amour consiste à prendre sur soi les douleurs des hommes, à ne jamais laisser personne au-dehors, à aller toujours vers celui qui souffre pour le soulager. Jésus a pleinement accompli cette prophétie, et avec Lui, nous pouvons rendre présent dans ce monde l’Amour de Dieu.
Les ambitions des disciples Jacques et Jean sont bien décalées par rapport à l’Évangile ! La seule “ambition” des disciples du Christ doit être de L’imiter. Il est venu chercher la brebis perdue, et comme Lui, nous devons regarder chaque personne comme unique, digne d’être aimée. Chaque ancien, chaque malade, chaque pauvre, chaque enfant (y compris avant la naissance) a déjà sa valeur dans le Royaume où règne l’Amour. Un monde où chacun cherche à dominer les autres serait inhumain : seul le Royaume de Dieu, déjà présent au milieu de nous, fondé sur le Christ, et dont nous sommes les citoyens, peut sauver le monde en lui apportant l’Amour.
Vingt-sixième dimanche du Temps Ordinaire — À l'image de Dieu, aimer et donner
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
« Celui qui fait un miracle en mon nom », dit Jésus : avec Lui, tout est possible. Au nom de Jésus, on peut faire des miracles ; au nom de Jésus, on peut réaliser de grandes choses. C’est la promesse qu’Il fait : Il ne cesse de nous donner, et Il donne avec générosité, avec abondance. Tout au long de l’Évangile, Jésus guérit, Il ressuscite ; et Il envoie ses disciples pour réaliser les mêmes choses « en son nom ». Depuis le début, avec le peuple d’Israël, le Seigneur veut combler les hommes de sa présence et de son Amour ; et Il envoie son Esprit pour que la Parole de Dieu soit active dans son peuple. Nous l’avons entendu dans la première lecture [Livre des Nombres] : l’Esprit est répandu sur les soixante-dix anciens, et le Seigneur veut « faire de tout son peuple un peuple de prophètes » en lui donnant son Esprit.
Ce qui caractérise notre Dieu, c’est l’abondance de son Amour, de sa Miséricorde. Il ne se résout jamais à la séparation de ses enfants, mais Il veut toujours nous combler, pour notre bonheur, dès maintenant et pour l’éternité. Par la bouche de saint Paul [Actes 20,35], Il nous dit qu’« il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » : et Il nous donne l’exemple en nous donnant la vie et la Résurrection. Dieu donne, c’est sa manière d’être ! Le don, et aussi le pardon qui est inséparable : c’est par cela que le Seigneur se fait connaître.
Dès l’origine, nous croyons en un Dieu qui ne sait que donner. Il est Trinité, Père, Fils, Saint-Esprit ; au cœur de la Trinité, le Père et le Fils vivent le don mutuel. Ce don est le Saint-Esprit, qui est aussi donné et répandu sur toute la Création. Être chrétien, baptisé, marqué par le signe de la Trinité, c’est donc avoir reçu ce don ; et c’est en vivre continuellement. Dieu nous donne tout ; nous avons tout reçu, et nous pouvons tout donner (jusqu’au pardon, qui est difficile, mais jamais impossible !) À l’image de Dieu qui se donne, nous sommes faits pour donner et pour nous donner dans l’amour. Notre foi nous conduit, sous le regard du Seigneur, à accueillir les dons qui nous sont faits, et à continuer à vivre dans cette logique du don avec nos frères et ceux qui nous entourent.
En ce dimanche, nous sommes réunis pour célébrer l’Eucharistie ; c’est le moment central de notre semaine, car justement nous y trouvons Dieu qui se donne. Qu’est-ce que la Messe, sinon un don mutuel entre le Seigneur et nous ? Il se donne à nous dans sa Parole, dans l’Esprit qui nous aide à mieux Le connaître. Nous lui donnons à notre tour : tout ce que nous sommes, la joie que nous avons à nous retrouver, et même nos péchés et les difficultés que nous apportons devant Lui. Et puis nous offrons le pain et le vin, « fruits du travail des hommes » ; et Lui, avec tout cela, Il nous offre son Corps et son Sang. À l’école de l’Eucharistie, nous apprenons donc à donner, à recevoir, à vivre cette relation d’Amour et de don mutuel qui vient de Dieu. Et nous pouvons mettre en pratique la logique du don, lorsque nous sommes envoyés pour porter l’Évangile au monde. Au nom de Jésus, comme pour les disciples, les miracles peuvent s’accomplir, si nous savons donner autant que nous avons reçu du Seigneur : « Celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, ne restera pas sans récompense ».
Être disciples du Christ, c’est donc tout simplement entretenir cette relation d’Amour et de don qui trouve sa source dans la Miséricorde de Dieu. Elle suffit à notre cœur, et elle est capable de guérir le monde de tout mal et de tout égoïsme. C’est pour cela que Jésus se montre si intransigeant par rapport au péché, à la fin de ce passage : « Si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la… si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le ! » Tout ce qui peut nous détourner de la relation d’Amour avec Dieu et avec nos frères, il faut nous en séparer, car ce sont des chemins d’égoïsme et de mort, au lieu d’être des ouvertures à la Vie. Saint Jacques, lui aussi [deuxième lecture], est sévère en parlant aux riches qui sont injustes : « Le salaire dont vous avez frustré les ouvriers, le voici qui crie vers le Seigneur de l’univers ». Chercher injustement son propre intérêt, au lieu d’exercer le don et la Miséricorde, c’est un péché qui « crie vers le Ciel » : car ce qui est en jeu, ce ne sont pas seulement les biens matériels, c’est la vocation de l’homme à l’Amour, à la dignité de fils de Dieu.
Il n’y a donc qu’une manière de vivre : c’est en donnant, en se donnant au Seigneur et à nos frères. Dieu nous a tout donné, Il nous a donné son Fils : accueillons la grâce de Dieu, et apprenons à tout donner à l’image du Seigneur.
Vingt-cinquième dimanche du Temps Ordinaire — Une nouvelle manière de vivre
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Déjà la semaine dernière, nous avons entendu Jésus annoncer à ses disciples qu’Il souffrirait, qu’Il serait tué et qu’Il ressusciterait. C’était dans le chapitre précédent de l’Évangile selon saint Marc, et c’est tout de même une insistance étonnante de la part de Jésus ! Pourquoi revient-Il plusieurs fois sur cette annonce, même en sachant que les disciples ne sont pas prêts à entendre ces paroles ? La semaine dernière, celui qui réagissait le plus violemment, c’était Simon Pierre : il était scandalisé par cette prophétie, et essayait de détourner Jésus de ce projet étrange. Le Messie, l’envoyé de Dieu, ne peut pas mourir comme un condamné à mort ! Dans le passage d’aujourd’hui, l’Évangéliste note simplement : « Les disciples ne comprenaient pas ces paroles, et avaient peur de l’interroger ». On imagine en effet l’incompréhension des disciples, qui s’attendaient au retour plein de gloire du Roi d’Israël, et qui à la place, entendent l’annonce d’un supplice…
Si l’Évangile insiste sur ces annonces, et si l’Église nous les donne à méditer dimanche après dimanche, c’est naturellement parce que cela a une immense importance pour notre vie de chrétiens. La Passion du Christ, sa Résurrection, tous ces événements dont nous faisons mémoire longuement autour de Pâques, ce ne sont pas des “accidents” dans la vie de Jésus, ni des circonstances imprévues qui ont abrégé sa mission. Tout cela, c’est le but, la mission même du Christ : c’est par sa Croix et sa Résurrection qu’Il veut nous sauver. Jésus a annoncé ces événements, et ils ont été prophétisés bien longtemps à l’avance, comme nous l’avons entendu dans la première lecture [Livre de la Sagesse] : « Attirons le juste dans un piège ; soumettons-le à des outrages et à des tourments ; condamnons-le à une mort infâme »… Jésus se place volontairement dans la situation du juste persécuté, qui n’hésite pas à reprocher aux hommes leur infidélité, et qui accepte de porter sur lui le poids du péché.
Les disciples, eux, n’ont pas du tout compris la signification des annonces de Jésus… L’Évangile décrit leur discussion, qui paraît complètement en décalage par rapport à ce que vient de dire leur Maître ! Ils « discutaient entre eux pour savoir qui était le plus grand ». Là où Jésus parle de souffrances, eux, ils mettent en avant leur petit orgueil et leur soif de reconnaissance. Un jour ils deviendront les Apôtres qui donneront leur vie pour le Christ ; mais avant de se convertir vraiment, ils ont encore un long chemin à parcourir !
Et nous, nous avons à prendre au sérieux ces annonces de la Passion. Comme chrétiens, nous avons été configurés au Christ par notre Baptême ; si Jésus fait de sa mort et de sa Résurrection le but de sa vie, cela doit être aussi le but de notre vie. C’est toute une manière de vivre, une existence renouvelée, dont le Seigneur nous donne l’exemple en nous orientant vers sa Passion. Toute notre vie trouve une signification dans le Christ mort et ressuscité. Si Jésus donne sa vie par Amour et ressuscite par la puissance du Père, c’est que notre vie ne trouve sa finalité que dans le don, l’Amour et la Vie de Dieu.
Depuis toujours, l’homme se pose des questions sur son existence et sur son comportement. Comment bien vivre, comment être heureux, comment accomplir sa vocation d’homme, que peut-on espérer de la vie ?… Ce sont les grandes questions de la philosophie. Et les réponses sont tellement variées, qu’on finit par s’y perdre ! Notre société contemporaine a tellement voulu égaliser tous les points de vue, qu’on n’a finalement plus grand-chose en commun : on ne sait plus pourquoi on vit, on ne sait plus comment vivre ni dans quel but : pour se faire plaisir ? Pour s’enrichir ? Faut-il chercher à écraser les autres pour se mettre en avant ?
C’est pour cela qu’il faut toujours revenir à l’Évangile, et notamment à cette annonce de la Passion. Notre vie, à l’imitation du Christ, ne trouve son sens que dans le don d’Amour : non pas dans l’orgueil ni la puissance, mais dans l’offrande de soi-même par Amour. Les disciples qui cherchent à se mettre en avant, sont comme ceux que blâme saint Jacques [deuxième lecture] : « D’où viennent les conflits entre vous ? Les désirs, les convoitises […] Vous êtes jaloux, alors vous entrez en conflit et vous faites la guerre ».
Jésus seul nous montre le vrai chemin de vie. Pierre et les disciples sont scandalisés par l’annonce de la Passion ; et pourtant c’est bien ainsi que nous avons à vivre, et que nous pouvons témoigner de la Miséricorde du Seigneur. La seule puissance qui change le monde, le seul chemin qui donne un sens à la vie des hommes, c’est l’Amour de Dieu vécu jusqu’au bout. « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il se fasse serviteur », qu’il donne sa vie par amour comme Jésus !
Vingt-troisième dimanche du Temps Ordinaire — Il re-crée toutes choses !
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
« Il a bien fait toutes choses », s’exclament les gens en voyant les actes de Jésus. Il accomplit des merveilles, Il guérit les hommes, Il sauve les malades : comment ne pas s’émerveiller ? L’Évangéliste saint Marc nous raconte l’arrivée dans le territoire de la Décapole, c’est-à-dire cet ensemble de villes en Galilée et dans le territoire des païens (jusqu’à Damas). Jésus ne reste pas uniquement parmi ses concitoyens. Il veut accomplir aussi sa mission parmi ceux qui n’ont pas reçu l’Alliance de Moïse, parmi les païens, qui pourront accueillir le message de l’Évangile avec un cœur neuf. Et ce sont ces païens qui s’émerveillent ainsi : « Il a bien fait toutes choses ! » Cette parole rappelle le refrain du récit de la Création, où Dieu contemple son œuvre après chaque jour : « Dieu vit que cela était bon ». Tout ce que fait le Seigneur est bon, Il ne cesse de combler les vivants de sa bonté.
À travers cette exclamation, c’est donc une nouvelle Création qui s’accomplit lorsque Jésus guérit. Il est venu restaurer la Création blessée, donner une nouvelle puissance de création là où l’homme avait brisé le lien avec son Créateur. Tout ce qu’Il fait est bon, son action de création est bonne ! En méditant ce récit de la guérison de ce sourd-muet, nous constatons à quel point les hommes de ce territoire attendaient le Messie, même sans le savoir. Ils demandent la guérison, ils proclament les merveilles du Seigneur. Ce Dieu qui les a créés, ils ne Le connaissent pas encore, mais ils ont vu sa puissance à l’œuvre.
L’Église a repris dans la liturgie du Baptême cette parole de Jésus : « Ephata, c’est-à-dire “ouvre-toi” ! » Elle est dite comme Jésus l’a prononcée, en touchant la bouche et les oreilles du futur baptisé ; et en demandant au Seigneur d’ouvrir ces organes afin que la Parole puisse les traverser. Le sourd-muet est celui qui n’a pas de communication avec les autres. Il ne peut pas parler, partager ce qui l’habite ; il ne peut pas non plus écouter la parole de ses frères, et, de manière plus profonde, il semble privé aussi de la Parole de Dieu. Symboliquement, à cause du péché qui nous endurcit, nous sommes tous des sourds-muets ! Nous ne savons pas écouter, la Parole ne parvient pas jusqu’à notre cœur ; et nous ne faisons pas confiance, nous ne savons pas louer le Seigneur et annoncer son Amour à nos frères. C’est pourquoi la grâce du Baptême comporte cette ouverture des oreilles et de la bouche, qui signifie l’ouverture du cœur et l’entrée de l’Esprit de Dieu. C’est aussi la prophétie d’Ézéchiel [36,26] : « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. Je vous donnerai un cœur de chair ».
Ainsi, Jésus re-crée ce sourd-muet en le guérissant ; et nous, au baptême, nous avons été re-créés à l’image de Jésus : nous sommes une Création nouvelle, délivrée du mal et de la mort. À notre époque où beaucoup de personnes se mettent en route vers le Baptême, il est bon de savoir témoigner de ce que nous avons reçu quand nous avons été baptisés ! L’Apôtre saint Jacques nous disait tout à l’heure [deuxième lecture] : « Dieu a choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde, pour en faire des riches dans la foi et des héritiers du Royaume ». C’est cela notre infinie richesse : avoir été renouvelés dans la grâce du Baptême : nous devons vivre en hommes nouveaux, et savoir partager cette vie nouvelle qui nous est donnée.
Le don qui nous est fait est celui de l’Esprit saint. L’Évangile nous dit que Jésus, en guérissant le sourd-muet, « soupire » : c’est une manière de parler du souffle de Dieu, cet Esprit donné au Baptême. De la même manière, après sa Résurrection, Jésus « souffle » sur ses Apôtres [Jn 20,22] pour leur donner l’Esprit saint. C’est cet Esprit qui nous renouvelle et ouvre notre cœur, car Il nous a été donné avec abondance au jour du baptême.
Il nous reste donc à mettre en œuvre cette ouverture que le Seigneur a accomplie sur notre bouche et nos oreilles. Aujourd’hui, être quelqu’un d’“ouvert”, cela signifie souvent accepter tout et n’importe quoi, n’avoir aucune conviction, confondre le bien et le mal… Mais il ne s’agit pas d’être ouverts au mensonge ! L’ouverture qui nous est donnée est une ouverture à la Vérité, à la Parole de Dieu qui ne trompe pas, à notre vocation éternelle. Et en s’ouvrant à Dieu, on s’ouvre à l’Amour fraternel. Sommes-nous prêts à nous laisser déranger par la Parole de Dieu, par les événements imprévus ? Parfois une sollicitation, une demande inattendue (et même inopportune) peut devenir un chemin de grâces si nous accueillons ce signe du Seigneur. Que notre Baptême nous préserve de tout prévoir et tout planifier : qu’il nous renouvelle, qu’il nous garde ouverts à la présence de Dieu et de nos frères. « Ephata ! Ouvre-toi, laisse-toi re-créer par le Seigneur ! »
Dix-neuvième dimanche du Temps Ordinaire — Être transformé en Dieu
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Ce qui est toujours extraordinaire dans les enseignements de l’Évangile, c’est que ce ne sont pas des monologues. Jésus donne ses paroles avec autorité, l’Esprit saint aide les auditeurs à les comprendre et à les retenir ; mais en même temps, il y a place pour un dialogue. La parole des hommes est toujours valorisée par le Seigneur. Parfois cela nous étonne, comme lorsque Jésus interroge un malade sur ce qu’il veut. « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » [Lc 18,41], demande-t-Il à l’aveugle… comme si ce n’était pas évident ! Mais il est important pour Jésus d’entendre chacun, de permettre à chacun d’exprimer son désir ; d’écouter aussi les paroles contradictoires, pour que la Vérité de l’Évangile soit d’autant plus lumineuse. C’est le cas dans ce discours sur le Pain de Vie, que nous entendons depuis quinze jours après avoir médité sur la multiplication des pains. De temps en temps, Jésus s’arrête pour écouter les remarques des auditeurs ; et on constate qu’au début, ces observations ne sont pas très favorables pour Lui !
Les premières réponses, les premiers étonnements des gens autour de Jésus, ne viennent pas du contenu de son enseignement, mais de la personne même de Jésus. Et en un sens, ils n’ont pas tort : cet homme qu’ils connaissent bien, ce Jésus qui a souvent prié avec eux dans la synagogue de Capharnaüm (non loin de Nazareth), comment peut-Il dire : « Je suis le pain descendu du ciel » ? Que Dieu donne le pain à son peuple, c’est un bel enseignement, et personne ne peut le contredire : déjà dans la Première Alliance [Ancien Testament], il y avait de nombreux épisodes où le peuple était nourri par Dieu, depuis la manne jusqu’aux prophètes : Élie nourri par un ange dans le passage que nous avons entendu, Élisée qui multiplie la farine [2 Rois 4]… Mais cela restait un pain normal : comment croire quand quelqu’un dit : « Je suis le Pain de Vie » ?
Le pain est destiné à être mangé ; mais une personne, évidemment, personne ne la mange, sauf dans certains cultes païens. C’est donc déjà scandaleux d’entendre : « Je suis le pain ». Mais en outre, il s’agit d’une personne qu’on connaît, qu’on croit avoir cernée, dont on connaît la famille et la profession : c’est doublement scandaleux pour les gens de Capharnaüm.
En effet, il y a un vrai changement, une vraie différence, entre les récits de l’Ancien Testament et les enseignements de Jésus : et c’est cela qui met les auditeurs dans l’incompréhension. La nourriture, telle qu’elle est donnée par Dieu aux prophètes, est une nourriture “normale”, qui fortifie, mais qui n’agit que dans l’estomac… et qui finit par être évacuée naturellement. Face à ce don, l’homme est reconnaissant au Seigneur ; mais cela ne le dispense pas de travailler pour gagner son propre pain à manger.
Le Pain de Dieu, c’est autre chose ; et c’est ce que Jésus veut faire comprendre à ceux qui L’écoutent. Si l’on reçoit le Pain de Dieu qui n’est pas seulement alimentaire, mais spirituel ; si l’on reçoit, non seulement un pain, mais une Personne ; alors on reçoit en même temps une Vie qui n’est pas la nôtre. Saint Augustin faisait remarquer que quand on mange un aliment, nous l’utilisons pour notre corps, et en quelque sorte, nous le “transformons en nous-mêmes” pour nous faire grandir. Mais quand on reçoit le Pain de Dieu, c’est le contraire ! Ce n’est pas nous qui transformons le pain en nous-mêmes : c’est ce Pain – c’est le Seigneur – qui nous transforme en Lui et nous fait vivre de sa Vie. Comment pourrions-nous espérer vivre de la Vie de Dieu, comme Il nous l’a promis, sans recevoir en nous cette présence véritable de Dieu ?
Avec cette présence, avec ce Pain qui est le Corps du Christ ressuscité, nous participons à la Vie de Dieu, vie de sainteté et de lumière. « Personne n’a jamais vu le Père », vient de nous dire Jésus : mais celui qui reçoit le Pain de Dieu apprend à connaître Dieu, de manière intime et personnelle. Et en même temps, il apprend à vivre dans l’imitation de Dieu, comme saint Paul nous y encourageait [deuxième lecture] : « Vivez dans l’amour… Pleins de générosité et de tendresse… Pardonnez-vous les uns aux autres ». Le Pain de Dieu, en notre cœur, transforme en profondeur notre manière de vivre.
Jésus fait remarquer : « Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts ». En effet, il est nécessaire de manger, mais ce n’est que pour un temps. Le Pain de Dieu, le Corps du Christ, nous fait vivre d’une vie durable, d’une vie éternelle, c’est-à-dire de l’Éternité de Dieu. Si nous portons en nous un désir de Vie, alors vivons assidûment de cette présence ! La fréquentation des Sacrements n’est pas un luxe : c’est la porte de l’Éternité.
Onzième dimanche du Temps Ordinaire — Le règne de Dieu est parmi nous
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Après avoir expulsé beaucoup de démons dans le récit de saint Marc, après avoir guéri un grand nombre de personnes, Jésus commence à enseigner les foules qui Le suivent. Il utilise des paraboles bien connues, des comparaisons avec les réalités de la nature ; des paroles qui sont en même temps très simples et très subtiles. Tout est lié dans la mission de Jésus : Il n’est pas venu juste pour faire des guérisons extraordinaires, Il n’est pas venu non plus seulement pour donner des paroles de sagesse. Ses paroles expliquent ses actes, et les actions bienfaisantes donnent une dimension concrète à ses paroles : tout va ensemble. Quand nous entendons l’Évangile, nous connaissons Jésus de mieux en mieux, dans tous les aspects de sa vie et de sa mission.
Avec les paroles que nous venons d’entendre, Jésus commence donc à donner leur sens profond aux signes qu’Il accomplit. Et ce sens, nous l’avons entendu deux fois, c’est le règne de Dieu [« Le règne de Dieu est semblable à… »]. Jésus est venu annoncer, instaurer, donner aux hommes, le règne de Dieu (ou bien le Royaume de Dieu, selon les traductions). C’est un point central de son enseignement et de sa mission : ce que nous recherchons comme disciples du Christ, c’est ce Royaume où Il règne à la droite de son Père. Nous héritons du désir du peuple d’Israël, qui attendait le rétablissement du royaume de David, dont le vrai Roi était Dieu. Et à la fin de l’année, quand nous célébrons le Christ Roi, nous nous rappelons que notre Espérance est toute tournée vers ce Royaume.
Mais qu’est-ce que ce Royaume de Dieu ? Jésus nous invite à le rechercher… en sachant de quoi il s’agit. Ce n’est pas un lieu : c’est un état, une situation où Dieu règne ; et parce que le Dieu d’Amour règne, le Royaume de Dieu est synonyme de joie, de paix, d’amour éternels. D’ailleurs, l’Évangéliste saint Jean n’emploie pas ce terme de « règne de Dieu » : il parle tout simplement de « Vie », ou de « Vie éternelle ».
On peut se dire que le monde dans lequel nous vivons est encore bien éloigné du règne de Dieu : ce n’est pas Dieu qui y règne, mais plutôt le péché, la guerre, la violence. Alors de manière naturelle, nous repoussons le Royaume à la “fin des temps”, ou au moins après notre mort. C’est ce que saint Paul a l’air de nous dire [deuxième lecture] : « Nous demeurons loin du Seigneur, nous cheminons dans la foi ; et nous voudrions quitter la demeure de ce corps pour demeurer près du Seigneur ». Pour arriver dans le Royaume de Dieu, il faut passer par la mort ; et après avoir comparu devant le « Tribunal du Christ », nous dit encore saint Paul, nous verrons le rétablissement de toute justice, la destruction du péché, la punition des méchants. Il est bien naturel d’espérer cela, car nous souffrons de tant de situations injustes, du mal, des abus, des emprises, de l’égoïsme (dont nous sommes aussi complices). Oui, nous attendons que le Seigneur règne définitivement ; car si ce n’est pas Lui qui règne, c’est l’injustice et le péché qui dominent.
Mais l’essentiel de la foi en Jésus, c’est aussi que nous n’avons pas seulement à “attendre” le règne de Dieu. Jésus n’en parle pas au futur, mais au présent : le Royaume de Dieu est « tout proche » [Mc 1,15], il est déjà « au milieu de nous », comme Il le dit ailleurs [Lc 17,21]. Puisque le Fils de Dieu est venu parmi nous, cela signifie que notre monde est déjà sanctifié, qu’il fait déjà partie du Royaume. Jésus a opéré le Salut des hommes par sa mort et sa Résurrection : nous sommes déjà ressuscités avec Lui, déjà sauvés, déjà délivrés, le Royaume est parmi nous ! Les paraboles employées dans l’Évangile sont claires : comme la graine qui germe lentement, discrètement mais avec force, le Royaume se dévoile. C’est encore une petite graine, mais elle prend de plus en plus de place pour révéler la puissance de Dieu.
Cependant, même si la venue du règne de Dieu est proche et certaine, Jésus nous pose quand même la grande question : êtes-vous prêts à accueillir mon règne ? Voulez-vous vraiment que le Seigneur règne sur vous ? Que faites-vous aujourd’hui pour préparer, et même pour habiter ce Royaume ? Laisser le Seigneur régner sur nous, c’est écouter sa Parole ; c’est accepter que sa volonté se fasse, non pas la nôtre ni nos petits caprices. Pour que le Seigneur règne, renoncer à nos propres règnes confortables et égoïstes… Laisser la graine du Seigneur germer ; ne pas être des “mauvaises herbes” qui cachent l’éclosion du bon grain du Royaume de Dieu.
Le Seigneur nous invite donc non pas seulement à attendre, mais à vivre chaque jour dans la certitude du règne de Dieu. Avec sa grâce, avec la force de la prière, nous sommes déjà vainqueurs des “mauvaises graines” et nous pouvons nous comporter comme des héritiers du Royaume : règne de paix, d’amour et de joie.
Dixième dimanche du Temps Ordinaire — Jésus seul est vainqueur
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
En ce dimanche, après les fêtes qui ont suivi la Pentecôte, nous voici revenus aux dimanches du « Temps Ordinaire », c’est-à-dire à la couleur verte [couleur des ornements de la messe], couleur de l’Espérance qui nous guide. Ces dimanches « ordinaires », en fait, n’ont rien d’ordinaire : ils doivent nous permettre de développer les dons extraordinaires de l’Esprit saint dans notre vie quotidienne. Saint Paul nous rappelait tout à l’heure que « ce qui ne se voit pas est éternel […] Nous avons un édifice construit par Dieu, une demeure éternelle dans les cieux » : c’est vers cette demeure éternelle que nous cheminons paisiblement. Et le Seigneur nous donne son Esprit pour nous rappeler sa fidélité et ses promesses ; pour faire grandir notre Espérance ; et pour nous guérir, jour après jour, du mal et du péché.
Or c’est justement la question du mal qui nous est proposée en ce dimanche. À partir des actes de Jésus, notamment les guérisons, l’Évangile parle des démons, du « chef des démons », de Satan. C’est une réalité qu’on oublie parfois : il nous est bon de nous rappeler que nous vivons une lutte entre le bien et le mal, et que mystérieusement, certaines créatures de Dieu ont choisi le mal [c’est-à-dire le refus de Dieu].
Dans l’Évangile de saint Marc, au moment où nous lisons ces paroles, Jésus vient d’appeler les Douze : donc de donner à certains la mission de témoigner. Il rassemble les foules, Il guérit de nombreux malades, et tout le monde en est étonné. Qui est cet homme qui parle et agit de manière complètement inattendue ? Pourquoi agit-il ainsi ; au nom de quoi (ou de qui) ce Jésus peut-il avoir une telle puissance ? Cette question : « Qui est Jésus ? », traverse tout l’Évangile jusqu’à nous. Saint Marc nous rapporte même la solution facile, qui consiste à penser que Jésus est fou ! [« Les gens de chez lui affirmaient : “Il a perdu la tête.” »] ; mais d’autres, de manière plus sérieuse, affirment que Jésus est du côté du Mal [« Il est possédé par Béelzéboul »].
Ces événements nous obligent à faire un choix, à prendre parti (aujourd’hui comme hier). Qui est Jésus, quel est son rôle dans l’histoire de l’humanité ? Est-Il venu pour sauver les hommes, ou bien est-ce une illusion ? Certains, aujourd’hui encore, pensent que Jésus est plus ou moins un mythe, et que la religion chrétienne n’a rien apporté au monde. Alors être chrétien, cela revient-il à être toujours du mauvais côté, ou même à être complètement fou, à avoir « perdu la tête » ?
En réalité, il y a toujours cette question qu’on ne peut éviter : la question du mal et de la souffrance dans le monde. Cela existe bien évidemment, et nous devons y réfléchir. Comment pouvons-nous vaincre le mal ? Qui nous sauvera du mal ? Réussirons-nous à être plus forts que la violence, la haine, le mensonge ? Nous devons aussi faire attention à ne pas toujours rejeter le mal sur les autres, ni à diviser le monde entre les “gentils” et les “méchants” [tentation fréquente dans les périodes d’élections comme ce dimanche !]. La Parole de Dieu nous invite à revenir aux sources du mal, comme nous l’avons entendu dans le récit si important du Livre de la Genèse [première lecture]. Le mal ne vient pas, bien sûr, d’un péché de gourmandise envers le « fruit de l’arbre » ! Le mal vient de la méfiance envers le Seigneur ; l’homme et la femme ont cru que les paroles du Seigneur étaient arbitraires et inutiles. Alors ils se séparent de Dieu, et introduisent la discorde et l’hostilité dans leur vie. Qui viendra donc pour sauver l’humanité, pour réconcilier l’homme avec son Dieu ? Jésus seul peut nous réconcilier : parce qu’Il est dans une relation de confiance totale avec son Père, Il nous apprend à rejeter la méfiance, à avoir confiance dans l’Amour de notre Père.
Il s’agit donc de faire le bon choix, de choisir le Christ comme seul Sauveur ; de décider de Le laisser agir, de recevoir sa puissance dans notre vie pour lutter contre le mal. Tout mal, tout péché peut être vaincu par la Miséricorde du Seigneur : Jésus le dit Lui-même : « Tout sera pardonné aux enfants des hommes, tous les péchés ». Le Sauveur guérit aujourd’hui par sa puissance, comme Il guérissait autrefois les malades et les possédés. La seule chose qui soit au-dehors du pardon, ajoute Jésus, c’est le mystérieux « blasphème contre l’Esprit Saint » : c’est-à-dire le rejet résolu de l’Amour de Dieu. Mais si nous faisons confiance au Seigneur, si nous voulons recevoir sa Miséricorde, rien ne peut nous décourager : nous continuons notre chemin, certains de la Victoire du Seigneur, jusqu’à la « demeure éternelle dans les cieux » qui nous est promise. Faisons confiance à Jésus, Il n’est ni fou ni possédé du démon ! Il est notre seul Sauveur.
Septième dimanche de Pâques — La foi pour tous les temps
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Nous voici au cœur d’une période très spéciale dans l’année, celle qui sépare l’Ascension et la Pentecôte. Le Seigneur Jésus a été élevé vers le Père, Il nous donne l’espérance de Le rejoindre ; et en même temps, Il nous promet le don de l’Esprit saint pour nous accompagner chaque jour. C’est un don de Dieu, nous n’avons rien fait pour “mériter” de recevoir l’Esprit saint ; et pourtant, il s’agit de Le demander et de nous préparer à sa venue. C’est la prière qui traverse ce temps, et que nous redirons au jour de la Pentecôte : « Viens, Esprit Saint, viens remplir nos cœurs ! ». Le Seigneur préserve notre liberté, Il ne veut rien faire sans notre consentement ; mais en même temps, Il veut nous “bousculer” par la présence de son Esprit en nous. Ces quelques jours doivent donc être pour nous l’occasion de reprendre conscience que « sans Lui, nous ne pouvons rien faire » [Jn 15,5] : quoi que nous fassions, nous avons à demander sa présence pour que notre action soit féconde. En toute circonstance : quand nous rencontrons quelqu’un, quand nous prions, quand nous parlons, quand nous essayons de résoudre un conflit…, il s’agit toujours d’invoquer l’Esprit pour Lui demander sa force et sa grâce. Avoir foi en Lui qui agit aujourd’hui !
Dans le Credo, nous disons que Jésus est monté aux cieux, et puis que nous croyons au Saint-Esprit : c’est Lui qui accomplit dans le monde la mission que Jésus avait initiée quand Il était parmi nous : mission de guérir et de sanctifier les hommes. L’Esprit saint agit surtout dans l’Église, et c’est comme membres de l’Église que nous manifestons notre confiance en Lui. Dans la première lecture, nous avons vu l’épisode où les onze Apôtres cherchent à remplacer Judas ; c’est un magnifique exemple de la foi de l’Église, qui fait entièrement confiance à l’action de l’Esprit. De manière très parlante, les Onze utilisent un moyen qui peut nous étonner, mais qui est finalement un signe de confiance : ils tirent au sort. C’est la manière la plus claire de laisser le Seigneur agir ! Naturellement, ce geste est précédé par une attitude de prière fervente : car il faut d’abord demander au Seigneur sa grâce. Nous voyons donc ici l’Église en prière, l’Église qui invoque l’Esprit saint, l’Église qui se renouvelle par la force de l’Esprit et qui continue sa mission.
C’est cette même attitude que le Seigneur nous demande en cette fin du temps de Pâques, et plus encore après la Pentecôte : une attitude de confiance, de foi. Nous avons vécu une période pleine d’émerveillement, pleine d’Alléluias… et puis il faudra revenir à la vie quotidienne, au “Temps Ordinaire”. C’est là que le Seigneur nous attend, dans la foi de chaque jour, pour sanctifier nos tâches quotidiennes. L’Église ne vit pas toujours des choses extraordinaires, mais si nous nous laissons guider par la foi et par l’Esprit saint, nous vivons paisiblement notre vocation dans l’Église, et nous portons du fruit pour tous les hommes.
Avoir une attitude de foi au quotidien, c’est donc cela qui doit nous guider, c’est cela qui transforme notre cœur et le monde autour de nous ; et c’est l’Esprit saint qui suscite et fortifie cette manière de vivre. Avoir la foi, garder la foi, c’est un travail de chaque jour ! Alors comment vivre cette foi, de manière à être transparents à l’action de l’Esprit saint ?
Saint Jean, dans sa première Épître [deuxième lecture d’aujourd’hui], nous donne des éléments essentiels pour que nous soyons à l’écoute de l’Esprit, et pour que notre foi soit vivante. D’abord, il nous invite à la confiance en Dieu : c’est l’essentiel. « Nous demeurons en lui, et lui en nous : il nous a donné part à son Esprit ». Cette confiance nous a été montrée par Jésus dans l’Évangile de ce jour, quand Il se tourne vers son Père : « Père saint… Je viens à toi ; tu m’as envoyé dans le monde ». La confiance de la foi, c’est chercher à faire la volonté du Père en toute circonstance. Connaître le Seigneur, L’écouter, vivre de Lui : voilà l’essentiel de la foi.
Ensuite, la foi n’est pas vivante si elle n’est pas vécue dans l’Amour, la charité qui s’étend à tous les hommes : là encore, saint Jean nous invite à une complète transparence : « Dieu nous a tellement aimés : nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous ». Une foi vivante est rendue active par la charité, à l’imitation du Seigneur Lui-même.
Enfin, la foi est lumineuse aux yeux des hommes : « Celui qui proclame que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu ». Notre foi doit être proclamée sans honte, c’est le témoignage essentiel dont le monde a besoin.
Demandons donc au Seigneur son Esprit saint pour que nous vivions dans une foi vive, dans une confiance totale, dans un amour fidèle. L’Esprit saint agit dans l’Église, Il doit agir visiblement à travers chacun de nous ; afin que les hommes connaissent Dieu, et que l’Amour de Dieu se répande dans le monde !
Ascension du Seigneur — Attente et présence
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures de cette grande fête.
« Jésus s’est présenté vivant aux Apôtres après sa Passion […] pendant quarante jours, Il leur est apparu et leur a parlé du royaume de Dieu ». Ce que rappelle saint Luc au début du Livre des Actes des Apôtres [première lecture], cela s’accomplit aujourd’hui, au jour de l’Ascension. Nous sommes quarante jours après la fête de Pâques, et pendant ce nombre de jours symbolique, Jésus a accompagné ses Apôtres. Tout comme le Seigneur avait accompagné les Hébreux au désert pendant quarante ans, le peuple de Dieu s’est préparé pendant quarante jours à accomplir sa nouvelle mission : être témoin dans le monde de l’Alliance du Seigneur.
Mais voilà que Jésus semble désormais s’absenter. Il s’élève aux cieux, et ses Apôtres restent tout désemparés devant ce départ : au point que des envoyés de Dieu leur rappellent que Jésus reviendra. La première réaction en ce jour de l’Ascension, c’est l’incompréhension. Ceux qui ont cru en Jésus, qui avaient déjà traversé douloureusement sa Passion et sa mort, qui avaient été comblés de joie par sa Résurrection… voilà qu’à nouveau ils vivent la séparation ! À première vue donc, l’Ascension est un jour de tristesse. Mais en même temps, et surtout, la communauté des croyants entre dans l’attente : Jésus les a avertis qu’ils auront à attendre l’accomplissement d’une nouvelle promesse, celle du don de l’Esprit saint.
Le premier aspect de cette fête est donc l’Espérance. Ne quittez pas Jérusalem, restez là, attendez la promesse de Dieu : vous serez comblés de joie. Sur le moment, vous serez désemparés, vous ne comprendrez pas la raison de cette absence, vous ne serez pas encore convertis à l’Évangile ; mais vous recevrez la force nouvelle de l’Esprit saint. Nous-mêmes aujourd’hui, nous traversons les mêmes questionnements : Jésus a parfois l’air absent de notre monde, Il n’est pas visible. Nous voulons être ses disciples dans le monde d’aujourd’hui, mais où est-Il, notre Sauveur ? Pourquoi y a-t-il encore des tristesses, des conflits, des maladies ? Nous avons besoin de recevoir, comme les Apôtres, l’Espérance qui vient de Dieu. Les neuf jours qui séparent l’Ascension de la Pentecôte [qui sont à l’origine de la pratique de la neuvaine] symbolisent notre condition actuelle : en même temps certains de la promesse du Seigneur, mais aussi affligés parce que le Seigneur est encore absent de la vie de beaucoup de nos proches. Nous espérons, parce que le Seigneur a promis de revenir, de nous donner son Esprit, de rétablir la justice et l’Amour dans le monde ; ne perdons jamais la foi et l’Espérance !
Le second aspect de cette fête de l’Ascension, c’est que le Seigneur veut nous combler de ses dons : ce que rappelle saint Paul [deuxième lecture] en citant le Psaume [68(67),19] : « Il est monté sur la hauteur, il a fait des dons aux hommes ». Si Jésus est parti, ce n’est certainement pas pour nous abandonner ni pour nous laisser orphelins ! C’est pour que sa présence soit de plus en plus réelle (mais différente). Rappelons-nous ce qu’Il avait promis avant sa Passion : « Si je ne m’en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai. » [Jn 16,7].
Il y a un rapport mystérieux entre le départ de Jésus et l’envoi de l’Esprit saint. Lorsque Jésus était avec ses disciples, c’était une situation rassurante car ils L’avaient “avec eux” ! Mais qu’en était-il des autres hommes, de ceux qui n’étaient pas là avec Lui en Galilée ; et qu’en est-il des hommes des autres époques, des milliards de personnes qui n’ont eu aucune possibilité de rencontrer Jésus ? Désormais, il y a une présence différente, qui est symbolisée par le « Ciel », où Jésus est « assis à la droite de Dieu » : Il n’est plus là, mais Il est maintenant partout, dans le monde entier et au plus profond du cœur de chaque personne. On peut désormais être disciple de Jésus sans l’avoir rencontré : par la foi, par le don de l’Esprit saint, par les Sacrements, le Seigneur se rend présent aujourd’hui, aussi réellement qu’Il était présent avec ses disciples, dans la familiarité de la vie quotidienne. Les dons que le Seigneur nous fait, dit saint Paul, c’est aussi l’ensemble des vocations dans l’Église : « Les fidèles sont organisés pour que se construise le Corps du Christ ». Être croyant aujourd’hui, c’est être disciple de Jésus dans l’Église, dans l’universalité du peuple de Dieu, où les dons sont distribués pour le bien de tous : « Apôtres, évangélisateurs, pasteurs… ».
En ce jour de l’Ascension, comme les Apôtres, nous « regardons vers le ciel » ; et nous y voyons déjà la Grâce de Dieu à l’œuvre. Cette fête est un jour de joie, car les promesses de Dieu s’accomplissent : les disciples « ont proclamé l’Évangile à toute la création », les hommes ont reçu l’Esprit de Dieu. Dans l’Église, Jésus ne s’absente pas : Il est au centre de nos vies !
Deuxième dimanche de Pâques — Les fruits de la Résurrection
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Nous voici à l’octave de la Résurrection, c’est-à-dire au huitième jour depuis que le Seigneur a vaincu la mort. C’est pour cela que nous avons entendu cet épisode important de l’Évangile selon saint Jean : celui qui se passe « huit jours plus tard », avec le dialogue bien connu entre Jésus et saint Thomas – celui qui « ne croit que ce qu’il voit ». On se sert parfois de ce passage pour expliquer que nos contemporains aient du mal à croire en Jésus… Mais c’est trop souvent une mauvaise excuse qui justifie un manque de confiance ! En réalité, Thomas est surtout celui qui s’engage pleinement à la suite de Jésus ; un homme courageux qui proclame sa foi sans revenir en arrière : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ».
Huit jours après la Résurrection, dans la joie de Pâques, nous sommes appelés nous aussi à faire cette proclamation : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » ; non pas seulement par des paroles, mais par toute notre vie, comme saint Thomas. La Résurrection doit porter du fruit et transformer la manière dont nous vivons.
À quoi sert-elle, cette Résurrection ? Si elle ne change rien pour nous, elle n’a pas de sens. Est-elle juste un prodige extraordinaire, pour montrer à tous les peuples que Jésus est “le plus fort”, et qu’on a raison de croire en Lui ? Ou bien est-elle seulement une manière de faire en sorte que l’histoire de Jésus se “termine bien”, comme dans un film d’action ? Après une situation désespérée, le héros semble mort… et puis finalement il revient et gagne le combat contre ses ennemis. Est-ce juste cela, la Résurrection, une manière de dire : « Tout est bien qui finit bien » ?
Si la Résurrection nous est donnée (et si elle est au centre de la foi en Jésus-Christ), ce n’est pas pour rester un fait isolé : c’est pour porter du fruit pour ceux qui croient en Lui. Porter du fruit dans notre vie actuelle, et au-delà, dans la Vie éternelle. La Résurrection est advenue pour briser la limite entre la vie, la mort, et la Vie en Dieu. Puisque nous sommes « baptisés dans la mort et la Résurrection de Jésus » [cf. Rm 6,4], notre vie est déjà victorieuse de la mort, et nous sommes déjà entrés dans l’Éternité. Si Jésus est ressuscité, c’est pour que nous soyons nous-mêmes ressuscités : notre vie éternelle commence dès maintenant. En Dieu, aujourd’hui, nous recevons déjà ce qui nous fera vivre éternellement : l’Amour, la réconciliation, le pardon, la fermeté dans la foi.
Cette présence de Dieu dans notre vie, c’est aussi le thème de ce deuxième dimanche de Pâques : le dimanche de la Divine Miséricorde (qui a été voulu comme un thème central par le saint pape Jean-Paul II). La Miséricorde de Dieu, c’est bien plus qu’une simple gentillesse ou une sollicitude du Seigneur : c’est la force suprême de la Victoire du Christ sur la mort. La force de la Miséricorde dépasse toutes nos certitudes humaines (comme celles de saint Thomas) ; elle dépasse nos manières de penser, nos idées, et même notre conception de l’amour.
La Victoire totale du Christ ne passe pas (comme on imagine une victoire) par l’écrasement des ennemis, des méchants et des impies : la Victoire de la Miséricorde, c’est un surcroît d’Amour qui est plus grand que le Mal. C’est cela le centre de notre foi : la Résurrection apporte une lumière qui n’éblouit pas, qui n’agresse pas ; mais qui éclaire et qui invite avec douceur à la conversion du cœur. Le fruit de la Résurrection, c’est cette douce Miséricorde qui nous fait déjà entrer dans l’Éternité de l’Amour de Dieu. Elle porte du fruit, par exemple dans la première communauté chrétienne telle que nous l’avons entendue dans les Actes des Apôtres [première lecture] : « Ceux qui étaient devenus croyants avaient un seul cœur et une seule âme ; ils avaient tout en commun ; une grâce abondante reposait sur eux tous ». Le fruit de la Résurrection, c’est une fraternité nouvelle et sans limites ; c’est la victoire de la Miséricorde sur l’avarice, sur l’égoïsme et l’individualisme.
En ce dimanche après Pâques, nous sommes donc invités à raviver en nous les sources du Baptême que nous avons reçu : ce Baptême qui nous a fait mourir au péché, ressusciter avec Jésus, et vivre dans la Miséricorde. Nous sommes victorieux une fois pour toutes par le Christ ressuscité ; nous vivons déjà dans l’Éternité avec le Seigneur. Prions surtout pour les néophytes, ces nouveaux baptisés de Pâques dont le nom signifie « nouvelles plantes » : qu’ils prennent toujours plus conscience qu’ils ont été renouvelés par la Résurrection, qu’ils sont vainqueurs du péché par la Miséricorde de Dieu. Que la Vie de Jésus ressuscité porte du fruit pour tous les baptisés !
Cinquième dimanche de Carême — Contempler Dieu dans son Amour
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Avec le cinquième dimanche de Carême, nous entrons dans une “nouvelle phase” de notre cheminement : le temps de la Passion, qui nous conduira bien sûr au Jeudi saint, au Vendredi saint, jusqu’à la Résurrection du Seigneur. Après avoir choisi depuis quatre semaines d’être des disciples, nous tournons notre regard vers Celui qui va être rejeté par les hommes, souffrir et mourir pour notre salut. Avec nos efforts de purification intérieure, nous espérons que notre regard est plus clair pour comprendre la signification des événements de la Semaine sainte. Les prières de la Messe sont désormais orientées de manière plus explicite vers ce temps de la Passion qui va commencer.
Ce que nous avons cultivé pendant ce Carême, c’est d’abord notre relation à Dieu. Pour entretenir une relation, évidemment, il faut être deux, et le vouloir ensemble ! [Les fiancés qui sont parmi nous le savent bien.] Quand nous parlons de relation avec Dieu, il y a donc cette volonté de dialoguer : de la part de Dieu, et de notre part. D’abord, il y a le Seigneur qui se penche vers nous, avec tout son Amour, pour nous sauver et nous faire grandir dans notre vocation d’hommes et de femmes. L’initiative vient de Lui ; mais nous ne sommes pas passifs dans cette relation. Au plus profond du cœur de l’homme, il y a la soif de connaître Dieu, le désir de comprendre le sens de notre vie. Qui est ce Dieu qui nous donne la vie et qui conduit le monde ? C’est la demande faite aujourd’hui, dans l’Évangile, par « quelques Grecs qui étaient montés à Jérusalem » : « Nous voudrions voir Jésus », disent-ils à l’Apôtre Philippe. C’étaient sans doute des Grecs qui croyaient au Dieu d’Israël ; mais ils avaient été élevés dans la philosophie grecque, donc dans la recherche de la Vérité. Alors ils veulent voir Dieu, et connaître la Vérité !
Mais comment faire la rencontre de ce Dieu si mystérieux ? Dans la tradition grecque, on trouve donc Dieu dans la sagesse et la vérité. Mais il y a d’autres traditions de par le monde. Au début de son Histoire, l’homme a essayé de trouver Dieu dans les éléments naturels : le soleil, la foudre, la mer… il a ainsi créé le polythéisme. Il a aussi cherché Dieu dans la puissance ; et les pharaons, les rois, les empereurs, sont devenus des dieux ! Ou encore, il a cherché Dieu dans la méditation, dans l’intérieur de son âme : ce sont toutes les traditions orientales, le bouddhisme etc.
Mais que répond l’Évangile à cette demande de voir Dieu ? Nous chrétiens, disciples de Jésus, comment pouvons-nous voir Dieu ? Jésus donne une réponse inattendue : Il annonce sa Passion. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit ». Ce qu’Il annonce, c’est qu’Il va mourir et que cette mort va « porter du fruit ». Il ajoute aussi, car Il partage notre fragilité humaine, qu’il est « bouleversé » devant ce qui va arriver.
Si nous voulons rencontrer le Seigneur, il ne faut donc pas le chercher ailleurs : ni dans la puissance ni dans des idées ésotériques… Là où Dieu se révèle, c’est dans le don d’Amour que Jésus fait de sa vie. Dans une dizaine de jours, sur la Croix, nous verrons Dieu dans ce qu’Il a de plus intime : son Amour pour les hommes. On ne connaît quelqu’un que par l’amour qu’il partage [et là encore, les fiancés le savent très bien !]. Le Seigneur se donne à connaître par la Croix : c’est en donnant sa vie pour nous, que Jésus nous montre vraiment qui est Dieu. Bien sûr, dans l’Évangile nous voyons aussi Jésus faire des guérisons, annoncer le Royaume de Dieu ; mais c’est sur la Croix que nous entrons vraiment dans le Mystère du Dieu qui est Amour.
C’est pour cela que le temps de la Passion, qui va commencer, est le moment le plus important de toute l’année. En voyant Jésus donner sa vie, nous comprenons le sens de notre vie, qui est orientée vers le don et l’amour. Sur la Croix, comme Il le dit, « j’attirerai à moi tous les hommes » ; afin que chacun sache comment vivre et comment aimer.
Ainsi, nous avons vu Dieu ! Le désir de notre cœur est satisfait en voyant Jésus, « le grain de blé qui meurt et porte du fruit ». Avec Jésus, nous pouvons avancer dans la vie, faire des projets, prendre des décisions, puisque nous connaissons Dieu et nous savons où nous allons. Le Seigneur nous communique son Amour, non pas par des commandements, mais par l’intérieur de notre cœur, comme le disait tout à l’heure le prophète Jérémie : « Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple ».
Préparons-nous donc au temps de la Passion ! Le Seigneur va se donner à voir, Il va nous révéler qui nous sommes et à quoi nous sommes appelés : comme Jésus, aimer jusqu’à donner sa vie.
Troisième dimanche de Carême — Ne pas profaner le Temple de Dieu !
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
« Jésus connaissait ce qu’il y a dans l’homme », nous dit l’Évangile. Jésus connaît notre cœur, nos tentations, nos difficultés, nos péchés, nos efforts pour faire le bien… Lui seul nous connaît entièrement, c’est pourquoi nous pouvons Lui faire entièrement confiance. Celui qui nous juge, qui nous jugera à la fin, ce n’est pas quelqu’un d’extérieur : c’est Lui qui demeure en nous par son Esprit, qui nous connaît ; et qui nous aime tellement, qu’Il a donné sa vie pour nous. Dimanche après dimanche en ce Carême, notre confiance doit grandir ; en rejetant le péché, c’est la Miséricorde du Christ qui entre progressivement dans notre vie.
Jésus est « doux et humble de cœur » [Mt 11,29] et nous pouvons Lui faire confiance. Et pourtant, dans l’épisode de l’Évangile d’aujourd’hui, Il n’est pas tellement doux : Il se met en colère (ce qui est rare), Il est même violent (ce qui est encore plus rare !) en se faisant « un fouet avec des cordes » et en chassant du Temple les marchands et les changeurs. Nous devinons que si Jésus se comporte ainsi, c’est qu’il se passe quelque chose d’exceptionnel : quelque chose de très grave, qui justifie ces actions étonnantes. Que se passe-t-il ? Le Temple de Jérusalem est le lieu le plus sacré, le lieu où Dieu a choisi d’habiter, et ce lieu sacré est profané par les marchands, qui font leurs petites affaires et ne sont plus conscients de la présence redoutable de Dieu.
C’est pourquoi Jésus n’hésite pas à se montrer violent : parce que l’enjeu est immense. Ce Temple, qui est consacré à Dieu, n’est plus disponible aux petites préoccupations (et au commerce) de l’homme. Ce qui est consacré est signe, et doit le rester : signe de la présence de Dieu, signe de l’Alliance que Dieu a voulu conclure avec les hommes. Ce signe ne doit pas disparaître derrière les pièces de monnaie, les brebis et les bœufs ! Le Temple est le lieu où Dieu habite, le canal par où Dieu communique avec les hommes. Si l’on brise cette consécration, si l’on profane le Sanctuaire, alors Dieu ne peut plus venir vers les hommes ; les hommes n’entendent plus la voix du Seigneur, ils n’ont plus d’Espérance et ne comprennent plus le sens de leur vie. Sans la présence de Dieu, l’homme se perd dans le désespoir.
Le Temple de Jérusalem était donc ce “lien” entre la terre et le ciel, le chemin par lequel Dieu et l’homme entrent en dialogue. Jésus lui reconnaît ce rôle essentiel. Mais Il va plus loin, car désormais il y a un nouveau Temple, un nouveau Sanctuaire. Dans l’Évangile, par la Passion du Christ, le Temple de Jérusalem est périmé : saint Matthieu rapporte que lors de la mort de Jésus, « le rideau du Temple se déchire de haut en bas » [27,51], signe que Dieu n’habite plus dans le Sanctuaire. Le vrai Temple où Dieu habite, c’est maintenant le Corps de Jésus, celui qui sera « détruit et relevé en trois jours ». Le signe de la consécration à Dieu, le vrai Temple, le lien entre la terre et le ciel, c’est Jésus : en Lui se trouve toute notre Espérance, notre dialogue avec Dieu.
Mais le Corps de Jésus, c’est aussi le nôtre : nous aussi, nous sommes consacrés pour être le Temple de Dieu, comme l’écrit saint Paul : « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous » [1Co 3,16-17]. C’est par notre baptême que nous sommes consacrés à Dieu pour être les temples de sa présence ; nous avons la mission d’être les signes de Dieu, les liens entre la terre et le ciel. Notre vie est celle de tout le monde, “les pieds sur terre”… mais le cœur déjà dans le Royaume de Dieu ! Notre manière de vivre doit être signe pour les hommes, comme le Temple était signe de la présence de Dieu.
Ce temps de Carême nous permet donc de nous rappeler que nous sommes consacrés ; en lien avec ceux qui, à Pâques, seront à leur tour consacrés à Dieu par le baptême. L’exigence du Carême, c’est de ne pas nous laisser profaner par le péché. Comme le Temple de Jérusalem, les chrétiens sont en même temps tournés vers Dieu et vers les hommes ; l’amour fraternel a sa source dans la Miséricorde de Dieu. Mais si au lieu de se tourner vers Dieu, on se tourne vers soi-même (vers son propre égoïsme, ses caprices, ses pulsions), alors on ne peut plus être tourné vers les autres. C’est ce que nous disaient les Dix commandements [première lecture] : se recentrer sur la présence de Dieu, L’adorer, Lui seul, c’est la condition pour faire le bien autour de nous.
Nous sommes le Temple de Dieu, le Temple de l’Esprit, consacrés à Dieu : notre vocation n’est pas d’être une « maison de commerce », mais d’être des adorateurs. Comme le Temple, comme Jésus Lui-même, nous sommes appelés à rendre gloire à Dieu ; et à transmettre aux hommes l’Amour qui vient de Dieu. Soyons pour nos frères les signes de la présence du Seigneur !
Deuxième dimanche de Carême — Au centre, la Personne du Christ
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
En ce deuxième dimanche de Carême, l’Évangile nous montre un épisode mystérieux, auquel les trois Apôtres ne comprennent pas grand-chose : celui de la Transfiguration du Seigneur, cette lumière qui illumine Jésus et montre aux hommes la Gloire de Dieu. C’est une très ancienne tradition, que d’entendre ce récit presque au début du Carême. Ainsi, nous voyons très tôt quel est le but de notre chemin : la Résurrection, la Gloire du Christ ressuscité. Si nous parcourons cette route du Carême, ce n’est pas d’abord pour nous endurcir, pour nous fortifier (ni pour nous faire maigrir !) ; ni même pour nous rendre plus gentils ou plus généreux. Le but unique du Carême, c’est de nous faire revenir au Seigneur, et de nous conformer davantage à Jésus comme notre modèle. Tout le reste, ce sont des fruits de la ressemblance à Jésus. Les catéchumènes, qui se préparent au baptême, ont le même but pendant ce Carême : imiter Jésus pour être entièrement renouvelés, conformés à son image, lorsqu’ils recevront le baptême.
Dimanche après dimanche, nous sommes donc invités à nous recentrer sur la Personne de Jésus comme source, comme récapitulation de notre vie. Être chrétien, ce n’est pas avoir de belles idées ou une grande générosité : c’est d’abord se mettre à la suite de Quelqu’un, Lui ressembler, recevoir son Amour, pour en être témoin dans le monde.
En suivant Jésus au désert en ce temps de Carême, nous nous préparons donc avec Lui à la mort et à la Résurrection. Nous avons entendu le récit de l’offrande d’Abraham, qui donne son fils unique : c’est une anticipation de l’offrande de Jésus sur la Croix. Abraham offre son propre fils, comme Dieu notre Père nous donnera son Fils unique pour le salut du monde. Cette offrande débouchera sur la Résurrection. C’est pour cela que l’étape d’aujourd’hui est importante : elle nous montre déjà la Gloire de la Résurrection, la Victoire du Christ. Mais les Apôtres, qui seront pourtant envoyés pour témoigner de la Résurrection, ne comprennent pas de quoi parle Jésus (« ils se demandaient entre eux ce que voulait dire : “ressusciter d’entre les morts” »…).
Sur ce chemin de Carême, que signifie donc “ressembler à Jésus”, “L’imiter”, “être conformé à Lui” ? Tout d’abord, parce que nous sommes baptisés, nous sommes appelés à ressembler à Jésus dans sa Résurrection. Notre vocation, c’est la Résurrection, la Gloire de Dieu, la Lumière infinie qui éblouit les disciples et les émerveille. C’est aussi l’Éternité, la réconciliation avec Dieu et avec les hommes : Jésus retrouve aujourd’hui Moïse et Élie, qui représentent les croyants, les fidèles du Seigneur depuis le début. Cet appel de tous à vivre éternellement, nous ne devons jamais l’oublier. Nous ne vivons pas seulement pour ce monde, pour notre époque : nous sommes attendus par Jésus ressuscité, pour ressusciter avec Lui. Les chrétiens ont une Espérance qui dépasse les espoirs de ce monde !
Mais ressembler à Jésus – avant de ressusciter –, c’est aussi passer avec Lui par la mort. Saint Paul, dans sa lettre aux Philippiens [3,10], nous rappelle ce chemin de manière très forte : « Connaître le Christ, éprouver la puissance de sa résurrection, communier aux souffrances de sa passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts. » Pour un chrétien, la mort de Jésus, c’est d’abord un acte d’Amour : le don de sa vie. Donc passer par la mort du Christ, c’est avec Lui, donner notre vie par amour. Notre vie tout entière – et particulièrement le temps du Carême – consiste à aimer, à donner de soi. On n’aime pas “à moitié”, en dilettante, ni à l’essai : on n’aime véritablement que jusqu’au bout, au prix de sa vie, en faisant de sa vie un don. C’est cela “se conformer au Christ”, Lui ressembler : donner sa vie par amour. En vivant ainsi, c’est déjà la Lumière de la Résurrection qui passe à travers nous.
Le Carême nous rappelle ainsi que le chemin de la vie est nécessairement un chemin d’amour et de générosité, qui peut nous faire passer par la Croix avec Jésus. Pour aimer, il faut choisir d’aimer ; renoncer à l’égoïsme et au “chacun pour soi”. Il faut donc en même temps lutter contre l’orgueil, se battre contre le mal et la tentation.
Le Carême est donc un combat pour laisser entrer en nous la Lumière de Dieu ! À l’image de Jésus, il s’agit de se laisser habiter par l’Esprit Saint, de rayonner l’Amour du Seigneur, de témoigner de la foi. Dès maintenant, comme Jésus, nous pouvons anticiper la Résurrection ; montrer aux hommes par notre amour, par notre manière de vivre, le Visage de Dieu : refléter la Lumière de Dieu.
Sixième dimanche du Temps Ordinaire — Nos maladies et la grâce du Seigneur
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
Nous voici au dernier dimanche avant que ne commence le Carême, et l’Église nous propose un récit de guérison. Or c’est justement le thème principal du Carême : la guérison que le Seigneur veut opérer en nous. Il veut que nos cœurs soient guéris, Il nous propose sa force de vie, le soulagement par rapport à ce qui entrave notre chemin vers Lui. Dans tout l’Évangile, Jésus apporte aux hommes cette force de vie, qui est la Bonne Nouvelle du Salut : c’est pourquoi comme nous l’avons entendu, « de partout on venait à lui ». Les foules affluent vers le Sauveur qui est porteur de la Grâce de Dieu et de la délivrance.
Celui que Jésus guérit aujourd’hui est affligé d’une terrible maladie, la lèpre. Dans l’Évangile, cela a un sens profond : à travers cette souffrance du malade, on reconnaît la maladie dont Jésus est venu nous guérir, c’est-à-dire le péché et la séparation de Dieu. La lèpre est comme une maladie “symbolique” : elle représente l’impureté de l’homme face à Dieu. C’est pourquoi, comme nous l’avons entendu dans la première lecture [Livre du Lévitique], la Loi de Moïse est extrêmement sévère et précise sur la manière dont les malades de la lèpre doivent se comporter. Non seulement cette maladie est contagieuse, mais elle déforme le corps humain : l’image de Dieu que l’homme porte en lui, est dénaturée. Le péché, lui aussi, déforme l’image de Dieu que nous sommes ; il nous empêche d’être pleinement ressemblants avec Jésus, et abîme notre qualité d’enfants de Dieu. En guérissant ce lépreux, Jésus affirme sa victoire sur le Mal et sur le péché.
Mais la lèpre, bien sûr, n’est pas seulement un symbole. Il s’agit d’une maladie très réelle, très concrète qui existe toujours dans le monde, et qui engendre de grandes souffrances. Nous avons d’ailleurs prié pour les malades de la lèpre, lors de la Journée mondiale des lépreux (il y a deux semaines). Et aujourd’hui, en ce dimanche de la santé (fête de Notre-Dame de Lourdes), nous sommes ramenés à cette dimension très concrète de nos maladies corporelles ; nos corps sont fragiles, précaires, nous sommes faibles et nous vieillissons… L’Évangile nous parle du péché, mais il est aussi très réaliste sur notre condition humaine : Jésus a accompagné des malades, Il a vécu des deuils, Il a souffert Lui-même dans son corps.
À travers cette dimension concrète, nous comprenons qu’il y a un lien entre la fragilité de notre corps et le péché qui nous blesse. Dans l’Évangile, Jésus guérit ensemble les corps et les cœurs ; par exemple dans l’épisode bien connu du paralytique [Mc 2,5], avant de guérir le malade, Il commence par lui donner le pardon. La maladie, la faiblesse du corps, est en relation avec la blessure du cœur qu’on appelle le péché. Naturellement, cela ne veut pas dire que les malades seraient plus pécheurs que les autres, ni que la maladie serait une punition pour les péchés ! Jésus réfute avec vigueur ce raccourci [p.ex. dans Jn 9,3, où les disciples se demandent quel péché a commis un homme pour être aveugle] : non, les malades ne sont pas frappés par Dieu pour leurs péchés. Mais mystérieusement, le péché de l’homme introduit un désordre, une séparation entre Dieu, nous, notre âme, notre corps : le corps ne nous obéit plus, il se fragilise, se dérègle, il n’exprime plus l’amour pour lequel il est destiné.
Face à cette fragilité, face à la souffrance qui en découle, on peut se révolter : si Dieu était bon et tout-puissant, il n’y aurait pas la maladie ni la mort ! Et encore, de la même manière, si Dieu était Amour, il n’y aurait pas non plus le mal, la violence et la guerre. Mais si Jésus est venu nous guérir, c’est dans notre âme et dans notre corps ; et pour cela, Il a choisi de prendre cette souffrance sur Lui. Dans l’Évangile la guérison a l’air facile : Jésus dit tout simplement : « Je le veux, sois purifié ». Mais s’Il dit cela, c’est parce qu’Il accueille en Lui cette souffrance, qu’Il la porte sur ses épaules avec la Croix. Les malades ne sont pas punis par Dieu : bien au contraire, ils sont ceux dont Jésus se fait le plus proche dans leurs souffrances.
En ce dimanche de la santé, si nous voulons être disciples du Christ, il s’agit d’imiter son attitude avec nos frères malades [cf. saint Paul dans la deuxième lecture : « Imitez-moi, car moi aussi j’imite le Christ »]. Se révolter face à la maladie d’un proche, c’est encore rester “extérieur” à la souffrance. Nous, baptisés, nous sommes invités à prendre le mal sur nous comme Jésus ; à nous faire tellement proches, que nous pouvons souffrir avec nos frères [« compassion »]. Depuis deux mille ans, l’Église transmet aux malades l’amour de Jésus ; à Lourdes, comme dans tous les lieux où on s’occupe des malades (et dans nos paroisses, par les visites aux malades et par le sacrement des malades), c’est la Grâce de Dieu qui agit continuellement sur les cœurs pécheurs et sur les corps fragiles. Soyons témoins de la Victoire de Jésus sur la maladie, sur le mal et sur la mort.
Quatrième dimanche de l'Avent — Accueillir librement la venue du Seigneur
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
C’est déjà Noël ce soir [ou demain] ! La venue du Christ est désormais toute proche, et ce dimanche nous est donné comme un “prélude” à sa naissance. La Bonne Nouvelle de l’arrivée du Messie avait été cachée pendant des siècles, nous a dit saint Paul [deuxième lecture] : ce secret de Dieu, qui nous aime jusqu’à vouloir partager notre nature, est désormais révélé aux hommes. Le Christ vient parmi nous : la joie est déjà là, car nous allons revivre cet événement avec Marie, avec Joseph, avec les bergers, les Mages, et tous les témoins qui nous ont transmis l’Évangile.
Comme dernière étape avant Noël, l’Église nous propose aujourd’hui le récit bien connu, et toujours merveilleux, de l’annonce faite à Marie par l’ange Gabriel. Ce qui semble extraordinaire dans cet épisode, c’est le contraste entre la simplicité de Marie, et l’événement qui lui est annoncé. Il s’agit d’une simple jeune fille, dans un village guère connu ; une adolescente à peine fiancée, toute pauvre, qui va devenir Mère du Roi des cieux. Et même si Marie est encore si jeune, Dieu va s’adresser à elle avec un immense respect. Les merveilles que le Seigneur veut donner au monde, Il ne les envoie pas sous la contrainte, ni en donnant des ordres : Il envoie son ange pour s’entretenir avec Marie, pour dialoguer avec elle, et pour lui demander si elle accepte la mission qui lui est confiée.
Ce qui domine dans le récit de l’Annonce, c’est la liberté de Marie. Elle pose des questions, elle veut comprendre la parole de l’ange ; et lorsqu’elle a bien saisi ce qui lui est proposé, elle répond de tout son cœur, de toute son âme : « Voici la servante du Seigneur : que tout m’advienne selon ta parole ». Si le Fils de Dieu est accueilli dans ce monde dans le sein de Marie, c’est par ce premier acte de liberté, cet acte d’amour et de confiance ; et cette liberté d’accueil vient en quelque sorte “réparer” l’acte de méfiance et de refus dont parle le livre de la Genèse dans le récit d’Adam et Ève. Le Seigneur respecte avant tout notre liberté, et Il ne veut en aucun cas nous sauver sans notre accueil et notre consentement. Tout ce que fait Marie, c’est accueillir cette annonce, accueillir en elle la présence de Dieu qui vient sauver l’humanité.
Pour participer au Salut, pour vivre de l’Amour du Seigneur, il n’y a pas besoin de faire de grandes choses : il suffit, comme Marie, d’accueillir le projet du Seigneur et de dire un vrai « oui », un « oui » sincère et libre. C’est sans doute pour cela que Noël est une fête qui ravive en nous l’esprit d’enfance, une fête destinée d’abord aux enfants : parce que l’enfant est celui qui accueille, qui ne prétend pas être plus fort que les autres, mais qui reconnaît qu’il est tout petit : il sait très bien que sans ses parents, il ne peut rien faire. Marie est bien consciente qu’elle ne doit pas sa vocation à ses propres mérites, mais au don gratuit de Dieu : elle accueille la parole de l’ange comme un petit enfant.
Le roi David [première lecture], lui aussi, a dû apprendre à ne pas mettre sa confiance dans sa puissance. Avec son or et son argent, il voulait construire une maison pour le Seigneur. Plein de bonne volonté, il se disait qu’il était assez fort pour “rendre service” à Dieu. Mais la réponse du prophète envoyé par Dieu est claire : ce n’est pas l’homme qui fait des dons au Seigneur, c’est le Seigneur qui sauve les hommes. Le roi David ne va pas bâtir un Temple pour le Seigneur ; mais Dieu va construire une « maison » pour David, ce sera sa descendance, sa royauté, la promesse qui s’accomplira en Jésus.
À la veille de Noël, le Seigneur nous invite donc d’abord à L’accueillir. Que notre fête de Noël ne soit pas habitée par des préoccupations, des soucis qui nous empêcheraient de contempler le Nouveau-né : soyons d’abord soucieux de bien accueillir le Sauveur dans un cœur pur. Si nous voulons “tout faire”, la fête sera peut-être bien préparée, mais il manquera l’essentiel. En mettant le Seigneur à la première place, cette Nuit de Noël sera transfigurée par l’Amour et la joie. Comme Marie, si nous restons “tout petits” et si nous L’accueillons librement, le Seigneur « fera pour nous de grandes choses » ! [Lc 1,49] Il a accompli sa promesse pour le roi David, pour Marie… Il veut continuer d’accomplir cette promesse pour nous. Préparons-nous à la venue du Sauveur !
Troisième dimanche de l'Avent — Joie d'être tournés vers le Christ
Avant de lire l'homélie, je médite les lectures de ce jour.
À une semaine de Noël, ce qui domine, c'est déjà la joie. On le voit par la couleur particulière de la messe de ce matin ; par la prophétie d'Isaïe [première lecture] : « Je tressaille de joie dans le Seigneur ! » ; et aussi par le conseil de saint Paul [deuxième lecture] : « Soyez toujours dans la joie, rendez grâce en toute circonstance ». Comme l'Avent est très court cette année, nous avons à peine eu le temps de nous préparer… et voici que la grande fête de Noël est déjà presque là. Notre joie à l'approche de la sainte Nuit n'est pas une joie artificielle, on n'a pas à "se forcer" à être joyeux : c'est le cœur qui parle, l'émerveillement devant l'Enfant que nous allons contempler. Plus que jamais quand vient Noël, le Royaume des cieux appartient à ceux qui ont une âme d'enfant !
Comme dimanche dernier, c'est à nouveau la figure de Jean le Baptiste qui chemine avec nous aujourd'hui : il est le prophète qui désigne le Christ aux hommes. Comme dit l'Évangéliste, « il n'est pas la Lumière », mais il rend témoignage à la vraie Lumière : la joie de Jean, c'est de rendre témoignage. Vue de l'extérieur, la vocation de Jean est assez étrange. Il semble attirer à lui des foules de gens, puisqu'il est au désert et que les gens viennent « de Jérusalem et de toute la Judée pour le voir et se faire baptiser par lui » [Mc 1,5 ; Évangile de dimanche dernier]. Il pourrait donc devenir célèbre, fameux, avoir du succès ; il pourrait rassembler autour de lui et devenir un chef spirituel, un "gourou"… mais ce n'est pas ce qu'il veut, ce n'est pas sa vocation. Les foules qui viennent à lui, il ne les garde pas : il les envoie vers « Celui qui se tient au milieu de vous », Celui qui vient et que nous attendons.
La "raison d'être" de Jean, sa joie la plus grande, c'est de conduire à Jésus. Un peu plus tard, il dira une parole très profonde : « Telle est ma joie, elle est parfaite. Lui, il faut qu'Il grandisse, et moi, que je diminue » [Jn 3,30]. Jean ne trouve pas sa joie dans la célébrité, la renommée, l'admiration : mais au contraire, il trouve son accomplissement dans la référence à Jésus. Il ne cesse d'envoyer vers le Sauveur qui vient : « Préparez le chemin du Seigneur », « c'est Lui qui vient derrière moi ».
Jean a une vocation particulière, mais pour nous tous, son exemple est une magnifique leçon de vie. Car nous non plus, notre joie ne se trouve pas d'abord dans la référence à nous-mêmes ("auto-centrés") ; mais dans la relation, dans l'orientation vers Quelqu'un. Si nous cherchons notre épanouissement en nous centrant sur notre Moi, nous nous faisons illusion, et nous finirons par nous enfermer dans le malheur égoïste. Jean nous apprend à nous décentrer pour accueillir Celui qui vient ; c'est un enseignement essentiel pour l'Avent, mais aussi pour le reste de l'année.
Ce que nous montre Jean le Baptiste, c'est en fait tout simplement l'expérience de l'Amour. On trouve sa joie – et même sa dignité – à partir du moment où l'on accepte de ne plus être le centre du monde. C'est en même temps un paradoxe (c'est le paradoxe de l'Évangile), car pour se trouver réellement, il faut accepter de perdre de vue son propre confort ; il faut arrêter de "se chercher soi-même" ! Nous sommes créés à l'image de Dieu, rendus capables d'aimer, de donner, de nous donner. Nous avons certainement tous fait cette belle expérience de passer une journée très occupée dans le souci des autres, dans une activité bénévole ou familiale : et à la fin de la journée, ce qui domine au milieu de la fatigue, c'est la joie. Joie d'avoir donné, joie d'avoir été exactement là où nous devions être, joie d'avoir fait ce pour quoi nous existons. L'accomplissement de notre vocation, c'est comme Jean Baptiste, d'être orientés vers le Christ : d'être là où nous sommes appelés à être. C'est là que Jean trouve sa vraie joie, et nous aussi.
Le chemin de la préparation de Noël, pour nous comme pour Jean Baptiste, c'est donc d'être tournés vers le Christ, dans l'attente de sa venue : c'est là où nous aussi, nous trouvons notre vraie joie, qui dépasse les difficultés du monde. Être tournés vers Jésus : comme Marie et Joseph qui partent à Bethléem, quittent le confort de leur maison pour aller vers l'inconnu. Ils ressentent de l'inquiétude, mais en profondeur ils sont dans la vraie joie ; car ce qu'ils font, ils le font pour l'Amour du Seigneur. Ils sont là où le Seigneur les appelle, et ils y trouvent la paix et la joie.
À nous de donner ce témoignage à notre entourage, en cette dernière semaine avant Noël : l'attente de sa venue nous rend paisibles et joyeux. Saint Paul l'écrivait tout à l'heure : « Soyez toujours dans la joie, priez sans relâche ; que votre esprit, votre âme et votre corps, soient tout entiers gardés sans reproche pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ ». Montrons au monde la joie d'être tournés vers Jésus !
Premier dimanche de l'Avent — Tendus vers le Seigneur
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures du jour.
« Restez éveillés, vous ne savez pas quand viendra le Seigneur ! ». C’est par ces paroles que commence notre premier dimanche de l’Avent, donc toute notre année liturgique jusqu’à novembre prochain. Le cycle des fêtes du Seigneur, des célébrations diverses de l’année, est marqué dès le début par un appel clair de Jésus : soyez vigilants, ne vous endormez pas, car je reviendrai un jour. Le temps de l’Avent, particulièrement, est un temps d’attente, puisque nous commençons notre marche vers Noël. Bien sûr, nous savons exactement quand aura lieu la fête de Noël ! Mais notre Avent rappelle l’attente d’une chose imprévisible : l’avènement du Seigneur.
Dans la tradition spirituelle de l’Église, on distingue symboliquement trois avènements du Seigneur, qui nous appellent à la fidélité. Le premier, c’est celui dont nous ferons mémoire à Noël, la venue du Fils de Dieu dans notre nature humaine : celui qu’attendait le peuple d’Israël depuis les prophètes. L’autre avènement, c’est celui que nous attendons encore : celui qui viendra à la fin des temps, pour lequel Jésus nous a appelés à veiller : « Vous ne savez pas quand ce sera le moment ». Et entre ces deux avènements, il y a la venue quotidienne du Seigneur dans notre vie : l’avènement que nous avons à accueillir jour après jour dans un cœur converti, pour vivre en sa présence. Si nous ne savons pas accueillir maintenant le Seigneur, recevoir l’Esprit saint dans l’amour, dans la joie quotidienne de son action, alors il est probable que nous ne pourrons jamais L’accueillir lorsque sa venue sera définitive.
C’est pourquoi il est si important de veiller, d’avoir une attitude d’attente. Être chrétien, c’est attendre, espérer, ressentir un certain manque par rapport à ce que le Seigneur nous promet. Dans notre cœur se trouve un désir d’amour, une Espérance qui ne sera pleinement apaisée que lorsque nous verrons le Seigneur. Les chrétiens doivent être “toujours insatisfaits”, car ils sont sans cesse en chemin ; jamais on ne peut s’endormir sur sa bonne conscience, ni se satisfaire de son petit confort. Se dire : « Je suis tranquille, j’ai fait tout ce que je devais faire, je suis quelqu’un de bien », ce n’est pas un comportement de disciple de Jésus.
L’Évangile nous appelle à être réalistes, c’est pourquoi nous ne pouvons pas nous endormir. D’abord, bien sûr, le mal existe, il est actif tout autour de nous, la souffrance est présente dans la vie du monde : cela nous interdit l’égoïsme, l’indifférence, l’insouciance. Ensuite, nous comprenons que nous sommes complices du mal : notre chemin de vie doit être un chemin de conversion, un désir toujours croissant de rejeter le mal pour choisir le Seigneur. Et puis enfin, il s’agit de prendre conscience que nous ne sommes pas les sauveurs du monde : Celui qui est seul capable de vaincre le péché et la mort, c’est le Seigneur dont nous attendons la venue. En nous existe une soif de bien, une soif d’amour, une tension vers Dieu, qui ne pourra être comblée que par le dernier avènement du Christ.
Cette attitude d’attente, de désir, d’insatisfaction, n’est certes pas confortable ! Mais elle est profondément ancrée dans la foi chrétienne. Jamais les chrétiens n’ont pu se satisfaire d’un état de choses, ou considérer que le Royaume de Dieu était enfin établi. Même aux époques, par exemple dans l’Europe médiévale, où tout le monde était chrétien des rois aux plus humbles, l’Église n’a jamais prétendu faire une société idéale ni le Royaume des cieux sur la terre. Les grandes dictatures du XXe siècle, les utopies, ont voulu construire une société idéale (en éliminant les opposants !). Ce projet est inhumain, car seul le Christ peut combler notre désir d’amour et de paix.
Nous sommes donc toujours en marche, toujours dans le désir et l’attente. L’Avent nous donne quatre semaines [ou seulement trois cette année, car Noël tombe un lundi] pour creuser cette attente et contempler, à Bethléem, Celui qui vient répondre à nos désirs. Notre attente se fait proche de l’attente du peuple d’Israël, dont témoignait le prophète Isaïe [première lecture] : « Ah, si tu déchirais les cieux, si tu descendais ! ». Le peuple juif s’est bien rendu compte, au fil de son histoire, que le péché continuait de dominer : même avec des rois appelés par Dieu et consacrés par l’onction, même avec le Temple de Jérusalem, Israël demeurait un royaume de pécheurs. Dieu seul peut sauver, sanctifier son peuple : c’est le Messie, l’envoyé de Dieu, qui délivrera les Israélites.
En cet Avent, nous attendons donc le seul Sauveur, Celui qui réconciliera définitivement l’homme avec son Dieu. Il nous suffit de veiller, de ne pas nous endormir sur ce chemin, mais de chercher à ressembler toujours plus à Jésus : accueillons l’avènement du Christ dans notre vie, pour L’accueillir pleinement dans la joie de Noël !
Fête de la Toussaint — Être vraiment « heureux »
Avant de lire l’homélie, je médite les lectures de cette grande fête.
« J’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer », écrit saint Jean dans l’Apocalypse, en relatant tout ce que le Seigneur lui a révélé. Cette vision de Jean, ces gens debout devant le trône de Dieu, vêtus de robes blanches, ce sont tous les Saints que nous honorons aujourd’hui. Les grands Saints, les petits Saints… les connus et les inconnus, les célèbres et les invisibles ; ceux que nous avons peut-être rencontrés de leur vivant, une grand-mère discrète, un voisin dévoué… qui sont aujourd’hui dans la Lumière de Dieu et qui prient pour nous. Saint Jean nous dit donc que c’est une « foule immense », ce qui est plutôt rassurant ! Parmi ces myriades de Saints, nous espérons qu’il y aura une petite place pour nous ; si de notre côté, nous laissons toute sa place au Seigneur dans notre vie.
Que faut-il faire pour être saint ? Cela devrait être la seule question qui nous occupe chaque jour – et pas seulement le jour de la Toussaint. La sainteté, ce n’est pas réservé à une élite : nous sommes tous, par notre baptême, appelés à être des Saints. Souvenons-nous de ce qu’écrit saint Pierre en citant l’Ancien Testament : « Soyez saints, comme Dieu est Saint » [1P 1,15]. Il n’y a donc pas “deux catégories” de baptisés, l’élite et le troupeau ! De même qu’il n’y a pas non plus de rupture entre la vie sur terre et la Vie éternelle, car nous sommes déjà entrés dans l’Éternité par notre baptême. Nous sommes déjà des Saints car nous sommes ressuscités avec Jésus ; et nous sommes appelés à mettre en pratique, de plus en plus, l’appel à la sainteté, jusqu’au moment de notre rencontre définitive avec le Seigneur.
Aujourd’hui, jour de la Toussaint, l’Église nous fait entendre l’un des passages les plus connus de l’Évangile selon saint Matthieu : ce sont les Béatitudes, ces paroles qui commencent par le même mot à chaque phrase : « Heureux » (beati en latin). Être « heureux », c’est la vocation de tout chrétien, non seulement dans l’Éternité mais dès maintenant. Les Saints sont ceux qui ont pris au sérieux cet appel au bonheur ; ils ont décidé d’être heureux, et ont choisi de suivre le Seigneur pour vivre ce bonheur. On pourrait croire, si on lit rapidement les Béatitudes, qu’il s’agit surtout d’être “malheureux dans cette vie” pour être heureux au Ciel : comme si Jésus nous disait : « Tant mieux si vous êtes pauvres, misérables, si vous pleurez : car je vous donnerai un jour le bonheur ». Non, ce n’est pas par ce chemin qu’on devient Saint : être disciple de Jésus n’est pas rechercher le malheur ! Ces paroles nous invitent en fait à discerner, à rechercher le vrai bonheur ; car il y a différents niveaux de bonheur, et certains ne sont pas à la mesure de notre cœur.
Quand Jésus nous dit : « Heureux », Il décrit un style de vie qui est d’abord le sien. Jésus a vécu tout cela ; Il a vécu la pauvreté, la douceur, la miséricorde, à un degré unique. Les Béatitudes ont l’air de contredire ce qui nous semble naturel : on n’a pas envie d’être pauvre ni de pleurer, et encore moins d’être persécuté ! Et pourtant, Jésus a traversé tout cela – jusqu’à mourir sur la Croix – en restant dans la « Joie parfaite » [Jn 15,11], car Il est établi dans l’Amour de son Père. Ce qu’Il nous dit, c’est que les “petits bonheurs” de l’existence ne nous suffisent pas. Il est si facile de se cantonner aux petits plaisirs de la vie, à un confort égoïste, à la sécurité de nos richesses ! Mais notre cœur est plus grand que cela ; nous pressentons que le vrai bonheur doit dépasser ces choses de la vie quotidienne. L’expérience de l’amour nous montre qu’il y a dans nos cœurs un désir d’infini.
Notre vraie vocation est celle du bonheur, qui est finalement la même chose que la sainteté. Chercher le bonheur en Dieu, dès maintenant, nous ouvre en même temps au bonheur dans l’Éternité. Les Saints, quand ils étaient parmi nous, ont été entièrement libres ; ils ont refusé de dépendre des satisfactions trop faciles ; ils ont choisi d’aller toujours plus loin dans l’Amour, ils ont voulu aimer et se laisser aimer par le Seigneur. « Heureux les pauvres » : ils se sont dépouillés de leurs orgueils. « Heureux ceux qui pleurent » : pleurer, c’est faire l’expérience de celui qui aime et n’est pas aimé en retour ; c’est l’expérience de Jésus Lui-même, qui fait de son Amour un chemin de vie. « Heureux les miséricordieux », c’est-à-dire ceux dont le cœur se fait proche des misères des hommes : le vrai bonheur n’est pas dans l’indifférence mais dans la proximité.
Comme nous l’a encore dit saint Jean [deuxième lecture], « nous sommes déjà enfants de Dieu » ; et c’est la source du vrai bonheur. Il ajoute que cela ne se voit pas encore : être disciples du Christ nous met toujours en décalage par rapport au monde ! L’Amour de Dieu dérange nos égoïsmes, mais : « Heureux les persécutés » : ils sont saints, ils sont heureux pour l’Éternité.